Voir toutes les photos

Evi Keller, des ténèbres à la lumière : la transmutation de la matière

Comme toutes les œuvres riches de sens et de pensée, les Stèles et voiles d'Evi Keller s’ouvrent à une lecture toujours renouvelée. En ce temps de Carême, où nous sommes tous appelés à la conversion, la symbolique d’un des matériaux privilégiés par l’artiste, le plastique, peut nous aider à enrichir notre méditation. Sur une proposition de Françoise Paviot, la parole est donnée à Evi Keller qui nous livre ses réflexions.
Publié le 27 mars 2021

Evi Keller, Matière-Lumière [Stèle], ML-V-20-0709, 2020 © Evi Keller

« Sur ces stèles – pages brûlantes gagnées par un feu intérieur, fines couches de glace bleuie, où il arrive qu’une tache de sang noircisse – Evi Keller écrit la mémoire des éléments primordiaux, l’eau des sources et des fleuves, le feu souterrain, la terre des forêts, l’air du ciel. Cette mémoire relie notre corps d’eau et de carbone aux plus lointaines étoiles de la galaxie.
C’est un voyage ancien qui ne fait pourtant que commencer.
»

Olivier Schefer

Installation Performance/Matière/Lumière d’Evi Keller, Nuit Blanche 2019, Saint Eustache, Paris © EVI KELLER

Le travail d’Evi Keller a fait l’objet, à l’occasion de la Nuit Blanche 2019, d’une importante présentation à Saint-Eustache, dont un Grand Voile qui a été accroché dans la nef. Comme l’ensemble de son œuvre, ce Grand Voile s’inscrit dans une démarche que l’artiste place sous la dénomination « Matière Lumière », un principe de transmutation qu’elle définit comme la transformation de la matière par la lumière.

Issu du carbone, ce matériau, souvent condamné à être un déchet, retrouve par l’intercession de la lumière une matérialité nouvelle qui se charge d’une dimension cosmique et spirituelle. L’œuvre alors nous émerveille, la surface gagne en profondeur et le regard se perd dans son cheminement.

Françoise Paviot

Evi Keller, Matière-Lumière [Stèle], ML-V-20-1017, 2020, détail © EVI KELLER

Evi Keller évoque le processus de transformation de « Matière-Lumière »

« Matière-Lumière incarne le principe cosmique de la transformation de la matière par la lumière. Cette création s’interroge sur le processus de substantialisation depuis l’origine de la création et l’apparition de ses formes dans le règne minéral, végétal, animal jusqu’à l’humain et l’univers. L’observation de l’interaction des quatre éléments primordiaux, l’eau, le feu (le soleil), l’air et la terre habite et anime depuis de longues années toute ma création. Les transitions de phase de l’eau, animés par des températures changeantes et par le vent, d’un état solide, la glace, vers un état liquide, l’eau, vers un état gazeux, l’Ether… m’ont fait prendre conscience d’un processus de transformations silencieuses, processus universel, révélation quasi mystique, qui se manifeste au plus profond de nous, au plus lointain de nous, à l’échelle infiniment petite et infiniment grande…

Magiques par leur fusion avec la matière qu’ils recouvrent, similaires aux transitions de phase de l’eau (état solide, liquide et gazeux), j’ai été guidée vers les films plastiques. Ces films ont la particularité extraordinaire de transformer la matière par interaction avec la lumière, ils l’emplissent de lumière, en un tout que je nomme Matière-Lumière… Les films plastiques portent en outre en eux un enjeu contemporain. Témoins de l’anthropocène, et issus de la transformation du pétrole créé au plus profond de la terre, ils contiennent du carbone né dans les étoiles et noyau essentiel de toute matière vivante sur terre. La substance originelle de ces films, recyclée sans fin et sans barrière d’espèces pour redonner la vie dans un processus d’un éternel recommencement, incarne ainsi la mémoire de centaines de millions d’années. Le pétrole, matière au cœur du drame écologique actuel, puits de carbone organique, détourné de son rôle protecteur de l’équilibre climatique, est transformé par l’homme en un matériau chimique inerte. Lorsque je transfigure ce matériau en œuvre d’art, il se régénère par son retour à la source redevenant organique et vivant… une transfiguration du traumatisme des destructions et des séparations dans notre monde, la victoire de la création sur la destruction, un retour au sacré, à la source, à l’unité. »

Evi Keller

Pour aller plus loin

– Pour retrouver l’intégralité de ce texte ainsi que d’autres informations sur la biographie de l’artiste : www.evikeller.com
A lire sur Art Interview
– A voir jusqu’au 17 juillet 2021 à la galerie Jeanne Bucher-Jaeger :  Stèles, une exposition personnelle de Evi Keller.
– En rappel, le travail de Evi Keller a été présenté, entre autres, à l’Eglise Saint-Eustache à l’occasion de la Nuit Blanche 2019.

Contenus associés
Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *