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L’harmonie céleste ou la musique des sphères

La situation de l'orgue en tribune, symboliquement placé entre terre et ciel, justifie-t-elle à elle seule que l'on s'intéresse à l'harmonie qui se dégage de la musique des sphères célestes ? Nous laissons nos lecteurs en juger... Toutefois, il nous semble opportun de citer en préambule un extrait de la Lettre de Jan-Paul II aux artistes (avril 1999) : « (…) devant le pouvoir mystérieux des sons et des paroles, des couleurs et des formes, vous avez contemplé l’œuvre de votre inspiration, y percevant comme l'écho du mystère de la création, auquel Dieu, seul créateur de toute choses, a voulu en quelque sorte vous associer. »
Publié le 19 février 2014

église Saint-Louis de Vincennes

Boèce (dans l’«Institution Musicale» – 510 après J-C) propose la hiérarchie ternaire suivante pour la musique :

  • la musica mundana, au niveau macrocosmique, en est la forme la plus parfaite ; illustrée par l’harmonie des sphères, elle préside à la mécanique céleste et à l’harmonie de l’Univers ;
  • la musica humana, au niveau microcosmique, réalisée par l’être humain dont le corps et l’âme sont accordés : « quiconque descend en lui-même la comprend », disait Boèce ;
  • la musica instrumentalis, musique audible dépendante de la matière qui la fait résonner.

Voici donc une brève excursion dans l’harmonie des sphères.

Pythagore étudia les rapports numériques régissant les intervalles musicaux. Considérant l’harmonie de l’Univers, il fut le premier à ramener les mouvements des sept planètes au rythme et à l’harmonie musicale. Nombreux sont ceux qui, à sa suite, tentèrent de décrypter l’harmonie de la mécanique céleste.

orgue de l’abbaye de Mondaye (Calvados)

Les premiers pythagoriciens échafaudèrent plusieurs modèles, tantôt géocentriques, tantôt héliocentriques ; en voici quelques jalons :

  • Pythagore (VIème – Vème siècle avant J-C) considère que les planètes tournent autour de la Terre à des vitesses constantes, suivant des orbites dont l’espacement obéit aux mêmes rapports numériques que les intervalles de la gamme ; chaque planète émet donc un son qui lui est propre, la distance Terre – Lune donnant la valeur unitaire d’un ton.
  • Philolaos de Crotone (Vème siècle avant J-C), met le Soleil au cœur du  monde : il est le chef de chœur des Muses, dont la musique constitue l’harmonie des sphères. La distance Terre- Lune, valant toujours un ton, il obtient un ordre des planètes qui sera pratiquement stabilisé pour des siècles :

Terre – Lune – Mercure – Vénus – Soleil – Mars – Jupiter – Saturne

Pour arriver au nombre 10 (somme des quatre premiers nombres), Philolaos introduit un feu central au tour duquel tourne la Terre, ainsi qu’une anti-Terre (Antichthon), planète cachée, en rotation également autour du feu central.

  • Platon (Vème siècle avant J-C) place les planètes (dans un ordre qui lui est propre) sur des cercles concentriques à la Terre, dont les rayons sont proportionnels aux nombres 1, 2, 4, 8, 9, 27. On retrouve par ce biais une échelle musicale de quatre octaves et une sixte majeure.
  • Ptolémée (IIème siècle), dont on peut regretter qu’il ait figé le système géocentrique pour plusieurs siècles, met en relation la distance angulaire des planètes sur la sphère céleste : 60° = une seconde  – 90° = une quarte – 120° = une quinte – 180° = une octave.

Depuis le Haut Moyen-Âge et jusqu’à la Renaissance, malgré la suprématie de la vision de Ptolémée, soutenue par l’Eglise, les constructions harmoniques vont s’affiner ; en voici les principales évolutions :

  • Les néoplatoniciens (Plotin au IIIème siècle puis surtout Boèce au VIème siècle) vont donner à la musique ses lettres de noblesse en l’associant, au sein du quadrivium, à l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie. L’ordre du monde est entièrement subordonné au Principe supérieur, l’Un. L’univers se déploie en une quadruple hiérarchie : l’Intellect cosmique, l’Ame cosmique (dont les planètes), le Règne de la Nature (monde terrestre) et le règne de la Matière ; l’homme est invité à rechercher l’union mystique avec le centre de l’Univers. La gamme musicale des planètes est descendante au fur et à mesure de leur éloignement de la Terre, de la Lune jusqu’à Saturne.
  • Au XVIème siècle, Copernic développe l’argumentation suivante : Dieu est infini, donc sa création l’est aussi ; il n’y a pas de centre dans l’infini, donc la Terre ne peut être au centre. Il admet toutefois que le Soleil, au centre du système planétaire, est probablement le centre de l’Univers…

« Scenographia systematis Copernicani » (Andreas Cellarius 1661)

C’est principalement à Kepler, au début du XVIIème siècle, que l’on doit l’achèvement de la conception harmonique de l’Univers. Le Soleil est le moteur du mouvement des planètes : celles-ci tournent en orbite elliptique autour du Soleil qui occupe un des foyers. Kepler établit une relation entre le demi-grand axe (a) de l’orbite planétaire et sa période de révolution (T) : plus la planète est éloignée du Soleil, plus son déplacement est lent. La vitesse angulaire de la planète, mesurée en secondes de degré par jour, fournit la fréquence de la note émise par la planète.

Cette vitesse angulaire n’étant pas constante pour une planète (elle passe par un minimum au point le plus éloigné du Soleil – l’aphélie – et par un maximum au point le plus proche – périhélie -), la planète émet une mélodie dont l’ambitus est fonction de l’excentricité de l’orbite. Ce qui est remarquable, c’est que les rapports entre aphélie et périhélie de chaque planète coïncident avec les rapports de fréquence des intervalles musicaux (octave, sixte, quinte et quarte).

 

François MAZOUER

 

Bibliographie : L’harmonie des sphères (D.PROUST / Seuil)

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