La Lectio divina est une forme de lecture spirituelle, qui se fonde sur la doctrine des quatre sens de l’Écriture. Le Livre IV du Traité des Principes d’Origène présente l’interprétation de l’Ecriture Sainte et établit le fondement anthropologique des sens de l’Ecriture. De même que l’homme, « l’être tout entier » selon saint Paul, est « esprit, âme et corps » (1 Th 5, 23), de même Origène distingue trois sens principaux de l’Ecriture :
– Un sens littéral (le corps), sens premier à la première lecture,
– Un sens moral (tropologique) relatif à l’âme humaine,
– Un sens spirituel ou mystique (anagogique) relatif à l’esprit humain, touché par l’Esprit-Saint,
– A cette tripartition platonicienne, se joint un sens allégorique, symbolique.
Ainsi, dans ses Homélies sur l’évangile de Luc, 34, 3.7-9, Origène interprète, au sens allégorique, la parabole du Bon Samaritain : l’homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho représente Adam après le péché, Jérusalem le paradis, Jéricho le monde, les brigands les forces hostiles ; le prêtre (cohen) représente la Loi, le lévite signifie les Prophètes, l’auberge qui accueille le blessé est l’Église, et lorsque le Bon Samaritain, c’est-à-dire le Christ rédempteur, déclare qu’il va revenir, il promet par là son retour sur Terre dans sa Gloire (Parousie). Ainsi la parabole du Bon Samaritain représente l’histoire de l’humanité depuis la chute d’Adam jusqu’à la Rédemption par Jésus-Christ.
Le Samaritain hisse le blessé sur sa monture
On songe au tableau de Van Gogh (1890), inspiré par l’œuvre du peintre de la couleur, Delacroix, dont il inverse le sujet entre la gauche et la droite. Cette inspiration religieuse de la fin de la vie de Van Gogh, à l’asile de Saint-Rémy, évoque le souvenir de son expérience de jeune prédicateur, fils de pasteur, dans le Borinage en Belgique. Il partage la vie des pauvres avant de se tourner vers la peinture, qui va se substituer à la théologie.
Un jeu subtil de couleurs chaudes et froides disposées en diagonale divise la toile en deux parties : la froideur bleutée du fond de la toile fait contraste avec les couleurs chaudes, jaunes lumineuses baignant le Samaritain, qui semble irradier d’une chaleureuse compassion. Mais le Samaritain ploie sous le poids du corps inerte qu’il tente de hisser sur sa monture et lutte pour lui redonner vie. Dans le fond, la couleur, convulsive, obstrue l’espace. Le rocher devient une paroi de torrents. La perspective est bouchée, l’espace clos. Un combat se joue entre l’ombre et la lumière, entre Jacob et l’ange. Dans le chemin sinueux se profilent deux silhouettes ternes, dont l’une disparaît à l’horizon. Van Gogh écrivait à son frère Théo : « La peinture est une démarche pour aller de l’ombre à la lumière. »
Le genre littéraire de la parabole
Le genre littéraire du texte du Bon Samaritain est celui de la parabole. Le terme de parabolè signifie en grec « rapprochement, comparaison ». La parabole est un procédé littéraire qui consiste en une comparaison développée dans un récit aux éléments empruntés à la vie quotidienne (pastorale, agricole, familiale) et permettant de concrétiser un enseignement. Le narrateur provoque l’auditeur, l’invite à réfléchir et à trouver lui-même les solutions grâce au caractère énigmatique, voire paradoxal de son récit. « Et qui est mon prochain ? » Luc 10,29 est devenu une question philosophique, car la formule biblique est paradoxale : le prochain est aussi ce qui n’est pas le proche. Mon prochain, c’est autrui. Or comment l’altérité (autrui vient du mot latin « alter ») peut-elle être aussi proximité ?
