Fig. 1 La cathédrale de Roskilde, depuis le Sud © C. Levisse
Vue de la cathédrale depuis le fjord, au Nord : ici
Les deux tours de la cathédrale de Roskilde – si particulières – dominent cette ville située à environ quarante kilomètres à l’Ouest de Copenhague. Roskilde fut par le passé le centre du Danemark, grâce à sa position géographique stratégique et à l’intensité du commerce qui s’y déroulait. Ce n’est qu’après la Réforme (1537) que l’évêché du Seeland quitta Roskilde pour s’installer à Copenhague, la cathédrale de Roskilde demeurant pourtant l’église principale du diocèse, au détriment de la cathédrale Notre-Dame de Copenhague (voir article sur cette dernière). L’époque médiévale fut florissante pour Roskilde : aux 13e et 14e siècles, on ne comptait pas moins de quatorze églises, deux monastères et trois couvents, en plus de la cathédrale. Cette dernière est construite sur une colline qui surplombe la ville, à quelques 40 mètres au-dessus des eaux du fjord.
Les vestiges de deux précédentes églises ont été trouvés. La première était en bois et aurait été érigée par Harald Ier (Harald à la dent bleu, « Blaatand »), qui fut roi du Danemark de 958 à 986. Cette origine fonde l’importance de Roskilde pour la chrétienté, car Harald Ier fut celui qui unifia le royaume et le convertit au christianisme, un accomplissement que célèbre la célèbre pierre de Jelling (voir article précédent sur la religion en Scandinavie). C’est en 1170 que l’influent Absalon, alors évêque du diocèse de Seeland, lance la construction d’une église de brique, dans le style roman. Au début du siècle suivant, l’édifice prend des formes gothiques sous la direction de l’évêque Sunesøn. Bien que l’église ait été achevée vers 1280, de nombreux et importants ajouts ont été réalisés au fil des siècles, faisant de la cathédrale un étonnant exemple de l’évolution des styles architecturaux. Cette caractéristique est notamment flagrante dans l’aspect des chapelles funéraires, ajoutées à l’édifice selon les besoins. Ces chapelles sont nombreuses car la cathédrale de Roskilde est l’endroit où reposent la plupart des monarques danois et leurs familles, une facette historique de ce monument que j’aborderai après une présentation architecturale.
Fig. 2 et 3 Vues de l’intérieur de la cathédrale de Roskilde depuis la nef. A gauche : vers l’autel, situé à l’Est. A droite : vers le porche. On distingue notamment la chaire, une partie de l’orgue et la loge royale, datant de la première moitié du 17e siècle © C. Levisse
•Architecture de la cathédrale de Roskilde
La construction de la cathédrale débuta alors que la technique de fabrication des briques venait d’être introduite au Danemark, au milieu du 12e siècle. Le plan au sol de la cathédrale qui fut choisi par Absalon est celui d’une basilique : une nef centrale flanquée d’un collatéral (bas-côté) de chaque côté. Les collatéraux se prolongent autour du chœur pour former un déambulatoire et sont surmontés d’une galerie qui court tout du long de l’édifice.
Voir le plan au sol de la cathédrale : ici
Les plans de style roman établis par Absalon furent modifiés lorsque celui-ci fut remplacé par l’évêque Sunesøn au début du 13e siècle. Éduqué en France, Sunesøn avait été le témoin de la construction des cathédrales gothiques du Nord de la France et de Paris, alors en pleine effervescence. Les modifications significatives qu’il apporta concernent avant tout l’élévation : le nombre des ouvertures est multiplié, en accordance avec le style gothique – on remarquera ainsi les grandes fenêtres qui surplombent le porche, mais aussi celles qui illuminent l’abside. Par ailleurs, l’idée d’un plafond de bois plat fut abandonnée et un plafond voûté (voûte d’ogives quadripartite) lui fut préféré. C’est également à cette époque que les plans pour un grand transept sont abandonnés. On voit sur la photographie suivante (fig. 4) l’élévation dans l’abside : l’ouverture du chœur sur le déambulatoire par des arcs brisés, la galerie au niveau supérieur largement ouverte à l’Est par une succession d’arcs soutenus par de fines colonnes, un troisième niveau où sont placées des niches dans lesquelles sont peints le Christ et les douze apôtres, puis un dernier niveau percé de cinq fenêtres. Le déambulatoire est quant à lui couvert de voûtes d’ogives sexpartites.
Fig. 4 Le chœur de la cathédrale, derrière le retable d’autel. On devine derrière les monuments funéraires le déambulatoire © C. Levisse
On peut lire dans l’évaluation de l’UNESCO que la cathédrale de Roskilde est un monument remarquable de l’architecture religieuse nordique non seulement à cause de cette transition du style roman au style gothique et de l’utilisation des briques, mais aussi de par l’influence française, inhabituelle à cette époque dans la région. Par conséquent, le conseil chargé d’évaluer la valeur patrimoniale de la cathédrale conclut en 1995 que « la cathédrale de Roskilde est sans doute le bâtiment ecclésiastique le plus important du Danemark ».
