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La religion en Scandinavie

Courte, mais essentielle, présentation de l'histoire religieuse scandinave à laquelle s'ajoutent quelques éléments concernant la situation religieuse actuelle.
Publié le 10 juin 2009

La religion en Scandinavie, une présentation

 

   La Scandinavie est une région d’Europe du Nord, composée du Danemark, de la Suède et de la Norvège. Le terme « Scandinavie » apparaît dans les écrits de Pline l’Ancien sous la forme « Scadinavia », venant d’une expression germanique qui signifierait « la dangereuse terre sur l’eau ». Par la suite, « Skåne » désignait, et désigne toujours, la région au Sud de la Suède1. Ces trois pays, réunissant aujourd’hui un peu plus de 19.310.000 habitants, forment un ensemble relativement homogène. Si à l’origine seules la Suède et la Norvège font partie de la péninsule scandinave, le Danemark y est ajouté pour des raisons historiques et linguistiques. En effet, les trois langues partagent une racine commune permettant aux Danois, Norvégiens et Suédois de se comprendre aisément entre eux. Les trois royaumes sont des monarchies constitutionnelles qui ont depuis toujours une histoire entremêlée, faite d’alliances politiques, de mariages et de guerres. On pourrait aisément multiplier la présentation de domaines rassemblant les trois royaumes scandinaves, notamment au niveau de leur système politique, économique et social (Etat-providence : « welfare state »), sans pour autant refuser à chaque pays ses particularités (on ne peut, par exemple, rapprocher le paysage danois de celui de la Norvège). En ce qui nous concerne plus particulièrement, la Scandinavie a une tradition religieuse « évangélique-luthérienne ». Par voie de conséquence, la plupart des lieux présentés ici seront des églises chrétiennes. En guise d’introduction, quelques éléments de l’histoire religieuse scandinave, passée et présente sont ici présentés; quant aux caractéristiques générales de l’architecture et du rituel liturgique, elles seront exposées au fil des articles.

 

 

Une christianisation tardive
  La fin du 11ème siècle en Scandinavie marque le passage de l’Age Viking au Moyen Age, tournant symbolisé par l’adoption définitive de la religion chrétienne et la formation des trois royaumes de Norvège, de Suède et du Danemark. Les évangélisateurs venus en Scandinavie sont pourtant arrivés dès le 8ème siècle sur le territoire aujourd’hui danois, mais pendant plus de deux siècles leurs missions successives furent sans succès. Le choix de finalement se convertir au christianisme fut avant tout le fait du monarque, progressivement suivi par la population. A ce titre, la conversion semble relever davantage d’un opportunisme politique et économique, plus qu’une volonté purement religieuse. Soucieux non seulement d’asseoir un pouvoir national et temporel mais aussi d’améliorer leurs relations avec le reste de l’Europe chrétienne, les monarques se convertirent, imposèrent la nouvelle religion à leurs sujets et le paysage se couvrit d’églises, remplaçant les lieux de culte païens. A la fin du 12ème siècle, le Danemark, la Norvège et la Suède avaient leur propre archevêché (respectivement en 1104, 1153 et 1164). La population adopta la religion chrétienne lentement et certains éléments de l’ancienne religion païenne persistèrent longtemps : une population certes chrétienne, mais « superstitieuse ».

 

La Réforme
  L’adoption de la Réforme dans la première moitié du 16ème siècle est également un moment essentiel de l’histoire religieuse de la Scandinavie. Grâce à quelques prêtres et théologiens influents, tels que Poul Helgesen, Olaus Petri ou Hans Tausen, les enseignements de l’Humanisme biblique d’Erasme de Rotterdam, puis de Luther ont pénétré très tôt. L’influence de certains de ces individus d’une part, et, d’autre part, la mauvaise stratégie de certains hauts membres du clergé vont pousser les monarques scandinaves à adopter la foi protestante. En 1537, les statuts de la nouvelle église évangélique luthérienne – approuvés par Martin Luther lui-même – sont mis en place par décret royal au Danemark et en Norvège (sous domination du royaume danois). En Suède, les événements sont plus compliqués, mais en 1593, la « convention d’Uppsala » proclame le Protestantisme, sous sa forme luthérienne, comme la religion officielle de l’Eglise du royaume. Dans le même moment, la Bible est traduite en langue vernaculaire (en suédois en 1526 ; en danois en 1530). Le célibat des prêtres est aboli et il en va de même pour le culte des saints et des images ; les abbayes sont fermées, les propriétés de l’Eglise catholique passent dans le domaine terrien de la couronne et les relations avec la papauté romaine sont interrompues. Désormais, le roi est le chef de l’Eglise, qui devient une Eglise véritablement nationale.

  Les siècles suivants ont vu se développer en Scandinavie, comme dans d’autres pays protestants, différents mouvements de renouveau évangélique (par exemple le Piétisme), mettant notamment en avant la redécouverte des sources et encourageant la constitution de groupes de laïcs, dédiés à la réflexion sur les enseignements de la Bible. De cette manière, les confessions religieuses protestantes se sont démultipliées (Adventistes, Méthodistes, Pentecôtiste, etc.), confessions que l’on regroupe sous l’appellation d’ « Eglises libres » (Frikirker en danois ou free churches en anglais).

 

Les Eglises d’Etat aujourd’hui
   Aujourd’hui, l’une des principales caractéristiques religieuses de la Scandinavie est la permanence des églises d’Etat dans une société dite « sécularisée » – c’est-à-dire sortie de la religion. Le Danemark et la Norvège conservent toujours leur Eglise d’Etat respective (Den Danske Folkekirke et Den norske kirke) et possèdent au sein de leur gouvernement un Ministère de l’Eglise (Kirkeministeriet). En Suède le cas est un peu différent puisque depuis le 1er janvier 2000, la séparation de l’Eglise et de l’Etat est officielle. En réalité, la situation est ambiguë puisque l’Eglise évangélique-luthérienne conserve un statut d’Eglise nationale (Svenska kyrkan) à la tête de laquelle se trouve toujours le souverain. De façon générale, le rôle et le pouvoir d’action de l’Eglise sont limités en ce qui concerne le domaine des affaires publiques ; ainsi, Anders Fogh Rasmussen, alors Premier ministre du Danemark, affirma sans détour, dans son discours du 1er janvier 2002 : « Au Danemark, nous gardons la politique et la religion séparées »2.
  Les Eglises d’Etat au Danemark et en Norvège et l’Eglise suédoise tirent leurs revenus de donations ponctuelles mais surtout de l’impôt payé par les « membres », directement prélevé sur les revenus mensuels des individus. Si en Suède depuis 2000, l’adhésion à l’Eglise suédoise est volontaire, au Danemark et en Norvège, un enfant dont les parents sont membres de l’Eglise d’Etat sera d’emblée considéré comme membre, et il paiera l’impôt à l’Eglise au moment de son premier salaire, à moins pour l’individu de faire la démarche de « sortir » de l’Eglise, c’est-à-dire de ne plus être membre.

 

Appartenir sans croire : la religion comme marqueur culturel et identitaire
  Le fait d’être membre simplifie l’accès aux « services » proposés par l’Eglise : baptême, confirmation, mariage et funérailles. Dans les trois pays scandinaves, le pourcentage actuel des membres est certes en baisse, mais il reste étonnamment haut : environ 80% de la population est membre de l’Eglise nationale3. C’est en regardant les statistiques disponibles que l’on prend conscience du caractère paradoxal de la situation : une infime partie des personnes formant les 80% se rend régulièrement à l’office religieux. En regardant les chiffres de façon encore plus précise et en interrogeant les individus, il apparaît qu’une grande partie des Scandinaves demeurent membres de l’Eglise par souci de perpétuer les traditions et pour facilement pouvoir célébrer les rites de passage de la vie dans un cadre religieux. On peut donc aujourd’hui être un « chrétien athée » ou un « chrétien culturel ». Ce genre de phénomène – se considérer « Protestant » sans avoir ni pratique ni croyance religieuses, à l’exception peut-être des moments importants de la vie humaine – est désormais bien connu et se retrouve, à moindre mesure, également en France4.

   Les résultats de l’enquête « Eurobarometer 2005 » sont tout aussi intéressants et mettent en avant une différence importante entre la Scandinavie et le reste de l’Europe au niveau de la spiritualité.5 Le tableau ci-dessous est réalisé à partir de l’une des questions de cette enquête :

 

statistique

 

On aperçoit nettement l’opposition entre les trois pays scandinaves et l’Europe dans son ensemble : au sein du premier groupe, c’est la croyance en « une sorte d’esprit ou de force de vie » qui domine largement ; alors qu’en Europe c’est la traditionnelle croyance en Dieu qui remporte le plus d’adhésion. On notera également que le nombre d’athées en Scandinavie n’est pas très élevé ; il est en tout cas nettement inférieur à celui de la France où, en revanche, peu de sondés confessent une croyance en une sorte d’esprit. En Scandinavie, les affirmations fortes et sans équivoque (« je croie en Dieu » ou « je ne croie pas en Dieu ») sont donc minoritaires, au profit d’une spiritualité diffuse et indéterminée.