Actualité des quatre sens de l’Ecriture
En 1992, le Catéchisme de l’Église catholique (CEC § 115 à 119) se réfère au principe des quatre sens de l’Ecriture, qui correspond à la Lectio divina : Les sens de l’Écriture
115 Selon une ancienne tradition, on peut distinguer deux sens de l’Écriture : le sens littéral et le sens spirituel, ce dernier étant subdivisé en sens allégorique, moral et anagogique. La concordance profonde des quatre sens assure toute sa richesse à la lecture vivante de l’Écriture dans l’Église :
116 Le sens littéral. C’est le sens signifié par les paroles de l’Écriture et découvert par l’exégèse qui suit les règles de la juste interprétation « Tous les sens de la Sainte Ecriture trouvent leur appui dans le sens littéral » (S. Thomas d’A., s. th. 1, 1, 10, ad 1).
117 Le sens spirituel. Grâce à l’unité du dessein de Dieu, non seulement le texte de l’Écriture, mais aussi les réalités et les événements dont il parle peuvent être des signes.
1. Le sens allégorique. Nous pouvons acquérir une compréhension plus profonde des événements en reconnaissant leur signification dans le Christ ; ainsi, la traversée de la Mer Rouge est un signe de la victoire du Christ, et ainsi du Baptême (cf. 1 Co 10, 2).
2. Le sens moral. Les événements rapportés dans l’Écriture peuvent nous conduire à un agir juste. Elles ont été écrites » pour notre instruction » (1 Co 10, 11 ; cf. He 3 – 4, 11).
3. Le sens anagogique. Nous pouvons voir des réalités et des événements dans leur signification éternelle, nous conduisant (en grec : anagoge) vers notre Patrie. Ainsi, l’Église sur terre est signe de la Jérusalem céleste (cf. Ap 21, 1 – 22, 5).
118 Un distique médiéval résume la signification des quatre sens : Le sens littéral enseigne les événements, l’allégorie ce qu’il faut croire, le sens moral ce qu’il faut faire, l’anagogie vers quoi il faut tendre (Augustin de Dace, Rotulus pugillaris, I : ed. A. Walz, Angelicum 6 [1929] 256).
119 « Il appartient aux exégètes de s’efforcer, suivant ces règles, de pénétrer et d’exposer plus profondément le sens de la Sainte Écriture, afin que, par leurs études en quelque sorte préparatoires, mûrisse le jugement de l’Église. Car tout ce qui concerne la manière d’interpréter l’Écriture est finalement soumis au jugement de l’Église, qui exerce le ministère et le mandat divinement reçus de garder la parole de Dieu et de l’interpréter » (DV 12, 3) : Je ne croirais pas à l’Evangile, si l’autorité de l’Eglise catholique ne m’y poussait (S. Augustin, fund. 5, 6 : PL 42, 176).
Monseigneur Gianfranco Ravasi, président du Conseil pontifical de la culture, bibliste, et président de la commission du Message du synode des évêques, a souligné en 2008 le caractère « prophétique » des travaux du cardinal Henri de Lubac (1896-1991) sur les quatre sens de l’Ecriture sainte dans ses quatre volumes « Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Écriture, Première partie. Paris, Aubier, 1959 » qui offrent une synthèse des différentes formes de lecture de l’Écriture, depuis les héritiers d’Origène jusqu’aux précurseurs de l’époque moderne.
Monseigneur Ravasi a salué le caractère « extraordinaire de l’œuvre de la recherche à l’intérieur du monde médiéval » du cardinal de Lubac. Le bibliste italien a souhaité que soit « reproposée » cette lecture de la Bible selon les « quatre sens » de l’Ecriture : le sens « littéral, historique », le sens « de l’annonce » de la foi, puis celui de « l’existence, de la morale », qui dit comment vivre en chrétiens dans la société, et enfin celui de « l’espérance » chrétienne qui indique « le terme ultime » de cette vie.
À la suite des travaux d’Henri de Lubac sur l’exégèse médiévale, la théorie des quatre sens semble renaître chez les théologiens contemporains. Urs von Balthasar écrivait en 1970 : « Les quatre sens de l’Écriture célèbrent leur résurrection cachée dans la théologie d’aujourd’hui : en effet le sens littéral apparaît comme celui qu’il faut faire émerger en tant qu’historico-critique ; le sens spirituel en tant que kérygmatique, le sens tropologique en tant qu’essentiel et le sens anagogique en tant qu’eschatologique ».
Martine Petrini-Poli