Jusqu’au 15e siècle, la cathédrale et la ville de Roskilde prospèrent et de nombreuses chapelles adjacentes, dédiées à différents saint(e)s, sont ajoutées à la structure principale. de l’église Mais à la suite de la Réforme, que le Danemark adopte officiellement en 1537, les évêques du diocèse luthérien de Seeland s’installent à Copenhague. A la fin du 16e siècle et pendant le siècle suivant, la cathédrale est réaménagée pour suivre les normes du culte luthérien : les nombreux retables d’autel des chapelles latérales sont détruits, le trésor confisqué, et les peintures murales recouvertes de stuc blanc. En revanche, les stalles sont conservées et on peut aujourd’hui encore les admirer dans le chœur. Elles sont ornées de scènes sculptées dans le bois, représentant des épisodes bibliques depuis la Création jusqu’au Jugement dernier.
Fig. 5 et 6 Les stalles dans le chœur (côté Nord), première moitié du 15e siècle © C. Levisse
Fig 7 : détail des scènes décorant la partie supérieure des stalles, dont le bois est peint. On peut distinguer ici la Nativité et l’Adoration des Rois Mages. L’inscription qui s’étend le long du bord supérieur des stalles est une dédicace nommant l’évêque Jens Andersen Lodehat qui finança en 1420 la réalisation des stalles. © C. Levisse
Etant donné la prééminence de la parole et donc du sermon, une nouvelle chaire est installée dans la nef de la cathédrale, sous le règne de Christian IV (mort en 1648). Parmi les nouvelles installations, on trouve aussi la loge royale qui fait face à la chaire, et l’imposant orgue, tous trois de styles baroques (voir fig. 2 et 3). Sont ajoutés également les flèches qui surmontent les deux tours occidentales (1635), et l’imposant retable d’autel (fig. 8 et 9). Celui-ci a été réalisé à Anvers vers 1560. Il s’agit d’un triptyque dont les volets latéraux étaient habituellement fermés ; la coutume voulait qu’ils ne soient ouverts que lors des célébrations majeures, telle Pâques. Les paroissiens pouvaient alors voir les magnifiques illustrations de la Passion du Christ et la résurrection. Ce retable est typique des retables scandinaves avec ses scènes bibliques en trois dimensions, sculptées dans le bois et peintes, le tout avec un grand réalisme (fig. 9).
Fig. 8 et 9 Vue d’ensemble et détail (la flagellation) du retable d’autel situé dans le chœur de la cathédrale de Roskilde (1560) © C. Levisse
•Monuments funéraires : témoins de la monarchie danoise et de l’évolution architecturale
Le nombre de tombes, stèles funéraires et sarcophages qu’abrite la cathédrale de Roskilde est impressionnant. Dès l’époque médiévale, de nombreuses personnalités influentes – évêques ou riches bienfaiteurs – se font enterrer à l’intérieur de l’église, une stèle à même le sol témoignant de leur présence. Cependant, la cathédrale est devenue un site funéraire incontournable à partir du moment où la monarchie fait de cet édifice sa dernière demeure, après l’adoption de la Réforme au 16e siècle. Cette fonction détermine une autre caractéristique remarquable de la cathédrale : les ajouts au fil des siècles de bâti annexé au bâtiment principal témoignent de l’évolution du style architectural depuis l’époque médiévale jusqu’à l’époque classique en passant par le baroque et la Renaissance. Ces ajouts sont d’abord visibles depuis l’extérieur de l’édifice. La plus spectaculaire addition se trouve sur la façade nord de la cathédrale, il s’agit de la chapelle funéraire de Christian IV. Construite vers 1620, son style est baroque avec des réminiscences de la Renaissance et dénote complètement avec le reste de la façade médiévale (fig. 10). Les illustrations ci-dessous montrent l’intérieur et l’extérieur des chapelles funéraires majeures de la cathédrale, et permettent de s’apercevoir de l’appartenance stylistique de chaque grande époque de la monarchie danoise.
Fig. 10 et 11 Façade Nord – Chapelle funéraire de Christian IV (règne : 1588-1648), construite vers 1620 et conçue par l’architecte Lorenz Steenwinckel. La façade est ornée de sept sculptures féminines représentant les vertus. A l’intérieur se trouvent cinq sarcophages dont celui du roi Christian IV, ainsi qu’une sculpture du roi réalisée par B. Thorvaldsen en 1840 et diverses décorations peintes.
Fig. 12 et 13 Façade Nord – Chapelle funéraire de la dynastie des Glücksburger construite en 1924 sur les plans de l’architecte Andreas Clemensen. La forme architecturale fait référence à l’architecture byzantine. A l’intérieur se trouvent les sarcophages de Christian IX, Frederik VIII, Christian X, accompagnés de leurs épouses. Les styles des sarcophages sont ici encore le reflet des goûts de l’époque. Alors que le sarcophage de Frederik VIII, mort en 1912, reflète le style Empire (fig. 14), celui de Christian X, mort en 1952, soit quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale et pendant une période encore très dure pour le Danemark, est extrêmement sobre (fig. 15).
