Les Sermons de Bourdaloue (1632-1704)
Louis Bourdaloue, né en 1632 à Bourges et mort en 1704 à Paris, est un jésuite français, brillant prédicateur connu pour la qualité de ses sermons. Il entre dans l’ordre des jésuites à 16 ans. Professeur de théologie, de rhétorique, et de philosophie, il est ordonné prêtre en 1665.
En 1669 il est appelé à Paris, où son talent et sa réputation lui valurent de prêcher à la cour, devant Louis XIV et ses courtisans. Il fut ainsi surnommé roi des prédicateurs, prédicateur des rois. Lors de la révocation de l’Édit de Nantes, il se rend en Languedoc pour éclairer les protestants (1686). Sainte-Beuve considérait Bourdaloue comme le plus janséniste des jésuites : « Le grand avantage de la vie religieuse, c’est l’abnégation chrétienne, c’est la mortification des sens, c’est la croix. » Il consacre ses dernières années au service des pauvres, des malades, et des prisonniers.
Le talent oratoire et la rigueur morale du père Bourdaloue sont appréciés de la marquise de Sévigné qui assiste à ses sermons et le mentionne plusieurs fois dans ses lettres. Dans une Lettre à sa fille, Mme de Grignan, du 5 février 1674, elle écrit :
Le P. Bourdaloue fit un sermon le jour de Notre-Dame, qui transporta tout le monde ; il était d’une force à faire trembler les courtisans, et jamais prédicateur évangélique n’a prêché si hautement et si généreusement les vérités chrétiennes. Il était question de faire voir que toute puissance doit être soumise à la Loi, à l’exemple de Notre Seigneur, qui fut présenté au Temple : enfin, ma bonne, cela fut porté au point de la plus haute perfection, et certains endroits furent poussés comme les aurait poussés l’apôtre saint Paul.
On se presse à ses sermons qui débutent à 15h, on y retient sa place ! Il fallait qu’il prêchât dans un lieu plus accessible ; la presse et les carrosses y font une telle confusion que le commerce de tout ce quartier-là (église Saint-Jacques de la Boucherie) en est interrompu. » Lettre du 27 février 1679 de Mme de Sévigné à Bussy-Rabutin
« La médisance est l’ennemi le plus mortel de la charité. »
Certes, Bourdaloue est prédicateur des rois, mais aussi du peuple : « Vous qui tenez dans le monde les premiers rangs, et vous qui vous trouvez réduits aux derniers, vous que vos conditions distinguent, et vous qu’elles ne distinguent pas, grands et petits, riches et pauvres, car je suis redevable à tous, écoutez-moi (…) Être placé au-dessus des autres, n’est qu’une obligation plus étroite de travailler pour les autres et de les servir. » En moraliste classique, Bourdaloue privilégie les formules au présent de vérité générale : « La médisance est l’ennemi le plus mortel de la charité. »
Le sermon dure environ 1h30. On lit dans les Mémoires de Théophile Gautier : « Pourquoi ces petits vases allongés s’appellent-ils des bourdalous ? Voici : c’est que l’illustre prédicateur faisait de si interminables sermons, que les femmes durent prendre, contre leur longueur, certaines précautions que nous croyons inutile d’expliquer. »
Le prédicateur, enterré dans la crypte de l’église Saint-Paul-Saint-Louis, à Paris IVe, y prêche de nombreuses homélies, lors du Carême et de l’Avent, entre 1669 et 1693, et prononce l’Oraison funèbre du Grand Condé en 1687 : « Dieu me donna le pressentiment de la conversion du prince. Non seulement j’avais formé le vœu, mais je l’avais pour ainsi dire anticipé par une prière qui semblait alors contenir quelque chose d’une prédiction. Qu’il s’agisse d’une inspiration ou d’un sentiment de zèle, j’ai été transporté au-delà de moi-même, ô Seigneur, et vous m’avez assuré que vous n’abandonneriez pas ce grand homme, dont le cœur était si vrai que je le connaissais, dans la voie de la perdition et de la corruption du monde. Il a entendu ma voix ; il Vous a entendu. »
Madame de Sévigné écrit dans une Lettre du 5 mars 1683 : « Je suis entêtée du P. Bourdaloue. J’ai commencé dès le jour des Cendres à l’entendre à Saint-Paul ; il a déjà fait trois sermons admirables. (…) Si nous n’avons pas bien fait nos Pâques, ce n’est vraiment pas la faute du P. Bourdaloue. »
Son Sermon sur les richesses fut particulièrement remarqué :
On veut être riche; voilà la fin qu’on se propose et à laquelle on est absolument déterminé. Des moyens, on en délibérera dans la suite ; mais le capital est d’avoir, dit-on, de quoi se pousser dans le monde, de quoi faire quelque figure dans le monde, de quoi maintenir son rang dans le monde, de quoi vivre à son aise dans le monde ; et c’est ce que l’on envisage comme le terme de ses désirs. On voudrait bien y parvenir par des voies honnêtes, et avoir encore, s’il était possible, l’approbation publique ; mais, à défaut de ces voies honnêtes, on est secrètement disposé à en prendre d’autres et à ne rien excepter pour venir à bout de ses prétentions.
