L’église de Jakob à Oslo, église luthérienne construite en 1880, a perdu en 1985 sa paroisse, à la suite à la baisse importante du nombre de paroissiens dans la capitale norvégienne. Alors qu’il est prévu de détruire le lieu, l’association « l’Atelier culturel ecclésiastique » (Kirkelig Kulturverksted) parvient à obtenir de louer l’église pour la transformer en scène artistique et culturelle. Cette association, qui existe depuis 1974, a de nombreuses missions culturelles, depuis la production d’albums de musique jusqu’au conseil aux paroisses en matière d’art, d’architecture et de décoration d’intérieur.
Le 20 février 2000, l’église culturelle de Jakob (Kulturkirken Jakob) est inaugurée et constitue depuis un lieu sans équivalent en Norvège : à la fois espace culturel et église consacrée. Lors de l’inauguration, l’évêque Gunnar Stålsett évoque le désir de créer de nouvelles rencontres entre l’Eglise et la culture, cruciales pour la foi chrétienne : « L’Église de Norvège a besoin d’un endroit où la transmission de l’évangile, de la foi chrétienne et la tradition puisse être pensée de manière nouvelle. Nous avons besoin d’un endroit où le désir religieux contemporain est pris au sérieux et où de nouvelles formes d’expression peuvent unir tradition et renouveau. Nous avons besoin d’un travail expérimental sérieux qui prenne aussi au sérieux ce que nous appelons volontiers la spiritualité de la société postmoderne. Nous avons besoin d’un endroit où la culture a une valeur propre, et où le challenge critique envers les traditions et les formes de travail ecclésiales n’est pas ressenti comme une menace ». Au fil de ses dix premières années d’existence, Kulturkirken s’est progressivement imposée comme un lieu culturel et artistique respecté et connu des artistes et du public de la capitale norvégienne.
Afin d’en savoir davantage sur cette église exceptionnelle, nous avons posé quelques questions à Berit Hunnestad qui s’occupe notamment de la programmation d’art contemporain de l’église culturelle, par le biais, entre autres, d’expositions temporaires ; elle se charge également de mettre en relation des artistes et des paroisses dans le cadre de projets artistiques et architecturaux.
L’église de Jakob dans le centre d’Oslo – aussi appelée "L’église culturelle de Jakob"
© David Castor, source : wikipedia
Pouvez-vous décrire votre travail pour l’« atelier culturel ecclésiastique » (Kirkelig Kulturverksted) ?
J’y travaille depuis 25 ans, je suis responsable de projets pour le domaine artistique, les expositions et le graphisme des CD que nous produisons. Nous travaillons avec des artistes, des architectes, des décorateurs d’intérieur et des designers, selon les tâches que nous avons à accomplir.
D’où vient l’idée d’organiser des expositions dans l’église de Jakob d’Oslo ?
L’« atelier culturel ecclésiastique » (Kirkelig Kulturverksted) a toujours travaillé avec des expressions artistiques différentes en lien avec l’église et son espace. Quand nous avons loué l’église de Jakob et l’avons transformée en une église culturelle, il était naturel d’accueillir aussi dans cette espace religieux l’art visuel, au lieu d’utiliser uniquement l’espace pour des concerts et des représentations.
Pourquoi est-ce important d’ouvrir les portes d’une église à l’art contemporain ? Quel est le rôle de celui-ci pour l’Eglise et la foi chrétienne ?
Si l’on veut être une église vivante, on se doit de s’ouvrir vers le monde. Ceci vaut pour l’art contemporain qui à sa manière interprète le temps et les courants de la société. Faire rentrer l’art contemporain dans l’église fait qu’il est envisagé dans un contexte qui peut faire naitre – à la fois chez ceux qui sont dans l’Eglise et chez ceux qui en sont à l’extérieur – de nouvelles réflexions tout autant sur la foi que sur l’humain. L’art contemporain peut provoquer, surprendre et ouvrir à de nouvelles pensées.
Affiche de l’exposition "Mon Dieu, mon Dieu…", Oslo, Kulturkirken Jakob, 2003 œuvre d’Aslak Høyersten, Fight Night, 2003 Du 11 mai au 8 juin 2003, les quelques 7000 visiteurs de l’exposition ont découvert des œuvres sur le sentiment de l’absence de Dieu, le titre faisant référence à l’exclamation de Jésus sur la croix : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ?". Les artistes participants ont pensé cette absence et ses conséquences pour la vie : comment vit-on dans une réalité que Dieu a déserté, un monde qui semble dépourvu de sens, de valeurs et de buts collectifs ? Artistes participants : Jeannette CHRISTENSEN, Ingrid BERVEN, Stefan OTTO, Aslak HØYERSTEN, Geir M. BRUNGOT, Grete Charlotte LARSEN, Laila KONGEVOLD, Beate PETERSEN Commissaire de l’exposition : Erlend G. HØYERSTEN |
Est-ce que le statut spécial de l’église de Jakob – c’est une « église culturelle », spécifiquement dédiée à la culture contemporaine et n’ayant pas de paroisse attitrée – rend cette ouverture plus facile ?
