Il faut se rendre à Landerneau cet été.
Comme un trésor ou un musée personnel d’œuvres précisément choisies, qui prouvent toutes à leur manière que la rencontre avec une forme, une couleur, un visage peut changer notre vie.
Et, à peine sorti de la gare, commencer par visiter l’étrange chapelle de l’ancien couvent des Capucins. Dont on découvre qu’elle était, il y a quelques décennies encore, la réserve d’un magasin, après avoir été une brasserie ou une usine. Qu’elle fut construite en 1642, et dédiée à saint François. La chapelle se découvre aujourd’hui en contrepoint de l’espace de 1200 m2 qui abrite le Fonds pour la culture Hélène et Edouard Leclerc. Et, à l’opposé de ce lieu d’art contemporain qui a connu depuis son ouverture en 2012 des expositions consacrées à Giacometti, Dubuffet, Chagall, Hartung ou Picasso, la chapelle rassemble quantité de chefs d’œuvre de la Renaissance, du Moyen Age, de l’époque moderne. Comme un trésor ou un musée personnel d’œuvres précisément choisies, qui prouvent toutes à leur manière que la rencontre avec une forme, une couleur, un visage peut changer notre vie. L’ouverture cette année de cette chapelle, restaurée, voire réinventée selon le goût de ses propriétaires Hélène et Edouard Leclerc, consonne étrangement avec le thème même de l’exposition d’été Cabinets de curiosités.
Savamment agencé, l’espace d’exposition se divise pour l’occasion en 17 salles qui mettent chacune en valeur la singularité d’une institution, comme le Musée de la chasse et de la nature ou le Conservatoire d’Anatomie de la Faculté de Médecine de Montpellier, d’un collectionneur tel Antoine de Galbert ou Emile Hermès, ou d’un artiste. Mais il ne s’agit pas d’une simple accumulation de monomanies qui tournerait au vain exercice d’érudition. Que chaque artiste, ou chacun de nous peut-être, soit à sa manière une bibliothèque ou un musée, rien de nouveau dira-t-on. Mais c’est d’une autre expérience, plus essentielle, qu’il s’agit.
Au fil de cette promenade roborative pour notre âme moderne habituée aux images et aux écrans d’ordinateur, se redécouvre la puissance surnaturelle des œuvres en trois et quatre dimensions. L’exposition assemble et compose mille et mille objets de toutes origines et de toutes fonctions, des minéraux les plus rares à un buste momifié de Femme à barbe ou à un Masque d’infâmie, des planches d’herbier à une admirable photographie d’Andreas Gurski ou aux animaux empaillés de Julien Salaud.
Cet hétéroclite empilement célèbre à merveille le formidable pouvoir des œuvres d‘art, de tous ces objets singuliers, artisanaux et artistiques à la fois, fabriqués par passion et gardés, puis regardés, par la fervente adoration d’amateurs ou plutôt d’amoureux de l’art. Cabinet de curiosités, si l’on veut, cabinet de désirs et de passions surtout. Et de coups de foudre en série qui se partagent avec le visiteur qui se prend à rêver devant ce Manche de cravache des années 1930, ce crâne formidable accroché au mur de l’atelier parisien du peintre et sculpteur Miquel Barcelo, ce sablier ou ce marteau de commissaire-priseur.
Les œuvres d’art nous fascinent, nous transportent, nous ravissent, aurait-on dit au XVIIe siècle. Aujourd’hui, dans cette exposition qui tient autant du Palais du sultan des Mille et une nuits que de la Bibliothèque d’Alexandrie ou du grand Bazar d’Istambul, le regard s’égare d’œuvre en œuvre, et se régénère. Face aux ammonites vraies ou fausses, vraies et fausses plutôt, de Théo Mercier dont les découvertes délirantes sont de merveilleuses fabrications, l’esprit appareille vers un univers de chimères et de fantasmes, où le faux est une déclinaison inédite du vrai.
Au cœur du Musée Hermès, le Visage d’Emmanuel Saulnier nous reflète, nous dévisage. Cette double colonne de verre et d’eau se révèle autant immuable que précaire, transparente qu’énigmatique. Qui suis-je en ce miroir ? quel autre suis-je au cœur de mon être même ? Chaque œuvre nous séduit, pour nous désaliéner. Elle nous dépouille de nos masques et nous révèle un autre nous-mêmes, plus vrai, plus intérieur, plus frêle et solide en une seule illumination.
Il faut aller à Landerneau cet été. Et y rouvrir, dans le cœur et dans l’âme, quelques blessures secrètes, quelques fragilités essentielles. Pour réveiller notre soif de ce qui nous dépasse, de ce que nous sommes. « L’homme passe l’homme», disait Pascal. Nous en faisons l’expérience.
Paul-Louis Rinuy
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