Les églises en bois debout (stavkirke) sont une spécificité architecturale de la Norvège où, à une ou deux exceptions près, on les y trouve toutes. Il y en a aujourd’hui environ 28 (les chiffres varient selon les sources de 25 à 29) qui sont toujours debout, ce qui est peu si l’on sait que le pays a dû compter quelques 1000 édifices de ce type. Le bois dont elles sont construites en a fait les proies faciles du feu, mais surtout, elles ont souvent été détruites volontairement pour permettre la construction de nouvelles églises plus grandes, plus lumineuses et plus sûres. Loin de se vouloir exhaustif, cet article est simplement l’occasion d’une courte présentation d’ensemble de ce type d’édifice religieux aux formes fascinantes et quelque peu mystérieuses… Pourquoi construire de fragiles églises en bois alors qu’à la même époque on construit ailleurs en Norvège des églises en pierre, bien plus solides et durables ? Et pourquoi ces étonnantes formes ?
Gol stavkirke – église en bois debout de Gol, aujourd’hui visible au Norsk folkemuseum, Bygdøy, Oslo © C. Levisse
– l’édifice date du 13ème siècle ; originellement l’église s’élevait à Gol, Hallingdal, mais au 19ème siècle, la paroisse ne pouvait que constater la détérioration du bâtiment et son inadaptation au besoin de la paroisse grandissante. En 1882 l’église en bois debout est déconstruite puis reconstruite quelques années plus tard sur l’île de Bygdøy dans la banlieue d’Oslo comme part intégrante du Norsk folkemuseum. Il y a quelques années, une copie de cette église a été érigé sur son lieu d’origine à Gol.
Le bois est un matériel abondant en Norvège et pour cela il n’est donc pas surprenant que jusqu’à la fin de l’époque médiévale, ont y construisit des églises en bois. Il faut également se souvenir que les habitants de la Norvège avaient développé durant l’Age viking une très grand maîtrise du travail du bois – leurs constructions navales ont emmené les Scandinaves par delà les mers. Par conséquent, ces églises sont des bâtiments profondément autochtones, ce qui apparaît encore plus nettement si on les compare aux églises de pierre bâties avec des techniques et des styles importés d’Angleterre, telle la cathédrale de Stavanger datant de la première moitié du 12ème siècle ou la vieille église d’Aker à Oslo qui date d’environ 1150 (gamle Aker kirke), deux édifices parmi d’autres, qui sont contemporains des églises en bois debout. Ces dernières affirmaient – et affirment toujours – une certaine identité scandinave.
« Stavkirke », le terme norvégien que l’on traduit en français par « église en bois debout » vient du norvégien « stav » (stafr en vieux norrois) qui signifie « pieu » et « kirke » pour « église » ; une étymologie qui fait référence aux poteaux de bois qui forment la structure architecturale de base de ces édifices. Originellement, les premières églises norvégiennes auraient été de simples édifices de bois, en palissade (des lattes de bois accolées les unes aux autres pour former un pan), aux poteaux enfoncés dans le sol. Cependant, l’humidité du sol entraînait le pourrissement du bois et mettait ainsi en péril la construction. La solution apportée fut de faire reposer les poteaux non plus à même le sol, trop humide, mais sur de la pierre (stolpekirke), puis – et c’est le modèle des églises en bois debout – ce parterre de pierre fut couvert d’une plateforme de bois, sur laquelle les poteaux de bois qui portent l’édifice pouvaient prendre appui.
Ces églises sont parfois très simples, humbles, à l’image de l’église en bois debout d’Haltdalen, qui date supposément de 1170. Ici, on voit bien le sous-bassement de pierre sur lequel repose les poteaux et la palissade de bois dessinant un édifice à nef unique surmonté d’un toit à pente lui aussi en bois. Mais ces édifices religieux peuvent aussi être grandioses, comme par exemple l’église en bois debout d’Heddal, dont l’élévation est prodigieuse.
