« Quitte à paraître complètement fou, je vois mon travail dans la lignée de Brancusi, Rodin, Bernin, Michel-Ange et encore en amont d’eux », affirme-t-il en 1978. Mais, à la différence de ces grands sculpteurs occidentaux qui ont exploré l’art de la pierre taillée dans la puissance de la forme verticale, figurative ou non, c’est en déployant ses recherches dans le format horizontal et souvent au ras du sol que Carl Andre a creusé l’espace de manière inédite.
Avec des matériaux très simples, tels que le bois ou parfois le ciment, et des structures géométriques répétitives, Carl Andre propose au spectateur de faire une expérience sensible de la sculpture radicalement différente : la sculpture n’est plus représentation, figure ou statue, elle n’est pas davantage matière ou jeu de structure, elle se révèle tout simplement comme un lieu ouvert. Qu’est ce à dire ? Il ne s’agit plus pour le spectateur de regarder une œuvre extérieure à lui et d’affronter, par son regard et son corps, une masse ou une silhouette, mais de marcher sur un ensemble de plaques posées sur le sol, telles un tapis, ou de découvrir un lieu que la forme de la sculpture magnifie.
Quitte à paraître complètement fou, je vois mon travail dans la lignée de Brancusi, Rodin, Bernin, Michel-Ange et encore en amont d’eux »
Les Pyramids de Carl Andre rappellent les Colonnes sans fin de Brancusi, ces stèles verticales qui partent à l’assaut du ciel par l’harmonie de leurs proportions et la justesse de leur équilibre. Mais au lieu de tailler les morceaux de bois, Carl Andre les assemble et les compose, ce qui le conduit ensuite à des compositions de briques « aussi plates que l’eau ». Ses plaques métalliques au sol transforment l’œuvre en socle et le lieu d’exposition en sculpture ; la sculpture n’est plus art de la masse mais du volume, du vide. On comprend qu’on ait parlé d’Art Minimal.
L’intuition essentielle de ce travail est « Less is more », c’est à dire « Moins est plus ». Le vide révèle la profondeur et la richesse de l’espace, la sculpture ouvre le monde environnant sans le saturer, ni même l’occuper. En photographie, la richesse plastique de ces créations n’est guère évidente : on voit mal, le tout paraît pauvre, bien réduit. Mais, sur place, nos yeux, notre corps, nos bras, nos jambes nous font toucher, voir, expérimenter la plénitude d’un espace, dans sa qualité, dans sa puissance. Il s’agit d’ouvrir l’espace, d’ouvrir nos yeux.
Exposition Carl Andre : Sculpture as place, au Musée d’art moderne de la ville de Paris, Paris 16e, jusqu’au 12 février 2017.
ouvrage Paul-Louis Rinuy, La sculpture contemporaine, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, octobre 2016, 10 euros.