Le verre dans lequel Pascal Convert invente depuis de nombreuses années certaines de ses figures – des cristallisations si bouleversantes qu’on voudrait parfois, lorsqu’elles évoquent la figure de Jésus, les nommer des « christallisations » – condense une dimension cruciale de son travail : la mise en évidence de l’humaine fragilité. Qui n’est ni faiblesse, ni impuissance, ni simple vulnérabilité. Mais l’être humain a cette spécificité d’être aussi solide et brisable que le verre, voué à une finitude qui s’incarne dans sa destinée mortelle tout en étant capable, lui-même, de détruire, de nier l’autre, de tuer. Comme ces brisures de verre qui peuvent défigurer, blesser, rendre aveugle. La matière éclatée peut être projectile vecteur de mort.
La récente exposition de Pascal Convert évoque Trois arbres, qui sont autant de figures de douleur et de fragilité, marquant les vicissitudes de la condition humaine dans des tragédies contemporaines. Qu’il ne s’agit pas de comparer entre elles ou de relativiser en les énumérant, mais dont l’activité de production artistique de Pascal Convert donne à mesurer à chaque fois l’ampleur. Ecorces d’écorces présente des lambeaux d’écorce d’un bouleau du crématoire V d’Auschwitz – Birkenau sous forme d’empreintes photographiques bizarrement évocatrices. Ecorces d’écorces, ouvrage de Pascal Convert et de Georges Didi-Huberman tout récemment publié, rend justice à ce travail, à cette mémoire, à cette douleur qui ne peut finir.
Ecorce écorchée s’attache à un cerisier atomisé le 6 août 1945 dans le jardin du Seiju-Ji temple à Hiroshima, en en révélant des empreintes de bronze minutieusement recouvertes de laque noire par un maitre artisan japonais. Présentées comme des gisants à forme humaine, ces reliques horizontales paraissent, dans l’espace d’exposition et devant nos yeux, se relever presque pour témoigner d’un re-surgissement humain toujours possible. Au delà de la destruction, quelque chose apparaît qu’on ne saurait nommer, comme le poète Kobayashi Issa a su le suggérer dans ce haïku « ce monde de rosée est un monde de rosée, et néanmoins néanmoins ».
Enfin, Ecorce de pierre montre, par empreinte directe et tirage photographique, des khatchkars, ces croix arméniennes du cimetière de Djoulfa en Azerbaidjan détruit de 1998 à 2005, auxquelles Pascal Convert ouvre un nouvel avenir sans pour autant les préserver de l’entreprise systématique de destruction.
Contrairement à ce qu’a pu écrire Dostoïevski, la beauté ne peut apparemment sauver le monde. Les œuvres de Pascal Convert, si puissantes, si émouvantes, ne sont jamais du côté de la consolation, ou de la réparation. Mais elles ouvrent nos regards, mystérieusement, à quelque chose de nouveau qui peut se faire jour, à une espérance, aussi irrationnelle que tenace.
L’espérance tient toujours à un fil, elle se recrée au cœur même de la fragilité comme en témoignait saint Augustin, il y a 1 600 ans, par cette exhortation : « Ayez à l’esprit, mes frères, la fragilité humaine : courez tant que vous vivez, afin de vivre ; courez tant que vous vivez, afin de ne pas mourir vraiment ».
Paul-Louis Rinuy
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