L’église culturelle de Jakob (Kulturkirken Jakob) est une église consacrée, pendant l’automne et le printemps la messe y est célébrée chaque dimanche soir par des prêtres-étudiants. Que l’église soit encore un lieu consacré est important pour nous, car de cette façon l’espace continue à avoir une dimension plus profonde, à laquelle nous nous devons d’avoir une relation. Cela peut à la fois créer de la résistance et renforcer les expressions artistiques installées dans cet espace. Ce qui rend notre travail plus facile, c’est qu’il n’y ait pas de paroisse attitrée à l’église, célébrant les services traditionnels ou utilisant l’église pour les baptêmes ou les funérailles. Grâce à cela, nous avons la possibilité de travailler à des projets qui requièrent une utilisation de l’église dans un temps long.
Avez-vous besoin de l’autorisation de la hiérarchie religieuse pour les expositions temporaires ? Comment décririez-vous la relation de l’association avec les autorités ecclésiastiques ?
Nous travaillons dans ce domaine depuis de nombreuses années, et à travers ce travail et cette durée, nous avons obtenu une très bonne confiance au sein de l’Église. Nous sommes plutôt libres de faire ce que nous voulons et nous n’avons pas à chercher à faire passer nos projets par l’intermédiaire du système ecclésiastique. Cela ne signifie pas que nous sommes tous d’accord ou que nous aimons tout ce qui se fait, mais nous avons un vaste « terrain de jeu ».
Le fait que les usages de cette église soient tellement orientés vers les manifestations culturelles contemporaines, n’est-ce pas courir le risque de la « trivialisation » de l’espace religieux de l’église ? Par exemple, quand toutes les chaises sont enlevées pour laisser tout l’espace liturgique aux œuvres d’art, l’intérieur de l’église-de-Jakob me fait penser à celui de l’espace d’art contemporain « Nikolaj » à Copenhague, une ancienne église, convertie en lieu d’exposition.
Du moment que l’église est toujours consacrée et qu’elle est utilisée pour la messe, l’église-de-Jakob restera avant tout une église et non pas un espace d’exposition sécularisé. C’est la différence avec l’espace d’art contemporain « Nikolaj » de Copenhague, dont vous citez l’exemple.
Affiche de l’exposition "Eglise de toutes les stars" Kulturkirken Jakob, Oslo, 2005
Cette exposition éclectique, organisée par Laila Kongevold (artiste) et Erik Hillestad (directeur de Kirkelig Kulturverksted), portait sur le thème du statut d’icône, de Jésus et Marie à Elvis et Marilyn Monroe, en passant par chacun d’entre nous… le tout à travers des performances, des installations interactives, des vidéos, des sculptures, etc.
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Quand des expositions ont lieu dans l’église, les services sont-ils célébrés ? Si oui, les œuvres sont-elles « incorporées » au sermon ou à la liturgie ? Je pose cette question car lors de l’« Année de l’Art » dans l’église saint-Jacob de Stockholm, les œuvres installées dans l’église étaient utilisées pendant la liturgie et les artistes étaient invités à participer à l’organisation du service [cf. à ce sujet l’entretien avec Eva Asp].
Quand l’église est équipée, que ce soit pour une exposition, une représentation ou un concert, l’espace est utilisé tel qu’il est pour la messe du dimanche. Comme dans l’église saint-Jacob de Stockholm, le cadre tel qu’il est est souvent directement intégré à la messe et il y a souvent un travail en commun entre les artistes et les prêtres sur le contenu ou la trame de la messe.
Comment définissez-vous la place de l’église culturelle Jakob sur la scène de l’art contemporain d’Oslo ?
Dans la ligne de ce que j’ai dit avant, la différence est que nous sommes une église ; mais de la manière dont nous l’envisageons, tout le monde a une place dans la maison de Dieu. Nous avons des possibilités et des contraintes comme toutes autres scènes d’art contemporain.
Avez-vous des informations sur la manière dont sont reçues les expositions d’art contemporain ?
Les importantes expositions d’art contemporain que nous avons eu dans l’église ont recu un bon accueil dans les médias. Elles ont aussi créé des débats, ce que nous considérons comme positif. La même chose vaut pour les autres arrangements et représentations qui ont lieu dans l’église culturelle.
