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Sermon 25 sur la Pentecôte de Jean Tauler « Ils furent tous remplis du Saint-Esprit »

Après Maître Eckhart, nous poursuivons notre découverte des mystiques rhénans avec la figure de Jean Tauler (1300-1361). Le Sermon 25 de Jean Tauler, prêché par le dominicain pour la fête de la Pentecôte, est inspiré par les Actes des Apôtres (2,4).
Publié le 17 mai 2018
Écrit par Martine Petrini-Poli

Comment rendre compte de l’effusion de l’Esprit-Saint dans les apôtres ? Les images de la Rhénanie natale submergent cette homélie : celles des crues du Rhin qu’un barrage ne retient plus, du tonneau et du vin servent ainsi à désigner l’âme humaine. Cependant pour se laisser envahir par l’Esprit-Saint, faut-il vider son cœur de toute suffisance et s’en remettre au Père dans un total abandon de soi.

La métaphore du Rhin

Le Saint-Esprit vint donc dans les disciples et dans tous ceux qui étaient prêts à le recevoir avec une grande richesse, une plénitude débordante, les inondant intérieurement, comme si, après avoir retenu les eaux du Rhin par un barrage, on enlevait brusquement celui-ci. Le fleuve se répandrait alors à plein flot, jusqu’à déborder sur les rives, comme s’il voulait tout noyer et tout couvrir, et il remplirait toutes les vallées et tous les fonds qu’il trouverait devant lui. C’est ainsi qu’a fait le Saint-Esprit pour ses disciples et tous ceux qu’il trouvait prêts à le recevoir. C’est ce qu’il fait encore à toute heure et sans cesse (…).

Mise en polder d’Erstein en Alsace pour lutter contre la crue du Rhin du 23 janvier 2018


Les Chroniques du Rhin rapportent la force et l’étendue de la crue du Rhin à Cologne en 1342, où se trouve alors Jean Tauler, « au point qu’il était possible de passer en bateau par-dessus les murs d’enceinte de la ville ». Ainsi le prédicateur recourt à une image très réaliste pour rendre compte de la vie spirituelle.

La métaphore du vin

Jean Tauler poursuit son homélie par cette comparaison empruntée au travail des vignerons :

Nous devons maintenant considérer ce que nous avons à faire pour nous préparer à recevoir l’adorable Saint-Esprit. La préparation la plus prochaine et la plus haute, c’est lui-même qui doit la réaliser et il doit se préparer lui-même les lieux et se recevoir lui-même dans l’homme. Et quelle est l’opération par laquelle il prépare l’homme pour s’y recevoir ? Le Saint-Esprit fait deux choses en l’homme. Premièrement il le vide ; deuxièmement il remplit le vide autant et dans la mesure où il en trouve (…). Car lorsqu’on veut remplir un tonneau, il faut d’abord enlever ce qu’il contient. Si l’on veut y mettre du vin, il faut enlever l’eau, car deux choses matérielles ne peuvent occuper le même lieu. Si donc le vin doit entrer, il faut d’abord que l’eau sorte, car ce sont des choses contraires. Pour que Dieu entre, il faut nécessairement mettre la créature dehors (…). L’homme doit donc se laisser prendre, vider et préparer.

Arcabas, Noces de Cana, peinture sur toile, huile et technique mélangée, 3X2,60m, 1989, Nef latérale de la Basilique Notre-Dame de la Salette, Isère.

La métaphore filée du vin employée par le dominicain n’est pas hasardeuse, car c’est aussi une image qui court dans toute la Bible depuis le Cantique des cantiques jusqu’au sacrifice eucharistique du Christ.

Dans son sermon, Jean Tauler établit un lien entre le vin et l’Esprit-Saint justifié par le texte des Actes des Apôtres qu’il commente. En effet, la Pentecôte vient d’avoir lieu : l’Esprit-Saint est descendu sur les Apôtres et ceux-ci « commencèrent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer » (2,4). Certains auditeurs murmurent « Ils sont pleins de vin doux » (2,13). Pierre les détrompe alors : « Non, ces gens ne sont pas ivres comme vous le supposez ; ce n’est d’ailleurs que la 3e heure du jour (9h du matin) ». Saint Ambroise a bien compris cette ivresse spirituelle quand il s’exclame dans son hymne : « Laeti bibamus sobriam ebrietatem spiritus » (Buvons dans la joie la sobre ébriété de l’Esprit). Il ne s’agit pas de l’ivresse dégradante de Noë. C’est une ébriété bien paradoxale, puisqu’elle est sobre. Le disciple a fait le vide en lui pour s’ouvrir à l’infusion de l’Esprit-Saint. Ce sont les noces spirituelles du Cantique des cantiques, lorsque l’âme s’unit à son Dieu : Mon Bien-Aimé m’a menée vers la maison du vin : l’enseigne au-dessus de moi est « Amour » (2,4).

 

Martine Petrini-Poli

 

Référence : Ce que dit la Bible sur le vin par Philippe Lefebvre, édition Nouvelle cité, 2015.

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