Ci-dessus à gauche : église en bois debout d’Heddal / Heddal stavkirke
Ci-dessus à droite : plan au sol et élévation de l’église en bois debout de Gol (T. Prytz, 1883, source : wikimedia)
La structure de base des églises en bois debout, telles celles de Gol ou de Borgund, est un cadre de pierre sur lequel est posé quatre poutres en bois (disposées en #), et sur lesquelles viennent s’insérer les grands poteaux à la verticale, puis des poutres horizontales, la structure du toit et le clocher. Lorsque – à la différence de celle d’Haltdalen – l’église est haute, une telle structure n’est pas suffisante pour assurer son maintien à long terme ; en effet, l’église serait bien trop fragile et tomberait comme un fétu de paille face aux tempêtes de vent parfois extrêmement violentes en Norvège. D’où la présence et l’importance de quelques éléments que l’on confondrait facilement avec de la décoration, tels ces croisillons en forme de croix de saint André, parfois présents qui servent à renforcer la structure du bâtiment (photographie), ou cette galerie qui court tout le long de l’édifice au rez-de-chaussée, et dont le toit apporte quelque protection au mur en palissade. On a ensuite un deuxième niveau de toiture : la couverture des « bas-côtés » intérieurs qui encadrent la nef ; puis le troisième encore un peu plus haut, qui couvre lui la nef et enfin le(s) clocher(s) qui couronne(nt) l’édifice. C’est cette « avalanche » de toits de hauteurs et d’orientations différentes qui, il me semble, leur confère un caractère fascinant et quelque peu énigmatique puisque depuis l’extérieur, le novice aura probablement des difficultés à identifier la logique architecturale de ces bâtiments typiquement norvégiens. Pour Eva Valebrokk et Thomas Thiis-Evensen, la verticalité parfois impressionnante de certaines des églises en bois debout, ressort d’une volonté d’honorer Dieu et d’amplifier le caractère sacré du lieu, entre ciel et terre. Dans un sermon du 13ème siècle, il était dit que ces toitures, protégeant l’église des intempéries, « représentent les hommes … qui protègent le christianisme avec leurs prières, contre les tentations ».
L’intérieur des églises en bois debout peut être très sombre suite à l’absence de grandes fenêtres ; on peut imaginer que cette obscurité était favorable à l’entretien d’une atmosphère mystique et sacrée ; en rupture avec l’extérieur.
La plus grande église en bois debout, figurant dans tous les guides touristiques de la Norvège, est celle d’Heddal, dans le Télémark (voir une photographie), datant des 13-14ème siècles. Ci-dessous est reproduite une liste d’églises en bois debout que l’on peut voir en Norvège, principalement loin des milieux urbains (voir une carte ; chaque lien renvoie à une photographie) :
Borgund (après 1180)
Eidsborg (1250-1300)
Flesberg (après 1111)
Garmo (13ème siècle)
Gol (après 1216)
Grip (15ème siècle)
Haltdalen (avant 1200)
Hedalen – ou Hedal (après 1163)
Hegge (fin 12ème siècle)
Hopperstad (avant 1150 ?)
Høre (après 1179)
Høyjord (fin 12ème siècle et 13ème)
Kaupanger (1137)
Lom (après 1158)
Lomen (après 1179)
Nore (après 1166)
Reinli (après 1326 ?)
Ringebu (vers 1220)
Rollag (après 1425)
Rødven (12ème siècle)
Røldal (13ème siècle)
Undredal (fin 12ème siècle)
Urnes (après 1131) – patrimoine mondial de l’UNESCO
Uvdal (après 1168)
Øye (vers 1200 ?)
Gol stavkirke – église en bois debout de Gol : 1- galerie / 2- détail des reliefs ornant les pans de la porte / 3 vue du choeur © C. Levisse
Datées pour la plupart de l’époque médiévale (12ème et 13ème siècles), les églises en bois debout sont les témoins de la chrétienté florissante en Norvège, consécutive à la conversion au christianisme effective au 11ème siècle. Les portes des églises en bois debout sont traditionnellement richement ornées. Dans le bois sont sculptés des animaux fabuleux qui s’entremêlent à des formes ornementales ; ces éléments sont issus de l’âge viking et de la culture celtique. La présence dans la chrétienté médiévale en Norvège, d’une esthétique et d’un vocabulaire provenant de l’époque païenne ne doit pas surprendre puisqu’une telle combinaison est fréquente dans les périodes de transition pendant lesquelles les nouvelles croyances sont exprimées avec le langage et les codes visuels familiers, comme c’est par exemple le cas sur la pierre sculptée de Jelling au Danemark.
Aujourd’hui, certaines églises en bois debout demeurent des églises paroissiales et ont donc été continuellement en usage depuis leur construction (Flesberg stavkirke) ; d’autres sont des reconstructions contemporaines d’édifices précédemment détruits (Haltdalen stavkirke) ; certaines ne sont plus des églises consacrées et sont devenues des attractions touristiques majeures (Heddal stavkirke), parfois déplacées et introduites dans des parcs-musées (Gol stavkirke)… Quant à l’église en bois debout d’Urnes, elle est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Caroline Levisse
24 mai 2010
Sources :
Eva Valebrokk et Thomas Thiis-Evesen, De utrolige stavkirkene. Vår levende fortid, Oslo, Boksenteret, 1993
http://www.stavechurch.org : sur ce site internet, quelques pages en anglais qui fournissent une bibliographie intéressante et une introduction sur le sujet ; informations et bibliographies portant sur chaque église en bois debout norvégienne en bokmål.
Cf. par exemple les ouvrages de Håkon Christie ; Norske stavkirker, Oslo : Mittet, 1978 ; et Stavkirkene-Arkitektur ; Norges kunsthistorie, Vol. I, Oslo, 1981
+ La bibliothèque sainte-Geneviève, Paris, possède dans son fonds nordique quelques ouvrages sur le sujet, en français, anglais et bokmål