Le Livre II sur les éléments du Livre des Subtilités des créatures divines d’Hildegarde de Bingen est composé de quatorze chapitres. : « De aere » (l’air), « De aqua » (l’eau), « De mari » (la mer), « De Seh » (le lac), « De Rheno » (le Rhin), « De Mogo » (le Main), « De Donuwa » (le Danube), « De Mosella » (la Moselle), « De Na« , « De Glan » (la Nahe et le Glan, deux rivières au bord desquelles se trouvaient les monastères où vécut Hildegarde), « De terra« , « De terra quae calaminum dicitur » (De la terre que l’on appelle la calamine), « De terra quae creta dicitur » (la craie) et « De terra subviridi » (la terre verdâtre).
Le 1er chapitre concernant l’air est suivi par neuf chapitres qui portent sur l’eau et quatre sur la terre. L’eau est d’abord étudiée dans sa généralité comme remède médical pour soigner aussi bien les yeux que les dents ou les problèmes féminins : L’eau est une source de vie et elle-même est la source d’où sortent les eaux qui transportent toute la saleté. Si, dans l’œil d’un homme, le sang et l’eau diminuent en raison de la vieillesse ou d’une maladie, vous devez aller à une rivière ou verser de l’eau courante dans un récipient. Penché dessus, absorbez l’humidité de cette eau dans vos yeux. Cette humidité alimentera l’eau qui sèche vos yeux et leur donnera de la clarté. Vous devez également prendre un chiffon en lin et le tremper dans de l’eau pure et froide, l’attacher autour de vos tempes et de vos yeux, en faisant attention de ne pas toucher vos yeux afin qu’ils ne soient pas blessés par l’eau. L’eau froide dans le chiffon en lin doux humidifiera les yeux jusqu’à ce que l’eau dans les yeux soit restaurée par cette eau afin de voir.
En effet, puisque les yeux sont ardents, leur membrane est dense.
Ceux qui veulent avoir des dents dures et saines boivent de l’eau pure et froide dans leur bouche le matin lorsqu’ils sortent du lit. Tenez-le un peu dans votre bouche pour que le mucus autour de vos dents devienne mou et que cette eau puisse laver les dents (…) L’eau chaude les rend plus fragiles (…)
La mer, les lacs et les rivières sont alors évoqués en fonction de la qualité de leurs eaux pour l’alimentation et la médecine, et pour leurs poissons : Le Danube naît de l’élan de la mer ; c’est pourquoi son eau est claire et âpre, son sable sain et beau. Mais son eau n’est bonne ni dans les aliments ni en boisson, car elle blesse les viscères de l’homme par son âpreté ; à cause toujours de cette âpreté, elle rend la peau de l’homme toute noire, sans toutefois la rendre malade, car elle est claire et âpre. Quant aux poissons, ils sont sains et peuvent se conserver, car cette eau est âpre. Quant au Rhin, il coule sur un sol sablonneux, dont le sable est léger et tempéré, si bien qu’on y trouve des plantes, et le fond de la Meuse est fangeux, comme celui de la Moselle.
Les chapitres XI (La terre) à XIV (La terre verdâtre) sont consacrés à la terre. Hildegarde de Bingen porte une attention particulière à la terre, car c’est avec la terre que Dieu a créé l’homme.
Hildegarde écrit dans sa préface : Lors de la création de l’homme, une terre particulière fut tirée de la terre : c’est l’homme. Et tous les éléments étaient à son service, car ils sentaient que celui-ci était vivant, et ils coopéraient avec lui à toutes ses entreprises, et lui coopérait avec eux. Et la terre fournissait sa verdeur, selon l’espèce et la nature et les mœurs et tout l’environnement de l’homme. En effet, la terre, avec ses plantes utiles, offre un panorama des fonctions spirituelles de l’homme ; mais avec ses plantes inutiles, elle fait apparaître ses fonctions mauvaises et diaboliques.
Hildegarde évoque aux chapitres XII et XII la calamine et la craie, et elle montre dans les chapitres XI et XIV qu’il existe quatre sortes de terres, « une terre blanche, c’est-à-dire pâle, une noire, une rouge et une verdâtre ». La terre blanche est ainsi censée produire le vin, les arbres fruitiers et une petite quantité de céréales. La terre noire « ne produit pas toutes les récoltes », mais produit tout généreusement, et la terre rouge produit des récoltes abondantes qui, « à cause de leur profusion, ne peuvent parvenir à terme ». Quant à « la terre qui n’est ni blanche, ni noire, ni rouge mais verdâtre et comme pierreuse », elle est « froide et sèche ; c’est pourquoi elle ne produit en abondance ni le vin, ni les fruits ni les récoltes ». D’après la moniale, la terre verdâtre peut offrir un soulagement à un malade « écrasé de torpeur » et ayant « comme une paralysie » si l’on suit un rituel qui consiste à placer une motte de cette terre sous la tête et sous les pieds de l’homme, et si l’on récite cette formule de bénédiction : « Toi, terre, développe-toi dans cet homme et sois utile pour lui, afin qu’il reçoive ta verdeur, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, qui est Dieu tout puissant et vivant. Et il fera ainsi trois jours de suite. »
Laurence Moulinier propose de donner au mot latin elementum, titre du chapitre, le sens de « milieu dans lequel vit un être », comme le suggère Hildegarde en définissant la terre comme celle qui « fait pousser les plantes et porte les animaux et porte toutes choses ». Ceci pourrait expliquer l’absence de l’élément « feu » dans ce chapitre consacré aux éléments, ainsi que la présence de rivières locales, en tant que milieux naturels. La parenté entre l’ouvrage d’Hildegarde de Bingen et le livre de la Genèse est étroite. La recherche naturaliste de la moniale est guidée par la pensée théologique de la Création.
Martine Petrini-Poli
Bibliographie
Laurence Moulinier, La Terre vue par Hildegarde de Bingen (1098-1179), mars 2005, Paris, France. pp.205-230, halshs-00608870