Les synoptiques, et l’Evangile selon saint Jean, rapportent, tous quatre, l’entrée de Jésus à Jérusalem, par étapes successives, qui vont le conduire à purifier le Temple puis à y vivre les jours de sa Passion.
« Jésus durcit sa face et prit la route de Jérusalem » (Lc 9, 51)
Lors de la procession initiale du dimanche des Rameaux nous entendons la lecture de l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem. Dans l’Evangile selon saint Luc au chapitre 19, cette entrée se fait au terme d’un long voyage, en trois étapes, dont le point de départ est Jéricho.
Selon saint Luc, voyant enfin Jérusalem, Jésus pleure sur cette Ville parce qu’elle n’a pas reconnu le moment où Dieu, en sa personne, la visitait. Face à Jérusalem sur le Mont des Oliviers, l’église du Dominus Flevit, chère aux pèlerins, commémore ce moment (Fig 1). Comme le serviteur souffrant d’Isaïe (« j’ai rendu ma face dure comme pierre », Is 50, 7), Jésus a « durci sa face », car – il le sait – ce voyage le mènera à sa Passion. Mais son entrée messianique dans la ville de David s’est faite dans la liesse et les louanges.
La joyeuse entrée du roi Messie
« En ce temps-là, Jésus partit en avant pour monter à Jérusalem. Lorsqu’il approcha de Bethphagé et de Béthanie, (sur le versant Est du Mont des Oliviers.)… Il envoya deux de ses disciples, en disant : ‘Allez à ce village d’en face. À l’entrée, vous trouverez un petit âne attaché, sur lequel personne ne s’est encore assis. Détachez-le et amenez-le. Si l’on vous demande : ‘Pourquoi le détachez-vous ?’ vous répondrez : ‘Parce que le Seigneur en a besoin.’ » (Lc 19, 28-30)
Les évangélistes nous racontent l’entrée de Jésus à Jérusalem, comme une « joyeuse entrée » d’un roi dans une ville. Jésus se nomme lui-même « Le Seigneur ». Il est acclamé comme le roi de Paix, déjà annoncé lors de sa naissance par les anges aux Bergers : « Paix sur la terre et gloire au sommet des cieux » (Lc 2, 14). Jésus accomplit la prophétie de Zacharie, il est le roi Messie, celui qui restaurera définitivement la présence divine sur la montagne de Sion, lorsqu’il viendra « juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse » (Za 9,9.) Voici donc l’âne, la monture des patriarches et des sauveurs d’Israël, humble et doux, alors que le cheval est la terrifiante monture des guerriers.
L’iconographie de l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem remonte aux débuts des images chrétiennes sculptées sur les sarcophages (Fig. 2). Elle se déploie dans les enluminures (Syrie, Byzance…) puis en Occident (Duccio, Fra Angelico…) avec une remarquable permanence des images qui a perduré jusqu’à nos jours. Le Christ monte à califourchon de manière naturelle ou bien est assis, de face, comme un roi trônant. « Voici notre roi, doux et pacifique, assis sur un ânon, qui vient pour subir la Passion et éradiquer les passions » (Romanos le Mélode, Hymnes, XXXI, 2, 299)
Une étrange procession
Au Moyen Âge, au cours du dimanche des Rameaux, une sculpture du Christ monté sur l’âne pouvait, grâce aux quatre roues de son socle, être tirée en procession lors d’une liturgie stationnaire. Ces sculptures, pouvant aller jusqu’à une taille réelle, étaient répandues au Moyen Age principalement à l’Est de l’Europe, dans les pays germaniques, (dont certains en conservent toujours l’usage). On les nomme en allemand Palmesel ou Âne des Rameaux (Fig 2). Des sources écrites font mémoire de cette procession, dont la plus ancienne est un écrit de l’évêque Ulrich d’Augsbourg (Xe siècle) : Et cum effigie sedentis Domini super asinus, cum clericis et multitudine populi ramos palmarum in manibus portanantis. (Et avec une effigie du Seigneur assis sur un âne, accompagné des clercs et d’une multitude de gens du peuple portant des rameaux de palmes).
Le plus ancien exemple – conservé – de ces effigies (XIe siècle) se trouve au Musée de Zurich, il provient de Steinem en Suisse ; mais les musées conservent des pièces datant majoritairement de la fin du Moyen Age. Ce sont les seuls exemples de sculptures de processions ne contenant pas de reliques. La Réforme protestante puis la Contre-Réforme catholique, condamneront cette dévotion populaire, ainsi que l’introduction d’animaux dans les églises (lors de la Fête de l’Âne notamment).
Dans sa simplicité ces images nous touchent encore, elles font mémoire d’une dévotion et des pratiques processionnelles qui font appel à tous les sens et parlent à l’âme. L’on peut en retrouver l’esprit lors des processions des jours Saints (en particulier en Espagne lors de la Semana Santa de Séville). Elles font entrer le mystère dans nos vies, en nous rappelant, avec grâce, que le Christ vient pour nous aujourd’hui. « Et l’on pouvait voir, juché sur un ânon, celui qui est porté par les chérubins (…) riche par essence, devenu pauvre par choix, faible par choix mais qui sait donner de la force à tous ceux qui croient en lui. Bénis sois-tu, toi qui viens pour rappeler Adam » (Romanos le Mélode, Hymnes, SC 114, XXXI, 2, 300).
Sylvie Bethmont-Gallerand
Ecole cathédrale au Collège des Bernardins, Paris, 2022
Pour aller plus loin :
Xavier Dectot, « La procession du dimanche des Rameaux à Augsbourg au temps de l’évêque Ulrich, sources et postérité », Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 2009, p. 148-159.
De telles effigies sont visibles dans les collections des musées du Louvre (Paris), de l’Œuvre Notre-Dame (Strasbourg), aux Metropolitan Museum of Art (New York), Landesmuseum Württemberg (Stuttgart), Museum Schnütgen (Cologne), Germanisches Nationalmuseum (Nuremberg).