Ci-dessous : Fig. 14 – Sarcophages de Frederik VIII, mort en 1912, et de sa femme, Louise ; conçus par Einar Utzon-Frank. Fig. 15 – Sarcophages de Christian X, mort en 1952, et de sa femme, Alexandrine ; conçus par Kaare Klint. © C. Levisse
Ci-dessous : Fig. 16 – vue de la façade Sud de la cathédrale de Roskilde, avec la chapelle funéraire de Christian Ier (1462) et, à l’arrière-plan, celle de Frederik V, surmontée d’un dôme, construite à la fin du 18e siècle et complétée en 1825. © C. Levisse
Ci-dessus : Fig. 17 – Vue de l’intérieur de la chapelle funéraire de Christian Ier (le premier roi de la dynastie Oldenburg, règne : 1448-1481), également appelée Chapelle des Mages, construite en 1462, donc avant la Réforme. Ses voûtes et ses murs sont couverts de splendides fresques, datant du 15e siècle. La chapelle possédait plusieurs autels, en correspondance avec l’emplacement des tombes royales, marquées par une simple stèle (aujourd’hui une pierre), car c’était la chapelle entière qui devait être le sépulcre du roi Christian Ier et de sa femme. Cependant, les sarcophages monumentaux de Christian III et de Frederik II y furent installés en 1575 et 1590, respectivement – soit après la Réforme et la suppression des autels dans les chapelles latérales et l’abandon du culte des saints.
Fig. 18 (ci-dessus, à droite) – Vue de l’intérieur de la chapelle funéraire de Frederik V, construite par l’architecte C. F. Harsdorff en 1775-78 dans un style néo-classique. Les douze sarcophages de la chapelle couvrent un siècle de monarchie de Christian VI à Frederik VII. Le sarcophage principal, que l’on voit sur la photographie est celui de Frederik V (mort en 1766) au style pompeux, les deux figures féminines au pied du monument représentent le Danemark et la Norvège pleurant leur souverain.
Si d’autres parties de la cathédrale abritent des sarcophages et des tombes, telles les nombreuses cryptes, il convient de présenter finalement les monuments funéraires qui sont placés dans le chœur même, derrière le grand retable d’autel et que l’on peut voir depuis le déambulatoire. On y trouve d’abord le sarcophage de la reine Margrete I (morte en 1412), réalisé vers 1423 (fig. 19). Margrete I fut la première femme monarque et régna sur le Danemark à partir de 1375, puis sur la Suède et la Norvège jusqu’à sa mort. Sont également visibles les sarcophages de son frère, le duc Christopher (mort en 1363) et ceux des premiers monarques absolus de la couronne danoise : Christian V (mort en 1699) et Frederik IV (mort en 1730) accompagnés de leur épouse (fig. 20 et 4). Enfin, toujours dans le chœur, un autre élément sert de sépulture : les piliers. En effet, on trouve dans quatre d’entre eux les restes d’êtres humains, identifiés par des représentations peintes sur les piliers. Sur la photographie No. 20, on aperçoit une représentation d’Harald Ier (« Blåtand ») et d’Estrid, la sœur du roi Knut II le Grand (mort en 1035). Sur les deux autres piliers leur faisant face sont représentés le roi Svend Estridsøn (mort en 1076) et Vilhem, évêque de Roskilde de 1060 à 1073.
Fig. 18 et 19 © C. Levisse
Cette tradition qui fait de la cathédrale de Roskilde la dernière demeure des souverains danois est toujours d’actualité. En effet, le couple royal actuel a confié au célèbre artiste Bjørn Nørgaard (voir article sur ses vitraux pour Christianskirken à Fredericia) la réalisation de leur propre monument funéraire qui prendra place dans la cathédrale.
Esquisse du monument funéraire dessinné par B. Noergaard : ici
La cathédrale continue donc d’évoluer au fil des siècles alors que de nouveaux artistes se voient confier des réalisations. Ce fut ainsi le cas de Peter Brandes, dont les réalisations pour la cathédrale ont été inaugurées ce mois-ci. Nous verrons dans un prochain article les nouvelles portes qu’il a conçues, ainsi que la réfection de la chapelle Saint-André dont il eut la charge.
Caroline Levisse
9 novembre 2010
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Sources :
Anette Kruse, The Cathedral of Roskilde, Roskilde, Roskilde Cathedral Sales Foundation, 2e éd. 2003
Site internet de la cathédrale de Roskilde, en danois : http://www.roskildedomkirke.dk
Site internet de DR (TV danoise) dédié aux sites danois figurant sur la liste de l’UNESCO, une page bien informée et interactive est consacrée à la cathédrale de Roskilde : http://www.dr.dk/Undervisning/verdensarv/dk_verdensarv/RoskildeDomkirke.htm
Evaluation de l’UNESCO sur la cathédrale de Roskilde, 1995, disponible en ligne, en anglais et en français :
http://whc.unesco.org/archive/advisory_body_evaluation/695rev.pdf