La magie de la peinture vient se jouer devant nous, dans le désert de la toile percé de fulgurantes couleurs.
Des éclairs de couleurs. Juste quelques touches, quelques taches, lourdes de matière. Des grains, des grappes figées, des grumeaux presque maladroits pour qui les regarde de près. Mais qui s’enlèvent, s’envolent sur un fond rapidement brossé, dès qu’on s’éloigne. Et trouent le vide, irradient leur stridente lumière dans l’espace soudain ranimé. Une fois encore, sous le ciel grisâtre d’une journée platement ordinaire, la magie de la peinture vient se jouer devant nous, dans le désert de la toile percé de fulgurantes couleurs. Ce n’est nullement une question de mise en scène ou d’éclairage, d’histoire, d’écologie, de prise en compte de la situation du monde ou de l’urgence climatique.
Un presque rien qui se dresse devant nous et nous révèle tout : cet enchantement où la couleur nous invite et nous enveloppe.
Loin des fracas d’une hyper-contemporanéité connectée, dans le tumulte du monde soudain recouvert de silence, nous voici soudainement réveillés, secoués, déplacés, pantelants d’émotion devant la peinture. Un presque rien qui se dresse devant nous et nous révèle tout : cet enchantement où la couleur nous invite et nous enveloppe, ce retour de la première aurore qui nous remet au monde, ce printemps revenu qui a raison, raison de tous nos hivers et nos limites. Cette fois encore, advient le miracle de la peinture auquel on ne peut jamais s’attendre, auquel on ne comprend décidément rien. Fragments de couleurs fragiles et indestructibles. Indestructibles parce que fragiles, en réalité. Des anémones, des camélias, des fleurs d’hiver assemblées en bouquet ou posées à même le sol de l’atelier, sans lesquelles aucune peinture n’est possible. Pas de fleur, pas de toile : la règle est minimale, l’exigence radicale dans cet exercice du regard, exercice de la peinture comme une respiration indispensable. Le bras, le corps, le regard, le pinceau, ce que nous voyons nous touche, ce qui nous touche nous regarde.
Chaque œuvre ici assemblée, qui murmure à sa manière : je suis fleur, fruit, lumière offerte, prends le temps de me regarder, de me désirer.
La fleur seule, nous apprend Paul Claudel, justement parce qu’elle est fugace et fragile, sait exprimer l’éternité. Cette intuition s’expérimente, se vérifie devant chaque œuvre ici assemblée, qui murmure à sa manière : je suis fleur, fruit, lumière offerte, prends le temps de me regarder, de me désirer. A vous tous, trafiquants de concepts frelatés, fabricants d’une éternité aussi ennuyeuse que vaine, la peinture de Damien Cabannes révèle, simplement, doucement, que ce monde-ci, traversé de fulgurantes apparitions, est notre réel jardin, notre paradis retrouvé. Ici et maintenant, ce monde présent est un autre monde. Renouvelé par le geste du peintre, ce voyant qui a vu, souvent, ce que nous avons cru voir. Et nous aide à trouver dans la confusion des formes et des apparences environnantes de lumineuses apparitions.
Sur l’épaisseur de la toile, accrochée à même le mur sans carcan ni châssis pour la tendre, à travers la pesanteur des pigments, des liants, de la grumeleuse matière qui se coagule et sèche lentement, « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches » (Paul Verlaine). Sur le tableau une fois offert au public dans l’espace de la galerie qui fleure l’odeur de la pâte picturale encore humide, la pesanteur de la matière devient soudain grâce d’une figure souveraine. A vérifier sur place, en regardant lentement, doucement : la pesanteur est la grâce.
Paul-Louis Rinuy
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