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Sermon 13 de Jean Tauler pour le jeudi avant les Rameaux

Après Maître Eckhart, nous poursuivons notre découverte des mystiques rhénans avec la figure de Jean Tauler (1300-1361). Le 13e sermon est destiné spécifiquement au jour du jeudi avant le dimanche des Rameaux, le dimanche qui précède Pâques.
Publié le 08 mars 2018
Écrit par Martine Petrini-Poli

Dans ce sermon prêché le jeudi précédant les Rameaux, Jean Tauler recourt à la métaphore des saisons, et particulièrement à l’image de l’hiver pour évoquer ce qu’est un cœur refroidi et endurci qui se ferme à la grâce divine. Cependant la même image hivernale sert aussi à présenter à l’homme pieux éprouvant un délaissement intérieur, en modèle, l’état d’abandon du Christ à Gethsémani et sur la Croix quand il prononce cette parole : « Père, Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Le Christ épouse alors pleinement la condition humaine dans sa déréliction.

Cela se passait en hiver. Quand est-ce, cet hiver ? C’est vraiment l’hiver, quand le cœur est si refroidi et si endurci, que la grâce de Dieu, ni Dieu, ni les choses divines n’y ont plus place ; mais on n’y trouve que froide neige et gelée, c’est-à-dire les créatures fâcheuses, desséchantes et corruptrices qui, par l’amour et la jouissance, ont pris possession du cœur. Elles y éteignent complètement le feu d’amour du Saint-Esprit et y occassionnent un étonnant refroidissement où, avec toutes les grâces, s’éteignent en même temps toute divine consolation et toute amoureuse intimité avec Dieu.

Caspar David Friedrich (1774-1840), Paysage d’hiver avec église (1811), huile sur toile, 32,5X45cm, National Gallery, Londres

Il y a encore un autre hiver, celui où un homme bon et pieux, qui aime Dieu et le cherche, qui se garde avec soin du péché, est cependant abandonné de Dieu quant au sentiment et n’éprouve que sécheresse, obscurité et froideur, sans aucune divine consolation, sans aucune divine douceur. C’est en pareil hiver que s’est trouvé notre cher Seigneur Jésus Christ, qui, en fait de secours, a été tout à fait abandonné par son Père et par la divinité avec laquelle il était cependant naturellement uni, de telle sorte que pas la moindre petite goutte de sa divinité n’est venue un instant en aide à l’infirmité de sa humanité aux prises avec la souffrance dans toute sa misère et son inénarrable passion.

Andrea Mantegna, Prière au Jardin des Oliviers, 1457-1459, toile peinte sur bois, 71,1X93,7cm, Musée des Beaux-Arts, Tours

Il a été, de tous les hommes, le plus souffrant et le plus délaissé de tout secours. Ses amis de choix doivent donc pleinement se réjouir en leur volonté délibérée, quand ils s’aperçoivent qu’ils peuvent suivre leur aimable pasteur, dont ils veulent être les brebis, en supportant pareil délaissement intérieur et extérieur. Quel comble de bonheur ce serait pour eux de suivre leur pasteur en cet hiver ! En ce complet délaissement de Dieu et de toute créature, Jésus Dieu serait plus vraiment là et leur serait présent de façon plus utile, que dans tout l’été d’une agréable jouissance, qu’ils aient jamais pu obtenir. Aucune raison ne peut concevoir ce qu’il y a de caché dans cet absolu et véritable délaissement. C’est le plein hiver, quand on est dans l’aridité, l’obscurité, sous l’oppression d’angoissantes ténèbres et dans le délaissement, c’est bien au-dessus de toute savoureuse expérience, pourvu qu’en cet état l’on se tienne en parfaite égalité d’humeur. – Jean Tauler, Sermons, édition intégrale, traduction de E. Hugueny, G. Théry, M.A.L. Corin, éd. Cerf, Coll. Sources chrétiennes, 1991.

Ce tableau du peintre italien Andrea Mantegna, au décor minéral, est une des trois scènes de la prédelle d’un triptyque ornant autrefois la chapelle du monastère de San Zeno, à Vérone, en Italie. Cette scène a inspiré au poète romantique Alfred de Vigny des strophes du recueil des Destinées, publié en 1864 :

(…) Jésus, se rappelant ce qu’il avait souffert
Depuis trente trois ans, devint homme, et la crainte
Serra son cœur mortel d’une invincible étreinte.
Il eut froid. Vainement, il appela trois fois :
« Mon Père ! » Le vent seul répondit à sa voix.
Il tomba sur le sable assis, et, dans sa peine,
Eut sur le monde et l’homme une pensée humaine.
– Et la terre trembla, sentant la pesanteur
Du Sauveur qui tombait aux pieds du Créateur (…)

Cependant, dans une strophe ajoutée en 1862, Alfred de Vigny conclut ainsi :

Le juste opposera le dédain à l’absence
Et ne répondra plus que par un froid silence
Au silence éternel de la Divinité.

Pour Jean Tauler, au contraire, c’est au cœur du sentiment de délaissement que le fidèle éprouve sa foi. Poursuivant sa métaphore saisonnière, il conclut que Dieu est plus présent dans ce complet délaissement que dans tout l’été d’une agréable jouissance (divine).

 

Martine Petrini-Poli

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