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Carl-Henning Pedersen dans la cathédrale de Ribe (Danemark, 1982-1987)

Lorsque cet artiste danois, membre du groupe Cobra, fut choisi en 1982 pour réaliser la nouvelle décoration du choeur de la cathédrale de Ribe, la polémique fut vive. Pourtant, et comme c'est finalement souvent le cas, une fois les oeuvres réalisées les critiques cessèrent et cette réalisation est désormais considérée comme exemplaire en matière d'art sacré au Danemark. (Photographie: W. Sauber)
Publié le 14 octobre 2009

 

L’intérieur de la cathédrale de Ribe, vue vers le choeur  © Malene Thyssen

 

  Le diocèse de Ribe, établi en 948, fut l’un des premiers diocèses du Danemark. En 1110 la construction de la première cathédrale de pierre commença à l’endroit où se trouve l’édifice actuel. Celui-ci est de style roman et est l’unique exemple danois de cathédrale ayant cinq vaisseaux (deux bas-côtés de chaque côté de la nef centrale). La Réforme, adoptée au milieu du 16ème siècle, eut pour conséquence la disparition des fresques murales, des vitraux, des retables et autres sculptures qui animaient l’espace liturgique. Aujourd’hui on peut voir quelques unes des fresques médiévales, mais la plupart d’entre elles ne furent pas remises à jour lors de la campagne de restauration du 19ème siècle (1882-1904). Il fut alors question de confier la décoration de l’abside du chevet au célèbre peintre Joakim Skovgaard (1856-1933), le concepteur, notamment, de l’impressionnante décoration de la cathédrale de Viborg, achevée en 1913. Mais le peintre était alors trop faible physiquement pour réaliser la commande pour Ribe ; les murs de l’abside demeurent donc vierges. En 1974, Paul Høm réalisa des vitraux pour le chœur, ce qui n’était pas suffisant. Le conseil paroissial continua donc de réfléchir à l’ornement de cet espace. Peu de temps après, le département du Musée national dédié aux affaires de l’Église en matière d’inventaire [« Nationalmuseets Særlige Kirkesyn »], recommanda le cas de la cathédrale de Ribe auprès du Fond national pour l’Art [« Statens Kunstfond »] dans l’objectif d’obtenir les subventions nécessaires.
 

  En 1982, le Fond national pour l’art accorda au conseil paroissial de la cathédrale de Ribe 750.000 couronnes danoises1 [100.562 €] et son directeur, Hans Edvard Nørregård-Nielsen nomma l’artiste à qui la décoration de l’abside sera confiée : Carl-Henning Pedersen (1913-2007). A l’annonce de cette décision une intense polémique démarra et se développa autour de plusieurs problèmes. L’artiste est imposé par une instance artistique qui se préoccupe peu, sinon pas du tout, des questions liturgiques ; il n’est ni croyant ni membre de l’Église évangélique luthérienne et ne dispose pas de connaissance en matière liturgique ; il est connu pour son style très moderne et ses sujets qui renvoient à une mythologie très personnelle, fabuleuse et parfois païenne…. Aux yeux de beaucoup, Carl-Henning Pedersen n’apparait donc pas du tout comme la personne idéale pour orner le mur du chevet de la cathédrale de Ribe. La polémique enfla et se propagea de la scène religieuse à la scène publique, quand bien même la plupart des opposants n’avaient encore aucune idée des plans de Pedersen pour cette réalisation.

  Pedersen fut lié au mouvement CoBrA et ses œuvres sont caractérisées par un style spontané et colorée, et des sujets fabuleux. Certes la mythologie qu’il met en scène peut apparaitre comme profondément personnelle, mais elle est plus que cela. A travers ses œuvres et ses « fables », Pedersen crée des « mythes silencieux », des mythes en images, qui portent en eux la possibilité de nous toucher tous. Quant à l’inquiétude portant sur le fait qu’il n’est jamais eu d’intérêt pour l’iconographie chrétienne, elle n’est pas vraiment fondée. Pedersen avait notamment une grande admiration pour les fresques médiévales danoises, au sujet desquelles il écrivit un texte en 1944, dans lequel il déclarait que de telles images chrétiennes, « autant du point de vue de la forme que du contenu, étaient apparentés à la peinture moderne que lui et ses amis pratiquaient. Le même langage formel complilateur [summarisk], le même accès légendaire [fabulerende] aux récits »2. Et en effet, les fresques de Pedersen qui ornent l’abside sont comme un écho du vestige d’une fresque médiévale qui se trouve à un autre endroit de l’église, représentant un petit être humain3. Ce qui unit ces deux œuvres, distantes de quelques siècles, c’est leur liberté par rapport à tout ancrage dans le monde réel. Les figures de Pedersen flottent dans un monde qui échappe à la gravité et à toutes autres circonscriptions terrestres, à l’image de la petite figure humaine peinte de l’ancienne fresque médiévale.

