J’eus le bonheur d’assister à une conférence donnée par le grand musicologue Gilles Cantagrel,
le 14 août, qui présentait les deux cantates de Leipzig données au concert de clôture le même soir : Die Elenden sollen essen, BWV 75 (Les pauvres mangeront) et Die Himmel erzählen die Ehre Gottes, BWV 76 (Les cieux racontent la gloire de Dieu).
Voici les coordonnées de leur site : www.bachencombrailles.com
Pontaumur est une cité calme, un peu austère, juchée sur une colline du Puy de Dôme et dominée par son église, située au sommet de la bourgade escarpée. La commune se trouve en Auvergne, à une quarantaine de kilomètres de Clermont-Ferrand.
Eglise de Pontaumur, vue extérieure (c) Henri Bertand
Les Combrailles sont constituées par les vallées supérieures du Cher et de la Sioule : une région étendue, à cheval sur les départements de l’Allier, de la Creuse et du Puy-de-Dôme. Son activité est principalement agricole : élevage des bovins, de race charolaise surtout, transformation du bois et de l’acier. Le développement touristique de la région est dû à Vulcania, Centre Européen du Volcanisme, situé à trente kilomètres de Pontaumur.
Avant l’édification de l’orgue de l’église, aucune vie musicale ne venait animer cette région rurale, quelque peu retirée . Sous l’impulsion de Jean-Marc Thiallier, vétérinaire du terroir, mais aussi organiste talentueux, et avec l’aide de Didier Cultiaux, préfet de région, le Festival Bach en Combrailles vit le jour en 1999 et attire depuis son origine des auditeurs et des musiciens du monde entier. Il est désormais aussi réputé que son homologue, le Festival Bach de Saint-Donat (Drôme), qui lui servit de référence.
Aujourd’hui, je voudrais vous présenter l’orgue de l’église de Pontaumur, objectif majeur du projet, et son créateur, François Delhumeau.
Le mois prochain, je parlerai de la programmation du festival, espérant vous inciter, si vous êtes dans la région pendant le mois d’août, à prendre part à ce grand événement musical.
Genèse d’un orgue…
Je rendis visite à François Delhumeau, facteur d’orgues, à Babonneix, non loin de Bellegarde en Marche, où il réside et travaille.
Atelier de François Delhumeau (c) PGL
François Delhumeau dans son atelier (c) PGL
Sa vocation remonte à l’enfance : du côté de sa mère, la famille est mélomane, et son père, tel Albert Alain, père de Jehan , Olivier, Marie-Odile et Marie-Claire, construisit un orgue dans son garage, à La Rochelle, enseignant à son fils les arcanes du métier de facteur d’orgues. De même que dans la famille Alain, l’orgue était presque considéré comme un enfant de plus, il faisait partie du paysage familal.
Plus tard, François se forma en Allemagne, à Göttingen, pendant quelques années ; par goût pour la musique baroque de Buxtehude, J.S. Bach et les maîtres du Nord, il se spécialisa alors dans la facture d’orgue de Thuringe et d’Allemagne septentrionale.
L’Association Bach en Combrailles, née à l’automne 1998, permit de concrétiser les projets relatifs au Festival Bach et notamment, la construction d’un orgue dans l’église de Pontaumur. La commande de l’instrument eut lieu en 2002, et sa réalisation dura dix-huit mois ; Les organistes Marie-Claire Alain et Gottfried Preller l’inaugurèrent le 1er février 2004.
Le problème du choix du type d’orgue se posa, et il apparut clairement que l’instrument devait correspondre le plus possible au modèle qui mettait en valeur la musique de J.S. Bach, puisque le festival lui était destiné. Il est en effet impossible de construire un « orgue à tout jouer », et des choix esthétiques s’imposent d’eux-mêmes, déterminés par le projet musical d’ensemble. En outre, l’’Auvergne ne comportait pas encore d’orgue baroque allemand de ce type, tandis qu’elle est bien pourvue en instruments adaptés au répertoire romantique et contemporain.
A l’issue de recherches sur divers instruments allemands, le facteur d’orgues proposa de réaliser un instrument sur le modèle de l’orgue d’Arnstadt, petite ville située à quarante kilomètres de Weimar. Johann-Sebastian Bach obtint son premier poste à la Neue Kirche à l’âge de dix-huit ans, et y resta pendant cinq ans, jusqu’à son voyage à Lübeck, où il rencontra Buxtehude. En 1699 fut commandé le grand orgue de la Neue Kirche, au facteur Johann Friedrich Wender, de Mühlhausen en Thuringe. L’instrument devait comporter 21 jeux, sur deux claviers et un pédalier. Il fut achevé en juin 1703, ce qui signifie que le jeune Bach prit contact avec un orgue entièrement neuf lors de son arrivée à Arnstadt, en août de la même année.
Il ne reste malheureusement pas de trace du rapport d’expertise écrit par Bach sur l’orgue d’Arnstadt, mais on sait qu’il appréciait cet instrument et qu’il nourrissait une grande estime à l’égard du facteur d’orgues Wender : au tout début de l’année 1708, Bach avait conçu le projet d’un agrandissement de l’orgue de Mühlhausen par Wender, dont il reconnaissait les compétences dans l’élaboration des buffets d’orgues.
Orgue d’Arnstadt – (c) D.R
Au XIXe siècle, l’orgue initial subit maintes tribulations, avec le passage de 21 jeux à 55, pour le mettre au goût du jour ! Il devint un instrument symphonique, adapté au répertoire romantique, et Franz Liszt donna dessus des concerts en 1879 et en 1882.
