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Transmission, transgression, partage.

L’art est un des domaines où se pratique par excellence la transmission de pratiques, de savoir faire, de secrets d’atelier. Le Musée Bourdelle à Paris présente sur ce sujet une passionnante exposition.
Publié le 03 janvier 2019
Écrit par Paul-Louis Rinuy

Anonyme, Bourdelle et ses élèves à l’Académie de la Grande Chaumière, 1924 (d’après la publication concernant Shimizu). Photographie. Archives Shimizu, Japon

L’exposition « Transmission / Transgression » met en exergue les multiples facettes de l’investissement dans l’enseignement de ce grand réinventeur de la sculpture après Rodin, dans les années 1910-1920, que fut Antoine Bourdelle. Ce sculpteur n’a eu de cesse de former, par la parole, par l’exemple, par l’écrit. Et de très nombreux élèves sont venus de France et d’étranger découvrir auprès de lui ses secrets de fabrique, ses leçons d’esthétique, ses conseils et ses intuitions, que ce soit à l’académie de la Grande Chaumière ou dans ses propres ateliers, devenus aujourd’hui son Musée, à Paris dans le quartier de Montparnasse. Et l’on découvre dans cette très riche exposition, ou redécouvre plutôt, que tout art, pour inventif et novateur qu’il soit, est avant tout travail de la matière, et discipline du corps autant que de l’esprit, recette d’atelier et inventivité mentale. En regardant des photographies de l’artiste et de ses élèves au travail, des ébauches, des esquisses, en inspectant les outils qui permettent de dompter la matière, de modeler, de mouler, de tailler, le visiteur entre progressivement dans le mystère de la transmission d’un métier, d’un savoir-faire, d’une vision. L’apprentissage des techniques, ancestrales ou rénovées, est la clé de ce passage du maître à l’élève, qui se fait, au delà des mots, par des gestes, des attitudes, un rapport au travail et à la vie.

Antoine Bourdelle (1861-1929), Femme sculpteur au travail, bronze, épreuve n°3 fondue par Rudier vers 1920, 1906. Paris, musée Bourdelle. Photo : Thomas Hennocque

Mais, et c’est ce qui rend l’exposition passionnante, Bourdelle a eu des élèves étonnants, non conformistes, véritablement inventifs : je pense au célèbre Alberto Giacometti d’une part, qui prétendait crânement « ne rien avoir appris chez Bourdelle », et à Germaine Richier d’autre part, la mal connue mais à l’œuvre si novatrice, si puissante. Si on compare les inventions en bronze de ces trois artistes, force est de reconnaître que la transmission du maître aux élèves a été totale, mais libératoire. Giacometti a sans doute appris de Bourdelle un regard franc sur le corps humain et une pratique tumultueuse, violente énergique du modelé. La surface de la sculpture, sa peau comme on dit dans le jargon des sculpteurs, est une marque de vie, d’émotion. L’âme du personnage, voire l’âme du sculpteur, s’exprime à fleur de peau, et si Giacometti creuse une inquiétude existentielle et métaphysique qui n’est assurément pas celle de Bourdelle, c’est grâce à la singularité de son modelé violent et tourmenté qu’il sait nous la transmettre. Transgresser l’héritage du maître, c’est partager avec lui la transmission d’une émotion dans la forme et la vie du bronze.

Anonyme, Alberto Giacometti et Flora Mayo modelant la tête de celui-ci, vers 1925, Tirage moderne, 30 x 24 cm, Fondation Alberto et Annette Giacometti, Paris

Tout art, pour inventif et novateur qu’il soit, est avant tout travail de la matière, et discipline du corps autant que de l’esprit, recette d’atelier et inventivité mentale.

Germaine Richier va sans doute plus loin encore dans la transgression, le déchirement du corps, l’explosion de la douleur. Le Griffu, cette invention hybride qui tient à la fois de l’homme et de l’animal, révèle combien le renoncement à la forme solide et pleine favorise une expressivité lumineuse et tragique.

Germaine Richier (1902-1959), Le Griffu, 1952, bronze, 89 x 98 x 85 cm, Indivision Germaine Richier

Transmettre, c’est partager une recherche, une énergie inventive plus que donner un modèle à copier, des recettes à reprendre. Bien d’autres élèves ont été plus sages, plus fidèles au système plastique inventé par Bourdelle. Mais ce sont les plus transgressifs qui ont sans doute le mieux compris la leçon et fait de Bourdelle un véritable maître dans un chemin d’innovation.

A l’heure où l’on parle tant de la difficile transmission de la foi, cet exemple de Bourdelle, Giacometti et Richier, permet de réfléchir au modèle de transmission que l’on imagine. Veut-on que les nouveaux venus dans la fois reproduisent un modèle qu’ils ne feraient que copier ? Transmettre n’est-ce pas plutôt allumer la flamme de la nouveauté, susciter le désir d’un monde toujours nouveau et différent, d’un avenir qui n’est jamais la simple continuation du passé ?

 

Paul-Louis Rinuy

Exposition Transmission/transgression
Maîtres et éléves dans l’atelier :  Rodin, Bourdelle, Giacometti, Richier…

Jusqu’au 3 février 2019.
Musée Bourdelle, 18 rue Antoine Bourdelle, Paris 15e.

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