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Sermons pour le 5e et pour le 17e dimanche après la Trinité de Jean Tauler

Dans ce nouveau billet de blog, Martine Petrini-Poli vous présente des sermons de Jean Tauler (1300-1361), les derniers avant de poursuivre son cycle sur les mystiques rhénans avec d'autres figures. Il s'agit cette fois de sermons relatifs au temps qui succède à la fête de la Trinité, à des moments bien particuliers de l'année liturgique.
Publié le 14 juin 2018
Écrit par Martine Petrini-Poli

Le dominicain Jean Tauler a écrit plusieurs sermons pour les dimanches suivant la fête de la Trinité. Dans le Sermon pour le 5e dimanche après la Trinité, il commente l’évangile du jour, selon saint Mathieu 14,24-33 :

La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire. Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : « C’est un fantôme. » Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »

Lorenzo Veneziano, Le Christ sauvant l’apôtre Pierre de la noyade, 1370, Staatliche Museum, Berlin

L’ami de Dieu fait comme saint Pierre ; et tombant aux pieds de notre Seigneur, il crie vers lui sans trop savoir ce qu’il dit : Seigneur, éloignez-vous de moi, car je ne suis qu’un pécheur. Les mots et les formes lui manquent. C’est un signe qu’il s’abîme en son néant, et se fait petit en Dieu comme s’il n’était rien, et comme s’il n’avait jamais rien reçu de lui. C’est ainsi que l’abîme créé attire à soi l’abîme incréé, et que ces deux abîmes forment en quelque sorte un seul être divin, car l’esprit de l’homme s’est perdu dans l’esprit de Dieu ; il est comme englouti dans une mer sans fond. L’homme devient dès lors vertueux, bienveillant, affable pour tous, d’un commerce facile et agréable, et ne laisse percer en sa conduite aucun défaut. Il est plein de confiance, de compassion et de bonté pour tous ses frères, et l’on peut croire que de tels hommes ne se sépareront jamais de Dieu. Que Dieu nous accorde cette grâce. Amen.

Certes Jean Tauler s’adresse à ses frères dominicains, mais sa réflexion porte sur la nature de l’homme, « ce milieu entre rien et Tout, pris entre les deux abîmes de l’infiniment grand et de l’infiniment petit » (Pascal). Il lui rappelle sa finitude et sa condition de pécheur.

Caspar David Friedrich, La Mer de glace ou le Naufrage, 1824 – huile sur toile, 96,7X126,9, Kunsthalle, Hambourg.

C’est le naufrage d’un trois-mâts, l’Espoir, prisonnier des glaces, durant une expédition arctique, qui a inspiré cette toile du peintre romantique. Celui-ci illustre l’idée du destin de l’homme, voué à l’échec devant cette nature sublime et terrifiante, si Dieu ne lui vient en aide.

Jean Tauler analyse, dans le Sermon 65 après la Trinité, les réponses à l’appel que Dieu lance à ses amis. Certains observent les commandements divins. D’autres, appelés à l’état religieux, suivent les conseils évangéliques. Cependant le prédicateur les exhorte tous, par priorité, à garder l’unité de l’Esprit. Il commente l’Epître de saint Paul aux Ephésiens 4,1-6 :

« Moi qui suis en prison à cause du Seigneur, je vous exhorte donc à vous conduire d’une manière digne de votre vocation : ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, 06 un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. »

Dans son homélie, Jean Tauler va souligner les obstacles à la vie intérieure : la dispersion, la soumission aux sens, à l’esprit du monde, qui empêchent de porter du fruit :

Que chacun regarde aussi, avec des yeux intérieurs bien ouverts, quel est son chemin à lui, et sur laquelle des trois voies dont vous avez entendu parler Dieu veut l’avoir. Mais vous ne rentrez pas en vous-même et vous ne connaissez pas votre vocation. Vous commencez aujourd’hui ceci, demain cela, selon l’impulsion de ce que vous avez entendu ou vu au-dehors, ou selon l’impression de vos sens. Puis, cela n’étant pas votre affaire, vous n’y demeurez pas et vous ne tirez aucun résultat (…)

Déjà dans le Sermon 10 sur le Christ, Lumière du monde, il avait montré la nécessité du complet abandon en Dieu lors de la traversée de « grandes et lourdes épreuves » :

On reconnaît aussi la présence de la vraie lumière au temps des grandes et lourdes épreuves. Les vrais amis de Dieu se réfugient alors en Dieu, supportent ces épreuves pour son amour ; ils les reçoivent de la main de Dieu, souffrent avec lui et en lui. Ses faux amis, au contraire, ne savent plus où donner de la tête quand l’épreuve s’abat sur eux. Ils battent la campagne, cherchent secours, conseil et consolation ; ce n’est pas là qu’on trouve Dieu. Alors ils sont sur le point de s’effondrer et de succomber au désespoir. Ils n’ont pas bâti leur maison sur la pierre qui est le Christ, et en conséquence, elle doit nécessairement s’écrouler dans l’abîme (…)

 

Martine Petrini-Poli

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