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« En art, il n’y a pas d’étranger »

A l'occasion de la visite de l'exposition « Picasso l’étranger » au Musée national de l’histoire de l’immigration, Paul-Louis Rinuy nous propose ses réflexions sur la question de l'art et de l'étranger, de la création et de sa dimension internationale, au-delà des frontières.
Publié le 06 décembre 2021
Écrit par Paul-Louis Rinuy

Les rapports entre un pays et les artistes qui y travaillent sont toujours étranges. D’un côté, l’art semble une invention extranationale, universelle dit-on souvent, et il n’est nul besoin de connaitre Salzburg ou l’histoire de l’Autriche pour apprécier Mozart. En même temps, Raphaël ou Michel-Ange sont pour nous d’évidents parangons de l’art italien et de l’Italie, tandis que Jackson Pollock s’inscrit clairement dans l’art américain – étasunien plus exactement – et Malevitch dans l’art russe. Enlevons à ces nations leurs artistes, leurs musiciens, leurs architectes, leurs écrivains, que resterait-il au juste de leur singularité, de leur apport à la culture de l’humanité ?

La nationalité des artistes, au XXe siècle du moins, constitue un problème crucial, tant pour nous qui les admirons, que dans le cours de leur existence ou l’esthétique de leurs créations. Si l’art français existe, et a connu par exemple un immense rayonnement international dans la première moitié du siècle, il le doit à Picasso autant qu’à Braque ou Matisse, ou à Brancusi, « le plus parisien des sculpteurs roumains », à Giacometti, à Brassaï, à combien d’autres étrangers que les difficultés de l’histoire ont conduits à Paris. En France, ils ont pu trouver un lieu hospitalier, des amis artistes ou écrivains, des galeristes, des collectionneurs – souvent venus eux-mêmes du monde entier.

Paris était avant 1914 un vrai creuset de la création vivante, un univers où l’on expérimentait le fait « qu’en art il n’y a pas d’étranger » selon les mots de Brancusi. Et la France continua à s’imposer dans les Années folles puis dans les Années Trente comme un lieu d’accueil, de respect, de bienveillance envers les étrangers. Cette réalité-là, vérifiée dans l’existence d’un Chagall ou d’un Kandinsky, l’exposition Picasso l’étranger vient pourtant la remettre en cause.

Pablo Picasso, Chat saisissant un oiseau, 22 avril 1939, Musée national Picasso, Paris © RMN-Grand Palais / Mathieu Rabeau. © Succession Picasso 2021

Car Picasso, lui qui vint en France dès l’âge de 18 ans en 1900, et s’y installa définitivement de 1904 à sa mort en 1973, ne fut pas ce peintre adulé par la France qu’on imagine lorsqu’on visite son merveilleux musée dans le Marais à Paris. Picasso fut d’abord, comme le prouvent les documents d’archives, un « anarchiste surveillé » que la police fichait et suspectait. Puis il se vit refuser la nationalité française lorsqu’il la quémanda le 3 avril 1940 devant les menaces venues de Franco vainqueur de la Guerre d’Espagne, ou de Hitler s’apprêtant à conquérir la France. Et le peintre resta en France un étranger au statut précaire, aussi menacé que l’oiseau dans la gueule du Chat saisissant un oiseau peint en avril 1939.

Et dans ce fragile papier déchiré où Picasso sculpte en 1943 une ironique et poignante Tête de mort, on comprend aussi que Picasso souffrit violemment d’être un paria sans patrie, avant d’avoir le droit de payer l’impôt français de solidarité nationale en 1945, puis de bénéficier du statut de « résident privilégié en 1948 », en récompense du don qu’il fit de dix de ses tableaux à l’Etat français.

Dans l’histoire du « premier XXe siècle », Picasso l’espagnol ne trouva place en France que grâce à sa propre créativité. A rebours des enquêtes de police et des soupçons émanant du pouvoir politique, il montra qu’il savait aussi bien peindre une Crucifixion plus violente et colorée qu’on n’en vit jamais, qu’inventer la Colombe de la paix, en transformant un oiseau de l’Arche de Noé en un symbole universel.

Etranger suspect aux yeux de la loi, Picasso se montra un peintre humain, un peintre catholique au sens exact de l’adjectif, un créateur universel.

Paul-Louis Rinuy

« Picasso l’étranger » exposition au Palais de la Porte dorée, Musée national de l’histoire de l’immigration, 293, avenue Daumesnil 75012 Paris, 01 53 59 58 60
Jusqu’au 13 février 2022

A lire, le passionnant ouvrage écrit par la commissaire de l’exposition, Annie Cohen-Solal, Un étranger nommé Picasso, Paris, Fayard, 2021.

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