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Quatrième et cinquième vision du Livre II du Scivias d’Hildegard von Bingen : l’Esprit dans l’Eglise et le corps mystique du Christ

Les dernières visions du Livre II du Scivias envisagent toute l’œuvre de salut de la Trinité à travers les sacrements dispensés par l’Eglise sous le souffle de l’Esprit-Saint. La quatrième vision reprend ainsi les sacrements de l’initiation : le baptême et la confirmation. Le point d’orgue se situe à la cinquième vision, avec le corps mystique du Christ qu’est l’Eglise.
Publié le 15 décembre 2016
Écrit par Martine Petrini-Poli

Nous apercevons sur cette miniature une grande tour ronde de pierre blanche rayonnante de flammes, symbolisant l’Esprit-Saint. Une femme se tient devant, dans une attitude oblative : c’est l’Eglise, qui accueille en son sein les apôtres et les disciples aux vertus éblouissantes comme des pierres précieuses. Les trois fenêtres de la tour figurent les trois personnes de la Trinité qui répandent leurs dons aux hommes de bonne volonté.

« Et ensuite, je vis comme une tour ronde immense, formée d’une seule pierre intacte et resplendissante de blancheur, ayant trois fenêtres à son sommet, par lesquelles une si grande lumière éclata, que même le toit de la tour qui s’était érigé comme dans une cavité, se voyait sans nuage dans la clarté de cette lumière. Et ces fenêtres étaient environnées de superbes émeraudes. Et cette tour était posée au milieu du dos de la femme de la dite image, à l’instar de quelque tour placée dans les murs d’une ville, de telle sorte que cette image, à cause de sa force, ne pouvait tomber en ruines. »

« C’est pourquoi cette tour que tu vois, désigne l’embrasement des dons du St-Esprit, que le Père a envoyé dans le monde pour l’amour de son Fils, embrasant les cœurs de ses disciples de ses langues de feu ; par quoi ils devinrent plus forts, au nom de la Trinité sainte et véritable. »

« Aussi les fenêtres (de la tour) sont environnées de très belles émeraudes, car la bienheureuse Trinité est illustrée dans le monde entier, par les vigoureuses vertus et les afflictions des apôtres, dont la foi n’est jamais aride et stérile (…). En combattant, ils constituèrent l’Église et ils la fortifièrent par de puissantes vertus, pour l’édification de la foi (…). »

La cinquième vision est intitulée le Corps mystique du Christ, figuré par l’apparition d’une très belle femme, l’Eglise, qu’Hildegard décrit ainsi :

« Elle brille comme l’aurore, elle étend sa clarté en haut vers les mystères du ciel ; car cette perfection qui fleurit en l’honneur de la virginité, dirige merveilleusement sa vertu, non en bas vers les choses terrestres, mais en haut vers les choses du ciel. »

Le corps mystique est formé par les religieux, les moniales que porte l’Eglise, en son sein :

« Et, dans cette clarté, une très belle image de vierge apparaît, dont la tête sans voile est ornée d’une chevelure noire : c’est la sereine virginité, innocente de toute souillure de l’humaine concupiscence, ayant son esprit dégagé de tout lien de corruption, mais cependant ne pouvant détourner complètement encore la fatigue des pensées ténébreuses, dans ses fils, tant qu’ils sont dans le monde, tout en s’y opposant fortement pour y résister. C’est pourquoi elle est revêtue d’une tunique rouge, qui tombe en longs plis sur ses pieds ; car elle persévère dans la peine des labeurs, pour l’accomplissement des bonnes œuvres, jusqu’au complet épanouissement de sa perfection bienheureuse, environnée de toutes les vertus, imitant en cela celui qui est la plénitude de la sainteté. »

Le corps mystique du Christ désigne l’Église, c’est-à-dire l’ensemble des baptisés et des justes de toutes les nations, à toutes les époques de l’histoire de l’humanité. Cette définition de l’Église comme corps du Christ apparaît dans les épîtres de saint Paul :

« De même, en effet, que le corps est un, tout en ayant plusieurs membres, et que tous les membres du corps, si nombreux soient-ils, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il du Christ. Aussi bien, nous avons tous été baptisés en un seul Esprit pour ne faire qu’un seul corps (…). » (1 Cor.12,12-13).

Hildegard von Bingen se trouve, au plan théologique, à une époque charnière entre deux définitions du Corps mystique du Christ. En effet, au IXe siècle, la formule corpus mysticum désignait encore l’eucharistie, pour trois raisons : 1/ le corps sacramentel du Christ s’enveloppe mystérieusement (mystiquement, au sens ancien) des espèces du pain et du vin 2/ il porte en lui le mystère du corps sacrifié une fois pour toutes sur la croix 3/ il est le foyer du corps mystérieux dont le Christ est la tête : l’Église.

Dans la seconde moitié du XIIe siècle, cette expression avait commencé à glisser du sens sacramentel au sens ecclésial : de l’eucharistie, dite corps « vrai » ou « propre » du Christ, à l’Église, son corps « mystique ». Au XIIIe siècle, la scolastique accrédite cette évolution. Chez saint Thomas, l’expression corpus mysticum (140 occurrences) désigne l’Église — corpus Christi mysticum ou corpus Ecclesiæ mysticum.

Cette notion de l’incorporation des fidèles chrétiens dans le Christ, développée par les Pères de l’Église, est reprise au XXe siècle, en 1943, dans le contexte de la seconde guerre mondiale, par le pape Pie XII, qui en fait le sujet de son encyclique, Mystici Corporis Christi. Avec Vatican II, l’encyclique Lumen Gentium (Lumière des nations) invite à associer la doctrine du Corps mystique du Christ à celle de la communion des saints, union profonde de tous les membres de l’Eglise visible et invisible.

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