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Plein Ouest, à Landerneau – Le formidable pouvoir des œuvres d’art

Il faut aller à Landerneau cet été, et se laisser surprendre par la fabuleuse fantaisie des mille et une facettes des Cabinets de curiosités réunis sur une idée de Laurent Lebon et Patrick Mauriès dans le cadre du Fonds pour la culture Hélène et Edouard Leclerc dans le Finistère. Une traversée de « mondes bizarres et bigarrés, à la croisée des arts, des cultures, des sciences et des lettres » selon Michel-Edouard Leclerc, qui invite à explorer ce cabinet de curiosité du temps présent, jusqu'au 3 novembre.
Publié le 03 juillet 2019
Écrit par Paul-Louis Rinuy

Vue de la chapelle des Capucins à Landerneau – Photo N. Savale © FHEL, 2019

Il faut se rendre  à Landerneau cet été.

Comme un trésor ou un musée personnel d’œuvres précisément choisies, qui prouvent toutes à leur manière que la rencontre avec une forme, une couleur, un visage peut changer notre vie.

Et, à peine sorti de la gare, commencer par visiter l’étrange chapelle de l’ancien couvent des Capucins. Dont on découvre qu’elle  était, il y a quelques décennies encore, la réserve d’un magasin, après avoir été une brasserie ou une usine. Qu’elle fut  construite en 1642, et dédiée à saint François. La chapelle se découvre aujourd’hui en contrepoint de l’espace de 1200 m2 qui abrite le Fonds pour la culture Hélène et Edouard Leclerc. Et, à l’opposé de ce lieu d’art contemporain qui a connu depuis  son ouverture en 2012 des expositions consacrées à Giacometti, Dubuffet, Chagall, Hartung ou Picasso, la chapelle rassemble quantité de chefs d’œuvre de la Renaissance, du Moyen Age, de l’époque moderne. Comme un trésor ou un musée personnel d’œuvres précisément choisies, qui prouvent toutes à leur manière que la rencontre avec une forme, une couleur, un visage peut changer notre vie. L’ouverture cette année de cette chapelle, restaurée, voire réinventée selon le goût de ses propriétaires Hélène et Edouard Leclerc, consonne étrangement avec le thème même de l’exposition d’été Cabinets de curiosités.

De gauche à droite et de haut en bas : Collection Patrick Mauriès – Photo Del Moral © FHEL 2019 ; détail de la Collection Patrick Mauriès – Photo Del Moral © FHEL 2019 ; Vue de l’atelier de Miquel Barceló – Photo J-M Del Moral © Adagp, Paris 2019

Savamment agencé, l’espace d’exposition se divise pour l’occasion en 17 salles qui mettent chacune en valeur la singularité d’une institution, comme le Musée de la chasse et de la nature ou le Conservatoire d’Anatomie de la Faculté de Médecine de Montpellier, d’un collectionneur tel Antoine de Galbert ou Emile Hermès, ou d’un artiste. Mais il ne s’agit pas d’une simple accumulation de monomanies qui  tournerait au vain exercice d’érudition. Que chaque artiste, ou chacun de nous peut-être, soit à sa manière une bibliothèque ou un musée, rien de nouveau dira-t-on. Mais c’est d’une autre expérience, plus essentielle, qu’il s’agit.

De gauche à droite : Meret Oppenheim, L‘Ecureuil, 1969, Collection Antoine de Galbert – Photo Célia Pernot ; vue de la Fondation Antoine de Galbert. Nicolas Milhé, Sans titre, 2009 – Photo JM Del Moral © Adagp, 2019

Au fil de cette promenade roborative pour notre âme moderne habituée aux images et aux écrans d’ordinateur, se redécouvre la puissance surnaturelle des œuvres en trois et quatre dimensions. L’exposition assemble et compose mille et mille objets de toutes origines et de toutes fonctions, des minéraux les plus rares à un buste momifié de Femme à barbe ou à un Masque d’infâmie, des planches d’herbier à une admirable  photographie d’Andreas Gurski ou aux animaux empaillés de Julien Salaud.

De haut en bas : Vues des sabliers de Jacques Attali – Photo JM Del Moral ; Le choix des ‘armes’ de François Curiel – Photo J-M Del Moral

Cet hétéroclite empilement célèbre à merveille le formidable pouvoir des œuvres d‘art, de tous ces objets singuliers, artisanaux et artistiques à la fois, fabriqués par passion et gardés, puis regardés, par la fervente adoration d’amateurs ou plutôt d’amoureux de l’art. Cabinet de curiosités, si l’on veut, cabinet de désirs et de passions surtout. Et de coups de foudre en série qui se partagent avec le  visiteur qui se prend à rêver devant ce Manche de cravache des années 1930, ce crâne formidable accroché au mur de l’atelier parisien du peintre et sculpteur Miquel Barcelo, ce sablier ou ce marteau de commissaire-priseur.

Maquette du saint-sépulcre de Jérusalem, fin XVIIe siècle © Cabinet photographique de la Galerie des Offices – Photo Francesco del Vecchio

De gauche à droite : Horloge à automate figurant un dromadaire monté, Augsbourg, vers 1595-1605 – Collection Kugel ; Jean-Michel Othoniel, Corne de rhinocéros montée, résine, verre, aluminium, 2007, Collection du Musée de la Chasse et de la Nature, Paris

Les œuvres d’art nous fascinent, nous transportent, nous ravissent, aurait-on dit au XVIIe siècle. Aujourd’hui, dans cette exposition qui tient autant du Palais du sultan des Mille et une nuits que de la Bibliothèque d’Alexandrie ou du grand Bazar d’Istambul, le regard s’égare d’œuvre en œuvre, et se régénère. Face aux ammonites vraies ou fausses, vraies et fausses plutôt, de Théo Mercier dont les découvertes délirantes sont de merveilleuses fabrications, l’esprit appareille vers un univers de chimères et de fantasmes, où le faux est une déclinaison inédite du vrai.

Musée Emile Hermès : Emmanuel Saulnier, Visage – © Steeve Bauras, ADAGP

Au cœur du Musée Hermès, le Visage d’Emmanuel Saulnier nous reflète, nous dévisage. Cette double colonne de verre et d’eau se révèle autant immuable que précaire, transparente qu’énigmatique. Qui suis-je en ce miroir ?  quel autre suis-je au cœur de mon être même ? Chaque œuvre nous séduit, pour nous désaliéner. Elle nous dépouille de nos masques et nous révèle un autre nous-mêmes, plus vrai, plus intérieur, plus frêle et solide en une seule illumination.

Il faut aller à Landerneau cet été. Et y rouvrir, dans le cœur et dans l’âme, quelques blessures secrètes, quelques fragilités essentielles. Pour réveiller notre soif de ce qui nous dépasse, de ce que nous sommes. « L’homme passe l’homme», disait Pascal. Nous en faisons l’expérience.

Paul-Louis Rinuy

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Théo Mercier et Jérémy Piningre, dessin préparatoire pour Cabinets de curiosités, 2018, encre de chine sur papier
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