 

Vue du choeur de la cathédrale de Ribe avec les oeuvres de C.-H. Pedersen

© Malene Thyssen

 

  Les œuvres créées par Pedersen pour le chevet de la cathédrale de Ribe peuvent être divisée en trois registres, du haut vers le bas :
 

Les fresques qui ornent l’abside. Flottant sur un fond blanc, on trouve un cheval imaginaire (au centre, voir illustration ci-dessous), un bateau, un coquillage, une licorne, un oiseau bleu, des étoiles et d’autres êtres fabuleux. Ces représentations appartiennent au vocabulaire de Carl-Henning Pedersen, précédemment développé dans ses tableaux.

Ci-dessous : détails des fresques

© Wolfgang Sauber

 

 

  

 

Les vitraux. Si les figures peintes de l’abside se développent comme un hommage aux fresques médiévales, les vitraux sont, selon Mikael Wivel, un rappel de l’ornementation des églises gothiques avec leurs vitraux aux couleurs vives et puissantes. Effectivement, on peut imaginer sans difficulté que la cathédrale de Ribe était à l’époque médiévale ornée de vitraux colorés et figuratifs. L’historien de l’art danois en déduit que Carl-Henning Pedersen « souhaitait conférer à l’église quelque chose de sa splendeur originale »4. Ses vitraux, abstraits, portent des titres : De la terre au ciel, La légende bleue, Le Ciel et la terre, Le cœur rouge, et L’œil céleste5.

 

Vitrail du chevet  © Wolfgang Sauber

 

Les sept mosaïques du mur du chevet. Ces mosaïques sont placées à hauteur d’homme, directement derrière l’autel. Elles représentent La porte du ciel, Le calice de la vie, L’Ascension d’Elie, L’échelle de Jacob, L’Arche de Noé, Les parents suivent (avec une licorne), La lumière du ciel6. Pedersen a choisi de placer la représentation de l’échelle de Jacob au centre, affirmant ainsi la possibilité d’une communication entre le ciel et la terre, le divin et l’humain, le Dieu créateur et l’artiste…

 

Mosaïques du choeur  © Wolfgang Sauber

 

 

  Envisagée dans son ensemble, la création de Pedersen crée un contraste intéressant avec le reste de l’espace religieux, caractérisé par ses murs laissés blancs. Dans le chœur, les rituels liturgiques sont célébrés dans une explosion colorée, joyeuse et dynamique. On remarquera que la partie haute est consacrée à des représentations fabuleuses, fantastiques, qui ne sont pas spécifiquement chrétiennes, alors que le registre inférieur, celui que les fidèles peuvent regarder en détail, adresse des thèmes présents dans la Bible et donc par là chrétiens sans hésitation. En cela, on peut supposer que Pedersen a délibérément suivi l’organisation traditionnelle de l’ornementation de l’abside telle que l’on peut l’observer dans de nombreuses églises médiévales : le registre inférieur est consacré aux thèmes les plus proches de la sphère humaine (par exemple les saints) et plus l’on s’élève, plus les thèmes sont célestes (Christ en mandorle).

 

  Les œuvres de Carl-Henning Pedersen sont maintenant acceptées et l’ensemble est même considéré comme l’une des meilleures réalisations d’art sacré danois. L’histoire nous apprend donc – comme dans de nombreux autres cas – que l’artiste était digne de confiance et que ses choix stylistiques et iconographiques ont la possibilité de transcender leur époque et contexte de création et d’adresser les sensibilités présentes et futures. De façon générale, lorsque les artistes non-croyants acceptent une commande religieuse, ils le font en connaissance de cause et témoignent d’un grand respect pour le lieu de culte qu’est l’église. Carl-Henning Pedersen, d’ordinaire attiré par la mythologie païenne, comme dans le tableau intitulé L’adorateur de la lune (Månetilbeder, 1944), a adapté avec succès son vocabulaire au contexte sacré de la cathédrale de Ribe.
 

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Notes

1. Montant rapporté par Anne-Mette Gravgaard in Tro- Rum- Billede, Århus, 2002, p. 70
2. Mikael Wivel, Kunst i kirken, Copenhague, Thaning & Appel, 2005, p. 115
3. Cf. M. Wivel, p. 116
4. Ibid., p. 117
5. Titres donnés par Anne-Mette Gravgaard, 2002, op. cit., p. 70
6. Ibid., p. 70

 

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