L’instrument devenant déficiant, un nouvel orgue le remplaça en 1913, romantique, à traction pneumatique, construit par Steinmeyer, facteur bavarois. Les jeux originaires de l’époque de Bach, survivants au temps, furent marqués d’un B, initiale de Bach.
Puis en 1951, Albert Schweitzer, le célèbre biographe de Johann- Sebastian Bach, souhaita que l’église d’Arnstadt soit dotée d’un orgue conforme à celui qu’avait connu le cantor. Le facteur Schuke fit l’inventaire des tuyaux et des jeux de 1703, d’origine.
Le temps passa, puis en 1981, Gottfried Preller, titulaire de l’orgue, réactiva le projet : pour le 250e anniversaire de la mort de Bach, il fallait un orgue similaire à l’instrument d’origine.
A Arnstadt, l’orgue fut donc reconstruit entre 1997 et 1999, d’après l’instrument initial de 1703, à l’issue de recherches rigoureuses pour pouvoir restaurer l’orgue d’origine. Tous les tuyaux en bois de la pédale furent retrouvés dans un orgue quasi à l’abandon, au village de Horsmar, en Thuringe ; ils furent mesurés pour être élaborés à l’identique, sur le nouvel orgue d’Arnstadt.
La tribune supérieure accueillit l’orgue Bach, comme en 1703, avec la base des jeux de l’instrument Wender, et la première tribune garda l’orgue Steinmeyer, symphonique, entièrement restauré. Le facteur Otto Hoffmann mit à exécution le projet de restitution de l’orgue de Bach.
Deux claviers de 48 notes (du premier au cinquième do, sans premier do dièse), un pédalier de 26 notes, (du premier do au troisième ré, sans premier do dièse), 22 jeux… selon le style propre de facture d’orgues de la Thuringe, spécifique. Les autres provinces allemandes étaient dotées d’orgues différents, avec des variantes selon chaque région. La ville de Waltershausen contient le seul orgue à trois claviers de la Thuringe, qui est aussi le plus grand instrument de la région.
Nomenclature de l’orgue d’Arnstadt
Oberwerk (Grand orgue)
Principal 8’, Viole de gambe 8’, Quintadena 8’, Grobgedackt 8’, Gemshorn 8’, Quinta 6’, Octava 4’, Mixtur 4f 2’, Cymbel doppelt (cymbale) 1’, Trompete 8’.
Brust-Positif (Positif)
Principal 4’, Still-gedackt (bourdon doux) 8’, Spitz-Flöte 4’, Nachthorn 4’, Quinte 3’, Sesquialtera doppelt, Mixtur 3f 1’.
Pedal (pédalier)
Principal-Bass 8’, Sub-Bass 16’, Posaunen-Bass (basse de trombone)16’, Cornet-Bass 2’.
Accouplement à tiroir I/II
Pédale d’accouplement Oberwerk/pédale
Tremblant
Zimbelstern (Carillon)
Quinze des vingt-et-un jeux datent de 1703, et les six derniers furent refaits selon les plans et devis conservés aux archives d’Arnstadt.
L’orgue de Pontaumur imite fidèlement le modèle germanique et s’intègre parfaitement à la tribune de l’église, grâce à des dimensions adaptées. Un accessoire original, que l’on ne trouve qu’en Allemagne du Nord et en Thuringe, est le jeu de Zimbelstern, clochettes indépendantes, ajoutées selon les besoins musicaux, surtout pour le répertoire de Noël. Représentées par des étoiles tournantes, elles sont visibles sur la façade de l’orgue et donnent à la sonorité de l’instrument un reflet scintillant, une irisation particulière.
Précisons que le diapason était plus élevé en Allemagne qu’en France, aux XVIIe et XVIIIe siècles : l’orgue est donc accordé au « Chorton » (La 465 Hz), soit un demi-ton plus élevé que le diapason actuel.
Le tempérament, inégal, fut mis au point d’après Neidhart, et l’harmonisation fut réalisée par Berndt Kuhnel, spécialiste de l’harmonisation des orgues historiques d’Allemagne.
Orgue de Pontaumur – (c) D.R
Nomenclature de l’orgue de Pontaumur
Brustwerk (Positif : 480 tuyaux)
Principal 4’ (en façade)
Stillgedackt 8’
Spitzflöte 4’
Nachthorn 4’
Quinta 3’
Sesquialtera (2 rangs)
Mixtur 1’ (3 rangs)
Hauptwerk (Grand Orgue : 666 tuyaux)
Principal 8’
Gemshorn 8’
Viola da gamba 8’
Quintadena 8’
Gedackt 8’
Quinta 6’
Octave 4’
Octave 2’
Cymbel 1’ (2 rangs)
Mixtur 1’1/3 (3 rangs)
Trompete 8’
Pedalwerk (Pédalier : 104 tuyaux)
Subbass 16’
Principal Bass 8’ (façade)
Posaune Bass 16’
Cornet 2’
Accessoires
Zimbelstern C (Do Majeur) et G (Sol Majeur) avec étoiles tournantes (carillon)
Tremblant
Accouplements :
à tiroirs BW/HW
à tirasse mécanique BW/HW
Je vous propose d’agrémenter votre lecture par un extrait sonore : ici, le Prélude BWV 547, en Do Majeur, de Johann-Sebastian BACH, joué sur l’orgue de Pontaumur. La même pièce sera proposée sur l’orgue d’Arnstadt, dans le prochain article, ce qui permettra d’intéressantes comparaisons entre ces deux instruments, et montrera que la copie auvergnate du modèle thuringeois lui est parfaitement fidèle.
Avec tous mes souhaits de bonne écoute et d’agréable lecture !
Pascale Guitton-Lanquest
20 octobre 2010