Savez-vous de qui se constitue le public ?
De tous les types de personnes.
Quelle réaction obtenez-vous de la part de l’Eglise ?
Grosso modo une bonne réaction.
Affiche de l’exposition "Visages de Dieu", Oslo, Kulturkirken, 2008 œuvre de Jone Kvie, L’Astronaute, 2006 A partir de la question suivante : "Sommes-nous ouverts à de nouvelles interprétations iconographiques de la figure du Christ, ou de l’image de Dieu ? les artistes ont exploré deux autres questions : Quelles sont les représentations de Dieu dans l’Eglise aujourd’hui ? et, Quelles sont les attentes concernant la représentation de Dieu ? Artistes participants : Siri HERMANSEN, Michal NYGREN, Gardar Eide EINARSSON, Banks VIOLETTE, Jone KVIE, Morten VISKUM, Nan GOLDIN, Roald ANDERSEN Commissaire de l’exposition : Erlend G. Høyersten |
Et quelle est la réponse du côté du monde de l’art ? Les expositions de l’église culturelle sont-elles relayées par les journaux dédiés à l’art ?
Il y a une grande concurrence au niveau de la place disponible dans les média culturels. Quelque fois on parle beaucoup de nous et d’autres fois moins. Quelques-uns de nos grands projets ont été repris dans les médias aussi bien en Norvège qu’à l’étranger, comme par exemple dernièrement l’église de Mortensrud.
En ce qui concerne le rôle de l’« Atelier » en tant que consultant en art pour les églises, pourquoi est-il important, selon vous, que les paroisses viennent prendre conseil auprès de vous ?
L’« atelier culturel ecclésiastique » (Kirkelig Kulturverksted) est un endroit où l’on peut obtenir des conseils et de l’aide pour différentes choses que l’on souhaite renouveler ou changer dans une église. Cela vaut pour tout : des textiles à la décoration en passant par toutes les solutions pour une chapelle ou une église. Nous avons commencé très tôt en mettant en relation des personnes venant d’horizons artistiques ou professionnels différents pour résoudre de grands projets dans un travail d’équipe.
Quel est la ligne suivie – s’il y en a une – par l’« Atelier » en matière d’art d’église ? Des choix « sûrs » sont-ils préférés ou au contraire, préférez-vous les projets qui prennent des risques ou comportent des défis ?
C’est la nature de la mission qui détermine l’expression et la solution. Quelque fois le résultat est « sûr » et beau, d’autres fois il est difficile et surprenant.
N’est-ce pas, finalement, souvent les mêmes artistes qui reçoivent des commandes et travaillent pour des églises par l’intermédiaire de l’« Atelier » ? Si oui, pourquoi ?
Nous avons travaillé avec certains artistes pendant très longtemps. Ceci à avoir avec le fait que nous travaillons bien ensemble et que nous estimons que c’est intéressant et inspirant de développer ce travail d’équipe au fil des années.
Est-ce facile de trouver des artistes qui veulent travailler pour et avec l’Eglise ?
Oui, nous n’avons jamais eu de problèmes. Et nous essayons aussi d’inclure de jeunes artistes.
Est-ce que vous voyez une tendance au sein des conseils paroissiaux à préférer les artistes confirmés qui ont déjà remporté plusieurs succès avec des commissions religieuses antérieures, par exemple Gunnar Torvund ? Ou est-ce que les conseils paroissiaux qui consultent l’« Atelier » sont prêts à prendre des risques ?
Il peut y avoir une tendance selon laquelle les artistes qui ont réalisé des décorations d’église par le passé soient plus facilement préférés pour les nouveaux projets. Ce n’est pas forcément un désavantage d’avoir recours à des artistes qui ont de l’expérience en matière d’art d’église de par leurs précédents projets. On voit tout autant le contraire se passer : de nouveaux artistes obtiennent d’importantes commissions religieuses. Quand vous faites allusion à Gunnar Torvund, il faut rappeler que l’une de ses premières commissions pour une église a été le plus grand débat sur l’art d’église de son temps, avec son Christ nu, souffrant et humain, fixé sur une planche de bois sans croix. C’était une interprétation que beaucoup jugeaient comme provocatrice et difficile à accepter.
Merci.
Entretien réalisé par Caroline Levisse, par courriel – mai-août 2010
Traduit du norvégien
Informations pratiques – Kulturkirken Jakob, Oslo
Adresse : Hausmannsgate 14 / Postboks 4684 Sofienberg / 0506 OSLO
Site internet : http://www.kkv.no