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Inspire, expire, espère !

Il y a dans ce Christ d'Arnulf Rainer, artiste viennois né en 1929, toute la violence radicale du Vendredi saint et la douleur muette du Samedi Saint. Paul-Louis Rinuy a choisi cette œuvre pour nous inviter à partager sa méditation artistique et spirituelle, et la contemplation de la mort et la vie si mystérieusement liés.
Publié le 15 avril 2022
Arnulf Rainer, Surillustration de la Bible, 1998 in A.R., La Bible Illustrations Surillustrations, éditions Cantz, 2000, n° 118, p. 266 © Arnulf Rainer

Traversé par une violente coulure rouge et bleue, ce visage nous fait face tranquillement, avec ses yeux empreints de douceur, d’humilité. Un corps, une tête plutôt, transpercée par la violence radicale de cette intervention picturale qui la fragmente en deux parties. La simplicité du cadrage en gros plan fait que nous ne pouvons échapper à ces yeux qui nous regardent comme nous les regardons.  Aujourd’hui, en ce Vendredi saint, Dieu, le Christ, est mort. L’office de la Passion, le seul dans toute l’année où le prêtre ne consacre pas le pain et le vin, commémore ce jour exceptionnel de la mort, physique, réelle et non symbolique, de Jésus, vrai Dieu et vrai homme. Cette surillustration du peintre viennois Arnulf Rainer (né en 1929), actionniste viennois qui fut dans les années 1950 et 1960 un des artistes les plus iconoclastes, donne à voir la violence, la douleur, l’horreur de cette mort. La mort, cœur renversé, corps étouffé. Inspirer, expirer, tel est l’impulsion de notre vie, dans un échange incessant avec le monde qui nous entoure. La mort arrête brutalement ce flux, ce rythme. Mais ce visage qui semble venir de si loin, où l’on croit reconnaitre telle ou telle peinture du Moyen Âge ou de la Renaissance sans vraiment pouvoir l’identifier, ne cesse de de s’adresser à nous. « Regarde-le qui te regarde », disait Thérèse d’Avila. La blessure centrale de l’œuvre réactive, mystérieusement, l’énergie même de ces yeux qui condensent toute une vie, toute une humanité.

Nous voudrions tant que la violence n’existe pas. Et nous rêvons de devenir imperméables à la souffrance, voire immortels. Nous imaginons que la toute-puissance de Dieu soit sans histoire, sans chemin, sans passion. Au centre du Triduum pascal, l’office de la Passion du Vendredi saint, le seul, l’unique, de l’année où le prêtre ne consacre ni le pain ni le vin, rappelle comme un fait brutal auquel nous ne pouvons échapper, l’absence de Jésus, la mort de Dieu. La fragilité essentielle de notre existence, dont la finitude se fracasse aux limites du monde, voilà ce qu’Arnulf Rainer nous donne ici à ressentir, à contempler.  Mais, au creux de cette image blessée, sourd la tendresse, l’humanité surhumaine d’un regard venu d’au-delà de la souffrance, et qui nous touche, nous bouleverse.

Inspirer, expirer : au rythme ordinaire de la vie, Arnulf Rainer décide d’ajouter, par la couleur et la violence même qui fend l’image, une voie, une voix nouvelle qui murmure :  Inspire, expire, espère !

Paul-Louis Rinuy

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