L’Imitation de Jésus Christ est le livre le plus diffusé et le plus lu en Europe après la Bible, de la fin du Moyen Âge jusqu’au début de l’époque contemporaine. Il a suscité l’intérêt d’éditeurs, d’illustrateurs et de traducteurs aux motivations tant dévotionnelles qu’artistiques. On lit sur papier de Chine annoté et signé par l’éditeur parisien Ambroise Vollard : » Prenez tous les jours un temps réglé pour cette pieuse lecture… (Extrait de l’Imitation). Ambroise Vollard. « .
Pionnier de l’art moderne et du renouveau de l’Art sacré
En effet, 216 compositions originales de l’Imitation de Jésus-Christ ont été dessinées par Maurice Denis (1870-1943) et gravées sur bois sous sa direction avec la collaboration de Tony Beltrand. Elles ont été éditées en feuilles sous couverture imprimée en noir par l’éditeur Ambroise Vollard à Paris en 1903 et tirées en 280 exemplaires numérotés sur vélin. Il s’agissait d’une traduction anonyme du XVIIe siècle, honorée du Bref de » Notre Saint-Père le Pape Pie IX « . C’est une très belle illustration d’inspiration symboliste et mystique de Maurice Denis. L’ensemble est gravé avec une grande finesse respectant le trait poétique du peintre. Le peintre et le graveur étaient très liés d’amitié depuis leur première rencontre. Madame Claire Denis, petite-fille et ayant droit de Maurice Denis, nous a aimablement invités à reproduire ses œuvres et nous l’en remercions.
Maurice Denis est né à Granville, dans la Manche, en 1870 et mort à Paris en 1943. Peintre français du groupe des Nabis, il est aussi décorateur, graveur, théoricien et historien de l’art. Il est un des pionniers de l’art moderne et du renouveau de l’Art sacré.
Circonstances de composition des bois gravés de Maurice Denis
La Bibliothèque nationale a organisé une exposition en 2010-2011 en hommage à la Société des Amis de la Bibliothèque nationale, et sélectionné un don de ses Amis, dans la réserve de Livres rares, L’Imitation de Jésus-Christ, illustrée de bois gravés par Maurice Denis, avec les dessins originaux : On considère L’Imitation de Jésus-Christ comme le dernier des livres symbolistes de Maurice Denis : les dessins en furent exécutés de 1893 à 1899. Le peintre envisagea un moment une illustration lithographique, comme en témoigne l’unique épreuve jointe à l’album : c’était le parti le plus logique, étant donné le grain et le velouté du crayon, la richesse des noirs. La reproduction des dessins de Maurice Denis en gravures était donc un véritable défi à l’habileté des soixante-dix-neuf artisans du Syndicat des graveurs sur bois qui se partagèrent le travail sous la direction de Tony Beltrand. Cet exemplaire unique, qui comporte les deux cent seize dessins originaux reproduits en gravure, quinze dessins non retenus et quatre études préparatoires, fut constitué par Gabriel Thomas, ami intime de Maurice Denis, qui commanda à Louise-Denise Germain les reliures de ces deux volumes, en veau brun nuancé, décorées de fils lamés or et argent.
Maurice Denis et l’Art sacré : les Nabis
Le Journal que tenait Maurice Denis adolescent, qu’il poursuit jusqu’à sa mort, révèle une vocation précoce : » Je dois être un peintre chrétien et célébrer tous les miracles du christianisme, je pense que cela doit être le cas « . Il fait ses études au Lycée Condorcet à Paris, puis à l’Académie Julian et aux Beaux-Arts. Il forme, entre 1888 et 1903, avec ses amis Sérusier, Bonnard, Vuillard, Ranson, à la charnière des XIXe et XXe siècles, un groupe d’ artistes, les Nabis (« prophètes » ou « inspirés de Dieu » en hébreu), une avant-garde qui se situe aux origines de l’art moderne. Ils souhaitent transposer et non reproduire la réalité observée dans leur art afin de donner un équivalent plastique et coloré à des sensations, émotions ou états d’âme.
Les Nabis, artistes «prophètes, inspirés de Dieu»
Au service de cet art symboliste, ils choisissent la synthèse et la stylisation des formes. Les couleurs subjectives qu’ils utilisent sont posées en aplats délimités par des cernes sombres. Leur production artistique se caractérise aussi par le sens du décor, par l’usage des arabesques et par une inspiration souvent japonisante (Musée départemental Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye). Ouverts à tous les arts, les Nabis sont aussi des créateurs de céramiques, de vitraux, de meubles, d’affiches, de décors de théâtre et sont liés, en disciples du symbolisme, aux mouvements littéraires et musicaux de leur temps.
Dans ce contexte, Maurice Denis réalise en 1889 les dessins pour le recueil poétique de Verlaine, Sagesse, publié par Ambroise Vollard. Dans la revue Art et Critique du 30 août 1890, l’artiste déclare : » Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées « . Au Salon des Artistes Indépendants, en 1891, il expose une toile d’un style pointilliste, Mystère Catholique. En 1893, il produit un chef d’œuvre d’illustration avec le Voyage d’Urien d’André Gide, 30 lithographies, publié par Edmond Bailly. Les dessins de L’Imitation de Jésus-Christ furent exécutés de 1893 à 1899 et publiés en 1903. La Vita nova de Dante, les Fioretti de Saint François d’Assise jalonnent aussi sa carrière d’illustrateur.
Martine Petrini-Poli