ÉDITIONS CLASSIQUES GARNIER, COLL. CLASSIQUES JAUNES, 2021
Ses sermons, écrits avec soin, sont assez nombreux dans ses trente ans de prédication pour former des éditions de douze et seize volumes, dont on retient les Sermons sur la Providence – Sur l’ambition – Sur l’impureté – Sur la médisance – Sur l’hypocrisie – Sur la fausse prudence du monde – Sur la sévérité évangélique – Sur la profanation de la Messe – Sur l’aveuglement spirituel – Sur la pénitence – Sur la pensée de la mort – Sur la pénitence finale – Sur les souffrances de l’enfer – Sur la grâce – Sur l’amour de Dieu – Sur la résignation – Sur la paix intérieure – Sur le culte des saints – Sur le mystère de l’Incarnation.
On lit dans le Sermon sur la pensée de la mort : « Maintenant même que je vous parle de la mort, pensez-vous à la mort, ou y pensez-vous bien ? Y pensez-vous attentivement? Y pensez-vous chrétiennement ? Y pensez-vous efficacement ? Mais si vous n’y pensez pas, à quoi pensez-vous ? Et si vous n’y pensez pas à présent, quand y penserez-vous, ou qui jamais y pensera pour vous ? Heureux qui n’attend pas à y penser, lorsqu’il ne sera plus temps d’y penser ; heureux qui y pense dans la vie ! C’est ainsi que la mort, châtiment du péché, en sera pour nous le remède. Elle est entrée dans le monde par le péché ; mais si nous la considérons comme les saints, si nous y pensons comme les saints, elle nous fera entrer comme eux, par la grâce, dans l’éternité bienheureuse. »
Le prédicateur recourt à la raison ; son discours est construit avec un énoncé, chaque partie est liée à la précédente et évolue à partir de celle-ci. La proposition est clairement énoncée et élaborée argument après argument avec une logique irrésistible. Il ne fait guère appel aux émotions. L’usage d’un raisonnement habile et convaincant était à la mode et permettait aussi de donner le change au protestantisme. Le sermon s’ouvre par une brève citation de l’Écriture, que l’on appelle le texte, puis commence par un premier exorde, qui annonce le sujet du discours. Suit le second exorde qui a pour fonction d’annoncer et de justifier le plan du sermon. Le corps du discours se divise en effet en deux, trois ou quatre parties. Enfin tout s’achève par la péroraison, qui est tout à la fois la conclusion logique du propos et une exhortation à la prière et à la conversion, qui doit emporter l’adhésion de l’auditoire et le pénétrer de ferveur spirituelle.
Martine Petrini-Poli
(professeur de lettres en classes préparatoires HEC au Lycée de Chartreux et à l’Ecole des Avocats de Lyon (EDA), rédactrice à Espace prépas, Ellipses et Studyrama.
Responsable de la Pastorale du Tourisme de Saône-et-Loire)