2ème vision
La 2ème vision montre la Trinité de la première vision, dont subsiste le visage barbu du Père, qui sort du champ de l’image et domine le visage imberbe et grenat du Fils, tenant dans ses bras rouges le cercle du cosmos. En bas de l’image, sous le cosmos, on aperçoit les pieds rouges et le pan de la robe blanche du Père.
Dans les zones concentriques, se trouvent des groupes de vents zoomorphes (léopard, loup, lion, ours), dont les souffles se répandent dans les zones attenantes. Les cercles successifs sont les suivants : « feu lumineux » aux flammes rouges tournoyantes, « feu ténébreux », aux flammes noires, « pur éther » étoilé, « air humide » aux formes ondulées blanches et bleues, « air dense blanc aussi dur qu’un tendon humain », « seconde couche aérienne soulevant des nuages tantôt clairs, tantôt sombres ». Au centre du cercle, la terre est figurée par un disque brun, sur lequel se détache l’homme, nu.
A l’image ovoïde du Scivias, antérieure de « vingt-huit années », Hildegard privilégie ainsi la forme sphérique pour représenter le monde. L’image de l’œuf du Scivias, écrit-elle dans la 2e vision du Livre des Œuvres divines, « permettait de saisir au mieux les éléments du monde. En effet, la structure multiple de l’œuf ressemble à la multiplicité des divisions du monde : dans les deux cas, ce sont les éléments différents que l’on distingue. La roue, elle, évoque exclusivement la révolution, l’exact équilibre des éléments du monde. Aucune de ces deux images ne représente totalement la forme de ce monde : tout à l’entour, il est entier, rond, et il tournoie sur lui-même. Une sphère ronde, qui tournoie sur elle-même, n’en offre pas moins plus de ressemblance avec la forme du monde » (p.20-21).
Le cosmos est en mouvement : souffles des vents qui « tous allaient en direction de la roue et de la figure humaine », course du soleil dans le ciel. Les vents, zoomorphes, jouent un rôle protecteur pour l’homme : « Toutes ces têtes projettent leur souffle sur la roue en direction de la figure humaine. Les vents en effet tempèrent le monde de leur souffle, leur ministère préserve le salut de l’homme… » (p.29). « Ils maintiennent l’énergie de l’univers tout entier, et de l’homme qui recèle la totalité des créatures. Ils les protègent de la destruction. Les vents annexes, quant à eux, soufflent constamment, bien que doucement, tels des zéphyrs » (p.33-34).
Le cosmos apparaît ordonné ; ses mouvements correspondent à ceux de la vie humaine. Le cerveau lui-même suit les phases lunaires : « Ainsi le soleil et la lune, selon cette divine ordonnance, sont au service de l’homme, et selon l’état de l’air et de la brise, ils lui confèrent tantôt la santé, tantôt la maladie : le soleil étend son action du cerveau au talon, la lune des sourcils à la cheville. Lorsque la lune croît, le cerveau et le sang croissent également, et inversement. Si le cerveau de l’homme en effet ne changeait pas d’état, l’homme sombrerait dans la folie, et il serait plus sauvage qu’une bête féroce (…) Lorsque la lune est pleine, le cerveau lui aussi goûte la plénitude, et l’homme est censé. A la nouvelle lune, le cerveau se vide, et l’homme lui aussi est quelque peu vide de sens… » (p.41).
Comme dans le Scivias, l’explication de la vision suit sa description : « Le manteau et la barbe effleurent le crâne du premier visage : dans l’ensemble du plan de la prescience divine, le sommet de l’amour suprême voulut que le Fils de Dieu, en son humanité, ramenât l’homme perdu chez lui, au Royaume des cieux. Une aile se détache des deux côtés du cou de la figure. Toutes deux s’élèvent au-dessus de l’anneau pour se réunir en haut : c’est qu’il est impossible de séparer l’amour de Dieu et celui du prochain, lorsqu’ils s’expriment dans l’unité de la foi par l’énergie divine d’amour, et lorsqu’ils enserrent la foi dans un suprême désir. »
Il est intéressant d’observer que, dans la 3e vision d’Hildegard, les deux cercles figurant le Père et le Fils, laissent place à l’homme universel, centre de la création.
La miniature d’Hildegard von Bingen représentant l’homme au centre de l’univers fait penser aux théories de l’architecte romain du 1er siècle avant J.C., Vitruve, reprises par le dessin de Léonard de Vinci, au XVe siècle. On l’appelle « l’homme de Vitruve » ou « l’homme universel ». Vitruve écrit dans son Traité d’Architecture « De Architectura », au Livre III : « Pour qu’un bâtiment soit beau, il doit posséder une symétrie et des proportions parfaites comme celles qu’on trouve dans la nature. »
L’homme devient ainsi le modèle géométrique idéal pour l’architecture. Le dessin de Vinci représente un homme en deux positions superposées, bras et jambes écartés, inscrits dans un cercle et un carré. Le bâtiment parfait pour Vitruve était déjà le temple, lieu du divin, le carré formant le sol et le cercle le dôme. Les formes géométriques du cercle et du carré sont considérées comme parfaites à la Renaissance.