La programmation du festival s’articule autour de trois pôles : l’orgue, les concerts, les conférences.
J’aimerais vous parler brièvement de l’orgue, puis du programme du concert de clôture du festival 2010, associé à une conférence donnée par le musicologue Gilles Cantagrel.
Gilles Cantagrel
1.L’orgue
Centre d’intérêt majeur du festival, il suscite, outre les récitals, une académie dirigée par Helga Schauerte, qui se déroula cet été entre le 4 et le 9 août 2010, dont le thème était « Bach et ses élèves ». Trois disciples étaient à l’honneur cette année : Wilhelm Friedmann Bach (1710-1784), Johann Ludwig Krebs (1713-1780) et Gottfried August Homilius (1714-1785), titulaire de la tribune de la Frauenkirche à Dresde. Ce fut l’occasion de fêter le tricentenaire de la naissance de Wilhelm Friedmann, fils aîné du cantor, et de rendre hommage à son talent de compositeur.
La 5e académie d’orgue accueilla des stagiaires, qui travaillèrent à Pontaumur et prirent part au festival. Cette année il mit à l’honneur Bach le pédagogue, pour lequel l’héritage et la transmission de son art étaient essentiels : la technique de l’orgue, l’harmonie, la composition. Parfois l’on confond les œuvres du maître et de l’élève, comme par exemple le choral Schmücke Dich , o liebe Seele BWV 759, attribué pendant longtemps à J.S. Bach, mais dont l’auteur est en fait Homilius.
Des visites de l’orgue et de l’atelier de François Delhumeau sont organisées régulièrement en milieu scolaire ou pour les habitants de la région. Elles permettent au public de découvrir la mécanique d’un orgue, sous tous ses angles, de l’intérieur, sous sa face cachée.
Des solistes de l’Europe entière viennent toucher l’instrument de Pontaumur, dans le cadre du festival ou en dehors, ce qui donne un rayonnement incontestable à la ville et à la région.
2.Le concert de clôture du 14 août 2010 [ Ecoutez l’extrait sonore ]
L’articulation entre les conférences et les concerts est l’une des forces de ce festival. Gilles Cantagrel donna le samedi 14 août, à 16h, une conférence qui présentait les deux cantates chantées le soir-même : Die Elenden sollen essen (Les pauvres mangeront) BWV 75 et Die Himmel erzählen die Ehre Gottes (Les cieux racontent la gloire de Dieu) BWV 76.
Sa conférence, vivante, intéressante et enthousiaste, était agrémentée d’extraits sonores des deux cantates, interprétés en direct par les musiciens. Ces allers-retours entre le discours et la musique donnaient du relief et du dynamisme aux explications esthétiques de l’orateur, qui nous montra que la cantate luthérienne est une prédication, tout autant qu’une œuvre musicale.
Je ne peux que vous renvoyer à l’étude approfondie de Gilles Cantagrel sur les cantates de Bach, ouvrage paru dans l’année : Les cantates de Bach, Fayard, 2010.
Mon propos, beaucoup plus modeste, souhaite vous inciter à écouter ou réécouter ces chefs d’œuvre.
Bach composa ces deux cantates lors de son arrivée à Leipzig, le 23 mai 1723. La cantate BWV 75 fut donnée le dimanche 30 mai à l’église Saint-Nicolas et la cantate BWV 76, le dimanche 6 juin, à l’église Saint-Thomas. Très proches dans le temps, elles revêtent un caractère gémellaire dans la structure et dans la conception : constituées chacune de deux parties de sept sections, ce qui fait quatorze numéros au total, avec un choral conclusif dans chaque partie, et une sinfonia instrumentale qui ouvre le second volet.
Le cantor met un point d’honneur à offrir aux deux églises principales de Leipzig une musique parée d’éclat et de beauté, mais aussi hautement signifiante sur le plan liturgique. Ces cantates sont aussi pour lui un nouveau départ, elles montrent son talent musical et sa science théologique, en un mot, elles lui permettent de répondre à sa vocation quelque peu occultée pendant les années passées à Coethen, entre 1717 et 1723 : écrire pour Dieu, en son honneur et pour sa gloire, et réactualiser le lien intrinsèque entre sa foi luthérienne infaillible et l’exercice de son art.
Pour Bach, composer, c’est prêcher, à l’égal du pasteur : verbe et musique se complètent et se magnifient l’un l’autre.
Pour illustrer l’extrait sonore que je vous propose d’écouter, je vous présente brièvement la Cantate BWV 176. « Les cieux racontent la gloire de Dieu », sur un texte qui médite les deux lectures du jour :
Luc, 14, 16-24, relate l’invitation de Dieu à un repas de fête, déclinée par de nombreux chrétiens, trop occupés par les affaires du monde. Saint-Jean (1ere épître 3, 13-18) incite les hommes à aimer en actes et en vérité, en combattant le mal qui envahit le monde.
L’extrait sonore proposé constitue les numéros 5 à 7 de la première partie.
Une aria de basse, accompagnée par la trompette et la basse continue, contribue à exterminer ceux qui vénèrent les idoles, et succède à un récitatif où le Mal, incarné par la figure de Bélial, était puissamment suggéré. La voix de basse, symbole d’autorité, de paternité, représente Dieu, le Christ ou celui qui parle en son nom, comme le prophète.
La colère éclate au début de l’air de forme da capo : « Fahr hin, abgöttische Zunft ! » (Passe ton chemin, ô gent idolâtre !), puis le recours au Christ, « lumière de la raison », vient apaiser cette fureur initiale, dans un tempo plus lent, avant la reprise de la section initiale.
L’alto intervient dans le récitatif et l’arioso suivants, dans un climat de recueillement et d’humilité, pour répondre à l’appel de Dieu, qui nous éclaire et nous donne vie. La voix d’alto, « innere Stimme », voix intérieure, incarne l’âme affligée, la souffrance du chrétien.
Le choral qui achève la première partie s’appuie sur la première strophe du choral homonyme de Martin Luther, dont la musique fut composée par Matthias Greiter, un de ses collaborateurs.
Les périodes du choral sont intégrées à un morceau de style concertant, où le soprano et la trompette dialoguent tour à tour, sur une basse obstinée.
En voici le texte, qui implore la bénédiction et la protection de Dieu, le seul sauveur.
« Que Dieu veuille nous être propice
Et nous donner sa bénédiction ;
Que sa face, dans une vive lumière
Nous illumine pour la vie éternelle
Afin que nous connaissions son œuvre
Et ce qui lui est agréable sur terre
Et que le salut et la force de Jésus-Christ
Soient connus des gentils
Et les convertissent à Dieu. »
(traduction : Gilles Cantagrel)
Avec mes souhaits de bonne écoute et d’agréable lecture !
Pascale Guitton-Lanquest, le 09 décembre 2010