L’homélie 362 de saint Augustin porte sur la joie de la fête de la Toussaint.
Dans le ciel il y aura un sabbat éternel ; celui que les juifs célèbrent dans le temps, comprenons-le de celui qui dure toujours. Il y aura un repos ineffable qui ne peut guère être expliqué. Je ne puis en parler, et bien que je ne puisse dire ce qu’il sera, car je ne peux encore le voir, je puis pourtant dire sans crainte ce que nous ferons, car l’Écriture en parle. Toute notre occupation sera : Amen et Alléluia. Qu’en dites-vous, frères ? Je vois que vous m’avez entendu et que vous êtes dans la joie ! (…)
Je vais donc m’expliquer, si je le puis, et autant que je le pourrai. Ce n’est pas avec des sons qui passent que nous dirons : Amen, Alléluia, mais avec les sentiments de l’âme. Que veut dire Amen ? Que veut dire Alléluia ? Amen veut dire : « C’est vrai ! », Alléluia veut dire : « Louez Dieu ». Dieu est vérité immuable, sans déclin ni progrès, sans diminution ni augmentation, il ne penche pas vers l’erreur, mais demeure vérité éternelle, constante et toujours incorruptible. Tout ce que nous faisons dans ce monde créé et dans cette vie, c’est comme des figures de cette vérité, accomplies par les mouvements des corps ; nous y marchons par la foi. Lorsque nous verrons face à face ce que nous voyons maintenant en miroir et en énigme, alors ce sera dans des dispositions bien différentes et avec un sentiment d’amour ineffable que nous dirons : « C’est la vérité ! » Et quand nous dirons cela, nous dirons assurément : « Amen », mais avec un rassasiement insatiable, car rien ne nous manquera, nous serons rassasiés ; et comme celui qui ne nous manquera pas nous réjouira toujours plus, nous jouirons, si l’on peut dire, d’un rassasiement insatiable. Tu seras donc tellement rassasié insatiablement par la Vérité, que tu diras de cette Vérité insatiable : « Amen ! »
À présent, qui pourrait dire « ce que l’œil n’a pas vu, ni l’oreille entendu, ni ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme » ? Lors donc que nous verrons la Vérité sans aucun dégoût, avec une délectation continuelle, et que nous la contemplerons avec l’évidence la plus certaine, embrasés de l’amour de cette vérité, et adhérant à elle par un doux et chaste embrassement, nous la louerons aussi par un tel cri, et nous dirons : « Alléluia ! « Bondissant en effet dans une louange égale, brûlant d’amour les uns pour les autres et pour Dieu, tous les habitants de cette cité diront : « Alléluia ! « , parce qu’ils diront : « Amen ! » ».
Saint Augustin – Sermon 362, 27 28
Dans la partie haute de cette scène de Jugement dernier de Fra Angelico, le Christ trône dans une aura de rayons lumineux, au centre d’une mandorle ; il appelle à lui les élus de sa main droite, tandis que de sa gauche, il éloigne les réprouvés. Il est entouré de deux figures d’intercesseurs : à droite, la Vierge en robe blanche, assise, les mains croisées sur la poitrine et la tête légèrement penchée ; à gauche, saint Jean-Baptiste les mains jointes en prière. Sur les côtés, les Patriarches, Prophètes et Apôtres, et aux extrémités, saint Dominique et saint François d’Assise. Autour du Sauveur, huit chérubins ailés, auxquels se joignent des anges agenouillés pour entourer la mandorle. Certains adorent ou prient, d’autres tiennent des rouleaux dans leurs mains. Un ange tient la croix aux pieds du Christ, et deux autres en vol, soufflent de leurs trompettes vers les morts, qui se lèvent des sépulcres ouverts, symbole de la Résurrection des morts.
En bas du tableau, Fra Angelico présente le monde terrestre : du côté des élus, les hommes sont en adoration, les yeux et les mains tournés vers le Seigneur. Derrière eux, une ronde d’anges danse dans la végétation verdoyante du paradis, luisant d’or, irrigué de ruisseaux limpides, couvert de fleurettes. La danse des âmes célestes évoque les ballets de cours italiennes du Quattrocento. Les anges guident les nouveaux élus vêtus d’une robe blanche, vers la porte de la Jérusalem céleste qui déverse des rayons d’or.
Au centre une longue rangée de tombes ouvertes sépare les deux groupes. Du côté du monde des damnés règnent le désordre et la cohue. Des démons avec des fourches entraînent les damnés vers la bouche d’un enfer montagneux sombre. Les tourments sont représentés par des cercles de flammes où les pécheurs nus, certains étranglés par des serpents, souffrent pour leurs fautes passées.
Saint Bernard, dans son Homélie pour la Toussaint, décrit ainsi le dogme de la communion des saints : Pour qu’il nous soit permis d’aspirer à un tel bonheur, il nous faut rechercher, avec le plus grand soin, l’aide et la prière des saints, afin que leur intercession nous obtienne ce qui demeure hors de nos propres possibilités. En effet, autour du Christ, c’est la foule de la communion des saints, un foisonnement de personnages (270), de tous âges, de toutes conditions, tous appelés à la sainteté (Rm. 1, 7). Les couleurs de cette fête divine sont rutilantes, l’or domine. La danse des bienheureux ou caròla était une sorte de danse sacrée, où les danseurs se tenant par la main se déplaçaient en cercle, chantant au fur et à mesure. La représentation de la danse s’inspirerait des vers d’une louange sacrée, selon J.B. Supino, dans son ouvrage sur Fra Angelico, tr. Leader Scott, Florence, Alinari Brothers, 1902, pp. 78-79 :
Una rota si fa in cielo
De tutti i Santi in quel zardino,
Là ove sta l’amor divino
Che s’infiamma de l’amore.
In quella rota vano i Santi
Et li Angioli tutti quanti ;
A quello Sposo van davanti :
Tutti danzan per amore.
Au paradis ce jardin se trouve
Où l’amour divin éternel brille,
Et les saints tissent une ronde,
Leurs âmes enflammées d’amour sacré.
Les saints dans cet anneau lumineux et joyeux,
Avec des anges à tous les degrés,
Devant l’Époux se déplacent gracieusement
Et tissent la danse de l’amour sacré.
Martine Petrini-Poli