Le jazz inspiré de Yonathan Avishaï

Depuis le crépuscule jusqu'à la nuit odorante, la musique « sur laquelle Dieu danse quand personne ne le regarde » se joue en haut de la colline, au plus près des étoiles. Le chant des gabians et le murmure des grands pins balayés par le vent s’y mêlent librement. C’est ainsi que le pianiste Yonathan Avishaï inaugurait l’édition 2018 du festival de Jazz à Porquerolles, sur l’île du même nom. Récit et invitation au voyage musical...
Publié le 26 juin 2020

« Un bruissement du coeur dans le silence du corps » (1) : entre les murs du fort Sainte Agathe, seules résonnent les pulsations de la batterie, telles l’écho amplifié de son propre coeur. Bientôt soutenus par la voix grave de la contrebasse, les accords sensibles du piano viennent apaiser les remous émotionnels de Mood Indigo, reprise du célèbre morceau de Duke Ellington par Yonathan Avishaï. Depuis le crépuscule jusqu’à la nuit odorante, la musique « sur laquelle Dieu danse quand personne ne le regarde » (2) se joue en haut de la colline, au plus près des étoiles. Le chant des gabians et le murmure des grands pins balayés par le vent s’y mêlent librement. C’est ainsi que le pianiste Yonathan Avishaï inaugure l’édition 2018 du festival de Jazz à Porquerolles, sur l’île du même nom : mains frémissantes, regard intérieur, visage illuminé d’un fin sourire, n’est-il pas comme « l’homme en prière, cet arbre de gestes » , vibrant à l’unisson de son trio et de ses auditeurs dans l’émoi que leur prodigue sa musique ?

Quel est-il, ce geste du pianiste ? Profond, condensé, sans fioritures ni virtuosité inutiles, et pourtant d’une délicatesse infinie. Fenêtre ouverte sur le monde comme sur sa propre intériorité, broderie dessus-dessous qui tisse le ciel avec la terre et noue le corps à l’âme. Pas une note gaspillée, pas une once de bavardage, aucun pathos envahissant. Une musique nue, alternant exubérance de rythmes sautillants et mélancolie sourde de la plainte, comme l’indique le titre de son troisième album en trio, Joys and Solitudes. Une plainte liée, notamment, à ses origines séfarades yéménites, qui n’est pas sans faire écho à la douloureuse histoire afro-américaine du jazz ainsi qu’à la lente pérégrination du peuple juif en marche, conjuguée à une gaieté presqu’enfantine (Lya) qui fait le pas léger et donne envie de danser. N’est-ce pas là l’union des contraires réalisée, le balancement du swing marié au blues mélancolique manifesté en un appétit sensuel, au plus près du jaillissement de la vie ?

Les notes s’enchaînent, le temps s’égrène et la musique jaillit d’un silence qui n’est pas néant mais continuum pré-existant invitant au recueillement, toile de fond sous-tendue à la possibilité d’être pleinement. Rien qui pèse ni ne pose pour reprendre les mots de Verlaine.  Chaque note est comme sertie d’un écrin de silence lui permettant de se déployer en volume et en profondeur. A travers cette qualité de silence, Yonathan Avishaï sonde au plus intime du jeu et de l’écriture pour donner lieu à une pensée méditative en musique. Dialogue coeur à coeur, sa musique est cette oscillation fragile en quête de rencontre, comme le funambule sur sa corde vacille à chaque pas mais poursuit sa lancée sur le fil qu’il nous tend. Attente de ce qui vient : « Le plus beau moment d’un spectacle est celui qui le précède. Une scène. La silhouette d’un piano. La silhouette d’un pianiste. La silhouette d’un morceau… » écrit-il en ouverture de son prochain spectacle, « Pianiste », prévu pour novembre 2020. Habité par la magie de la scène, lieu de l’illusion théâtrale où les arts se combinent pour produire le sortilège, Yonathan Avishaï s’émerveille, toujours et encore, de cette durée éphémère et enchantée qu’est pour lui le jazz. Le sien danse d’un pied délicat.

Odile de Loisy

Notes

1- Michel de CERTEAU, La faiblesse de croire, Ed. du Seuil, Paris, 1987.
2- Alessandro BARICCO, Novecento : Pianiste, trad. Françoise Brun, Gallimard, Paris, 2002.
3- Michel de CERTEAU, ibid.
4- Paul Verlaine, « Art poétique » in Jadis et Naguère, Ed. Léon Vanier, Paris, 1884.

Pour en savoir plus

Site web de Yonathan Avishai

Le festival de Jazz à Porquerolles aura lieu cette année du 21 au 24 juillet 2020 : Informations au 06 31 79 81 90 ou par mail : jazzaporquerolles@live.fr

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