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Soigner avec les plantes selon les lois naturelles chez Hildegarde de Bingen

Voici la neuvième parution de la série consacrée aux œuvres naturalistes et médicales d’Hildegarde de Bingen (1098-1179), qui font suite aux précédentes publications de Narthex sur sa trilogie mystique. Extraordinaire figure du XIIe siècle, abbesse bénédictine et musicienne, Sainte Hildegarde a eu de remarquables intuitions médicinales, étayées par ses observations de la nature. Le livre I sur les plantes s'appuie sur les deux piliers de la médecine antique : la loi des similitudes et la loi des contraires, et explore la théorie des signatures dans la pharmacopée naturelle.
Publié le 23 juillet 2020
Écrit par Martine Petrini-Poli

La médecine antique énonce deux principes fondamentaux de l’art médical : similia similibus curantur (loi des semblables) ; contraria contrariis curantur (loi des contraires), ce qui implique le respect des lois naturelles de la vie. En fait, natura medicatrix (c’est la nature qui soigne). La loi des similitudes permet de mieux comprendre la théorie des signatures alors en vigueur à l’époque.

Médecine antique chez Hildegarde de Bingen : loi des similitudes ou loi des contraires ?

« La maladie est produite par les semblables et par les semblables que l’on fit prendre, le patient revient de la maladie à la santé. » Hippocrate

Cette phrase exprime un principe fondateur de la médecine homéopathique antique selon lequel similia similibus curantur (les semblables se guérissent par les semblables). Le principe allopathique, lui, prescrit de soigner les maux par des remèdes qui produisent des effets contraires aux symptômes. Ces deux principes sont considérés comme complémentaires, dans les Moralia in Job, 24, 2 de Grégoire le Grand : La médecine a pour habitude de soigner tantôt par ce qui ressemble à la maladie, tantôt par ce qui lui est contraire.

Le régime des malades les plus faibles se limitait aux boissons. L’eau considérée froide et humide s’oppose au vin sec et chaud. Par analogie de couleurs, le vin rouge est jugé fortifiant pour le sang et le vin blanc diurétique. Les breuvages à base de miel sont fréquemment utilisés.

Ces conceptions qui ont largement dominé la médecine en Occident pendant plus de mille ans ont laissé des traces importantes dans la culture populaire. Certains simples (plantes composées d’une seule substance) ont vu leurs vertus se confirmer par la science moderne, d’autres se sont rattachés à de simples superstitions. L’expression Reprendre du poil de la bête, à l’origine, voulait dire « chercher le remède dans ce qui a causé le mal » ou « chasser le mal par le mal », car on croyait, après une morsure par un chien, que les poils de la bête permettaient de guérir la plaie…

La loi des similitudes conduit à formuler ce qu’on appellera plus tard la théorie des signatures.

La théorie des signatures

Le chapitre LVI. Mandragore (Mandragora officinarum L.) se trouve dans le Livre I sur les plantes d’Hildegarde de Bingen. La mandragore, froide et sèche, est un des exemples de la théorie des signatures : sa racine fourchue la fait ressembler à un corps humain. C’est l’idée que Dieu aurait fourni le moyen de guérir chaque maladie. Ainsi les substances capables de soigner (plantes, animaux, minéraux) portent une signature donnant une indication sur leur utilité. Dieu aurait donc prévu dans la nature, des plantes qui présentent des analogies (forme, couleur, habitat) avec la maladie ou l’organe à traiter.

La mandragore occupe, au Moyen Âge, une place majeure comme plante « magique » ; elle était à la fois crainte et respectée dans toute l’Europe médiévale. On prêtait à la plante et à la terre créée par Dieu et qui n’a pas encore péché, des pouvoirs surnaturels sur le corps et l’esprit. « Celui qui souffre doit prendre une racine de mandragore, la laver soigneusement, en mettre dans son lit et réciter la prière suivante : mon Dieu, toi qui de l’argile as créé l’homme sans douleur, considère que je place près de moi la même terre qui n’a pas encore péché, afin que ma chair pécheresse obtienne cette paix qu’elle possédait tout d’abord. »

Dans les manuscrits enluminés, la mandragore est représentée comme une forme anthropomorphe. Pour la ramasser, il faut attacher un chien par une corde à la plante. On représente aussi le personnage pratiquant l’arrachage ; il se bouche les oreilles ou même sonne du cor pour couvrir le cri de la plante, qui tue celui qui tente de l’arracher. L’animal meurt à la place du cueilleur.

Arrachage d’une mandragore, Manuscrit Tacuinum Sanitatis, Bibliothèque nationale de Vienne, v. 1390 et Ibn Butlan, Tacuinum Sanitatis. BnF, Latin 9333, f. 37 r.Gallica (BnF) © Wikimedia Commons

Selon la théorie des signatures, l’aspect des graines de cumin évoque la forme des reins : on leur prêtera une action diurétique et stomachique. Le saule et la Reine des Prés (Spiraea ulmaria), poussant les pieds dans l’eau, soignent les rhumatismes. La forme de la fleur de pavot est toute indiquée pour soigner les maux de tête. Le renflement de certaines racines du ficaire ont un peu la forme de la figue, ce qui conduit à les prescrire pour les hémorroïdes. Le millepertuis dont les feuilles présentent une multitude de petits trous ressemblant à des yeux, sert pour les affections oculaires. Les feuilles de pulmonaire ou de bourrache, avec leurs marbrures, ont une forme qui rappelle celle des poumons : on les utilisera donc contre les maladies de poitrine : « La pulmonaire est froide, assez sèche, et n’offre pas grande utilité pour l’homme. Si toutefois on a le poumon enflé au point d’étouffer et d’avoir peine à retrouver son souffle, faire cuire de la pulmonaire dans du vin, en boire souvent à jeun, et on sera guéri. »

La théorie des signatures est fondée sur l’isomorphie, la même forme. Comme ses contemporains, Hildegarde est attentive aux similitudes entre la forme des plantes et les parties du corps humain, sous l’influence de deux principes de la médecine antique (similia similibus curare, soigner par l’identique, ou contraria contrariis curare, soigner par les contraires).

Dans le tableau d’Arcabas, le Christ fait de la boue avec sa salive et l’applique sur les yeux de l’aveugle. Cela n’est pas sans rappeler comment Dieu a façonné l’homme. Il a mis son souffle dans la terre pour qu’Adam, homme tiré de l’humus, la terre, soit un être vivant. Nous verrons, dans le prochain article, la place des éléments, en particulier de la terre, dans le Livre II d’Hildegarde de Bingen sur les éléments.

Martine Petrini-Poli

Arcabas, Guérison de l’aveugle-né, église Saint-Hugues de Chartreuse, devenue Musée Arcabas © D.R.
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