 

L’essor d’une spiritualité diffuse et recomposée
   Autres chiffres récents et révélateurs : ceux d’une enquête réalisée en avril 2009 montrant que si 25% des Danois croient en la résurrection, pas moins de 16% de la population affirme croire en la réincarnation ; et parmi ce dernier groupe, beaucoup d’individus sont membres de l’Eglise d’Etat, dont les croyances et les dogmes n’ont a priori rien à voir avec l’idée de la réincarnation telle qu’elle existe dans la religion hindoue6. Cet exemple est révélateur d’un phénomène issu des effets conjoints de la sécularisation, de la globalisation et de l’individualisation de la société : la religion n’est plus tant affaire d’héritage, elle devient une histoire de choix. L’individu contemporain qui veut croire peut littéralement « composer » sa propre religion, à partir de différentes cultures et traditions spirituelles. Le domaine de la religion devient dans ce cas un « marché de la religion » au sein duquel les différentes confessions sont en concurrence. Face à cette situation, les institutions religieuses traditionnelles, soit se radicalisent (fondamentalisme), soit – et c’est le cas des Eglises évangéliques-luthériennes – s’adaptent à la situation et font des « concessions ». Il est par exemple désormais possible d’allumer une bougie dans leurs lieux de culte ; les pèlerinages et les retraites se multiplient ; les offices religieux se diversifient au niveau du type de musique proposée selon le public visé ; les horaires d’ouverture des églises sont plus flexibles pour y permettre la venue de personnes souhaitant simplement se recueillir ; et, ce qui nous touche particulièrement, les images prennent de plus en plus facilement place dans les églises protestantes, afin de permettre le développement d’une religion qui s’adresse davantage aux sens – ce qu’un nombre croissant de personnes semblent rechercher.

  Il apparaît finalement, que l’équation du croire et de l’appartenance à une institution religieuse – c’est-à-dire la forme traditionnelle de la religion – est une forme dont le déclin persiste. Le processus de la sécularisation n’a pas signifié la disparition de la religion, mais sa transformation.

 

 

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Notes

1. Cf. Knut Helle, The Cambridge History of Scandinavia, vol. 1, Cambridge: Cambridge University Press, 2003, p. 1-2

2 Cité par Erik Bjerager, Gud bevare Danmark, Copenhague, Gyldendal, 2006, p. 165 : « I Danmark, holder vi politik og religion adskilt ».

3. En 2007 en Suède : 74,3% selon les statistiques de l’Eglise suédoise ; en 2008 au Danemark, 82,1% selon l’institut national des statistiques ; en Norvège : environ 83% selon l’Eglise norvégienne.

4. A ce sujet voir par exemple le numéro du Monde des religions de janvier-février 2007.

5. Special Eurobarometer 225: Social Values, Sciences and Technology, rapport en ligne, voir p. 7 à 11 : http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_225_report_en.pdf (dernière consultation : 09/02/2009)

6. Sondage réalisé par Megafon pour le journal Politiken et la chaîne nationale de télévision TV2 ; article dans Politiken, 11 avril 2009

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Quelques références

Je saisis ici l’occasion de rappeler aux lecteurs parisiens que le Bibliothèque Sainte-Geneviève possède un fonds nordique plutôt bien fourni et facile d’accès.

 

-BÄCKSTRÖM, Anders, EDGARDH BECKMAN, Ninna, PETERSSON, Per, Religious Change in Northern Europe, the case of Sweden, from state-church to free folk church, Stockholm: Verbum, 2004
-BERGER, Peter (dir.), The Desecularization of the World. Resurgent Religion and World Politics, Washington: Ethics and Public Policy Center, 1999
-BOYER, Régis, Le Christ des barbares. Le monde nordique (9ème- 13ème siècle), Paris, CERF, 1987
-DAVIE, Grace, Religion in Britain Since 1945: Believing Without Belonging, WileyBlackwell: 1994
Esprit, 2007, n, 333, Effervescences religieuses dans le monde, voir notamment les articles de Pierre Bréchon « Les Recompositions flottantes du croire », p. 136 et suiv. ; et celui de Jean-Paul Willaime, « Reconfigurations ultramodernes »
-GAUCHET, Marcel, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris: Bibliothèque des Sciences humaines, Ed. Gallimard, 1985
-GREIL, Arthur L., ROBBINS, Thomas (ed.), Between Sacred and Secular. Research and Theory on Quasi-Religion, Greenwitch, Conn., JAI Press, 1994
-GUSTAFSSON, Göran, PETTERSSON, Thorleif (red.), Folkkyrkor och religiös pluralism – den nordiska religiösa modellen, Stockholm, Verbum, 2000
-HAMBERG, Eva M., PETTERSSON, Thorleif, “The Religious Market: Denominational Competition and Religious Participation in Contemporary Sweden” in Journal for the Scientific Study of Religion, vol. 33, nr. 3
-HERVIEU-LEGER, Danièle, La Religion pour mémoire, Paris : Cerf, 1993
-OTTOSEN, Knud, A Short History of the Churches of Scandinavia, Århus, 1986
-PETTERSSON, Thorleif (ed.), Scandinavian Values: Religion and morality in the Nordic countries, 1994
-RYMAN, Björn (dir.), Nordic Folk Churches. A Contemporary Church History, Grand Rapids, Conn., Cambridge, UK, William B. Eerdmans Publishing, 2005

 

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