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Le rouge, la pourpre et l’Esprit. En observant La Nona Ora de Maurizio Cattelan

On en a vu des images ! Celles qui ont fait le buzz ; et celles qui ont fait scandale. Elles frappent. Coup dur pour les catholiques atterrés ? Là, prenons le temps de la perception. Sur place. Corps à corps. Sinon on ne parle pas d’art mais de communication. Et c’est justement un des enjeux de cette œuvre d’art.
Publié le 14 décembre 2016

Il s’agit d’un mannequin aux vêtements emblématiques, immédiatement identifiables pour le monde occidental au moins. Son visage hyper figuratif achève l’identification : je reconnais le pape Jean-Paul II. Sur le mode réaliste, on tente de me « faire croire » à un événement moins burlesque que la chute d’un pot de fleur sur un passant, mais plus improbable : une météorite tombe du ciel sur le pape ! Elle est en train de l’effondrer : ses épaules ne touchent pas encore le sol.

Où est l’art ? Car tout a été acheté dans les meilleures boutiques, de l’anneau pontifical aux chaussures ; et les cheveux sont naturels. Une pierre volcanique imite la météorite. Certes, le visage et les mains ont demandé un savoir-faire exceptionnel, celui d’ordinateurs transformant une photographie en image 3D et de sculpteurs dignes du musée Grévin. Où est l’art ? D’abord dans la conception de l’œuvre comme dispositif. Comme déclencheur d’une relation éprouvante et de son interprétation. Car cette représentation ne provoque pas seulement l’émotion du sensationnel, elle requiert l’intelligence des sensations qui en refuse toute fascination. Elle émeut la pensée, pour que « amour et vérité se rencontrent » (Ps. 84,11). Dans une exposition intitulée Not afraid of love (1) !

A commencer par la mémoire. La Nona Ora me rappelle qu’en 1981, le Pape Jean-Paul II s’affaissait, touché de plusieurs balles. Enfin, détruit par la maladie de Parkinson, il est mort terrassé par une crise d’étouffement.

Mais ce pape à la brutale croix de la verticale et de l’horizon mondain de moquette rouge fait symbole. Son visage n’exprime pas la fausse douleur de la situation factice mais l’intense recueillement que les téléobjectifs des médias aimaient à exhiber. Une intimité qu’ils ont rendu familière voire emblématique. Paradoxal affleurement de l’intériorité devenu façade, masque, logo à faire monter l’audimat.

Ma foi chrétienne n’a que faire de la star fabriquée par les médias et idolâtrée par des foules « à tapis rouge. » La chute de l’idole exalte saint Jean-Paul II. Le saint « à l’image » du seul Saint. Voici l’homme, tombé sur le chemin du Calvaire, ridiculisé, torturé, ensanglanté. À la neuvième heure, il s’écriera : « mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné… » Cri d’angoisse ? Non, une prière, le début du Psaume 21, au sommet du Mystère quand est crucifiée l’image du Dieu invisible, Jésus.

Oui, « l’art est une sorte d’appel au Mystère. » C’est justement Jean-Paul II qui l’a dit. (Lettre aux artistes, Pâques 1999).

Le tapis rouge qu’on déroule et la pourpre – impériale ou cardinalice – se teintent de sang et de feu, aux couleurs de l’Esprit.

Père Michel Brière, Aumônier des Beaux-arts et au service du Monde de l’art

Suivez les pérégrinations artistiques du P.Brière sur L’Âme de l’art


1. Exposition de Maurizio Cattelan Not Afraid of Love

Jusqu’au 8 janvier 2017 à la Monnaie de Paris
11, quai de Conti, 75006 PARIS
Tous les jours de 11h à 19h, le jeudi jusqu’à 22h

www.monnaiedeparis.fr/fr/expositions/maurizio-cattelan

La Nona Ora, Maurizio Cattelan, 1999, Monnaie de Paris 2016 © Maurizio Cattelan
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