Chaque fois que j’entre au musée Zadkine près du Jardin du Luxembourg, j’ai l’impression d’être accueilli par le sculpteur lui-même, cet artiste mort en 1967 et qui nous reçoit dans ce lieu si singulier, cet atelier, cette maison, ce jardin. Ce n’est pas que les conservateurs successifs aient eu le souci fétichiste de garder les espaces dans leur état d’origine. Non, l’habitation a été intérieurement rénovée, les ateliers ont été transformés pour s’adapter à leur nouvelle fonction de musée, de galerie, et c’est tant mieux : le blanc des murs, les éclairages modernes, le circuit même de la visite, la disposition des sculptures dans les salles et dans l’espace du jardin, tout nous invite aujourd’hui à la découverte des œuvres.
Mais, en plus des sculptures, des dessins, des objets ou des photographies composant en ce moment la foisonnante et passionnante exposition Etre pierre, on ressent quelque chose comme l’esprit de lieu, ou l’âme de Zadkine, qui ajoute à la visite une dimension spécifique. Autre. Essentielle. Comme une ouverture à une réalité invisible qui se déploie dans chacune des créations que l’on regarde, qu’elle soit de Zadkine ou de la trentaine d’artistes rassemblés en écho à son invention personnelle.
Le lieu nous propose ainsi une expérience spirituelle, qui est à dire vrai en résonance avec la dimension authentiquement spirituelle de la pratique sculpturale de Zadkine. Le musée, cette maison parisienne où Zadkine vécut près de 40 ans, matérialise l’étonnante existence d’Ossip Zadkine qui quitta sa Russie natale à l’âge de 15 ans en 1905 et vint en France où il tailla et modela, sa vie durant, tout un peuple de figures légendaires, Le prophète, Job, ou plus tard Orphée puis le Poète.
Tailler la pierre, la contempler, s’en faire un collectionneur ou un regardeur c’est se montrer poète d’une matière réellement spirituelle.
L’exposition actuelle met en évidence les résonnances que le rapport spécifique de Zadkine à la pierre évoque jusque dans l’art aujourd’hui. De la Tête héroïque de 1908 dont le granit à peine taillé dompté inaugura un style expressif et primitiviste à tant de portraits de pierre, de visages ou de corps de marbre, l’exposition révèle la suggestive fécondité de la matière et propose surtout l’expérience, dans la pierre même, d’une temporalité radicalement autre : la pierre s’ouvre à un passé immémorial qui dépasse les temps historiques – Giovanni Anselmo, Trecento milioni di anni, 1969 – ou suggère les paradoxes temporels de l’humanité d’aujourd’hui et de demain que mettent en évidence Robert Smithson, Evariste Richer – Fulgurite, 2008, Giuseppe Penone et bien d’autres encore.
Et surtout la pierre est objet et sujet de métamorphoses, de transsubstantiations qui sont autant d’invitations à la rêverie. Elle se révèle à travers les siècle un extraordinaire catalyseur d’énergies qui irradient dans l’expérience sensible. Tailler la pierre, la contempler, s’en faire un collectionneur ou un regardeur c’est se montrer poète d’une matière réellement spirituelle.
C’est la qualité propre, et rare, de cette exposition : nous faire comprendre, voir, presque toucher dans les quelques pierres savamment rassemblées un esprit qui bat, avec une force d’illumination inouie.
Paul-Louis Rinuy
Exposition Être pierre au musée Zadkine jusqu’au 11 février 2018. Toutes les informations pratiques en cliquant ici.