Voir toutes les photos

Le sermon-modèle médiéval selon Jacques de Vitry au XIIIe siècle – Cultiver et préserver

Dans ce cycle dédié à l'art de l'homélie de son blog Écrits mystiques, Martine Petrini-Poli nous propose d'explorer l’histoire de la prédication chrétienne en tant qu’œuvre littéraire, héritière de la Bible, qui évolue au cours des siècles : des Pères de l’Église au Moyen Âge, du XVIIe siècle à nos jours. Connaissiez-vous l'œuvre de Jacques de Vitry, cardinal-évêque des XIIe-XIIIe siècles, auteur et prédicateur, qui a laissé une somme de 410 sermons-modèles proposés pour les dimanches et fêtes, et également adaptés à l'auditoire, afin de donner une large diffusion aux connaissances théologiques...
Publié le 02 février 2023
Écrit par Martine Petrini-Poli

A côté des sermons des Frères Mineurs et des Frères Prêcheurs, il existe aussi des recueils de sermons-modèles composés par des prédicateurs séculiers au profit de l’ensemble des prédicateurs. Il s’agissait de vulgariser les connaissances théologiques et de toucher un public plus large. Le terme de sermonnaire qualifie un auteur de sermons, un recueil liturgique des œuvres oratoires de l’Église ancienne et un recueil de sermons.

Tout au long de sa vie, Jacques de Vitry a beaucoup prêché. Il laisse 410 sermons, mis par écrit entre 1220 et 1240, et qui composent quatre recueils distincts. Le premier propose des sermons pour les dimanches et les fêtes du temporal (« dominicales » vel « de tempore »), sur le sanctoral (« de sanctis »), selon la condition des personnes (« ad status » vel « vulgares ») et pour les féries (« feriales vel communes »).

Jacques de Vitry (1175/1180-1240), issu de la petite noblesse, fit ses études à Paris, avant de devenir chanoine régulier de Saint Augustin en 1211, dans l’ancien diocèse de Liège. Il commença à y prêcher et devint ami de Jean de Nivelles, chanoine de la ville et prédicateur renommé. En 1213, il prêcha en France contre les hérétiques en vue de la 5e croisade. Sacré évêque de Saint-Jean d’Acre en 1216, il renonça à cet évêché en 1228. Nommé cardinal de Tusculum en 1229, Jacques de Vitry resta au service de la curie romaine jusqu’à sa mort en 1240. La plus grande partie de l’activité pastorale de Jacques de Vitry se situe entre 1211 et 1228, au moment où il fut chanoine régulier, puis évêque en Orient. Il rédige son recueil de sermons ad status dans les années 1220 et propose soixante-quinze modèles couvrant trente et un status différents.

Dans la préface de ce recueil, l’auteur expose son intention d’écrire en style humble et médiocre afin d’être à la portée des plus simples ; C’est pourquoi, entre plusieurs formulations, que le docteur des âmes choisisse les plus utiles, en préférant l’utilité à la subtilité. (…) Que le prédicateur se soucie plus de l’édification des auditeurs que de beau langage. (…) Qu’il tienne aux laïcs et aux ignorants des propos simples et clairs, et non pas subtils et obscurs (…). Les discours sont assez longs, mais on n’est pas tenu de tout dire le même jour, et il convient même de les abréger lorsqu’on s’adressera aux laïques qui ont besoin que l’on soit clair et concis. Il se soucie de ses auditeurs : La plus grande prudence et le plus grand discernement sont nécessaires dans la prédication. Il faut proposer des choses différentes à des gens différents. Le même discours ne convient pas à tout le monde. Il faut donc parler un langage et parfois un idiome différent, suivant que l’on s’adresse aux grands ou aux petits, aux prélats ou aux clercs inférieurs, (…) d’une manière aux princes et aux chevaliers, d’une autre aux marchands. »

Jacques de Vitry recommande de choisir avec circonspection la matière des sermons. Il dispense dans le groupe de sermons ad status un enseignement adapté aux différents états ou couches de la société : aux prélats et prêtres, moines et religieux, étudiants, juges et avocats, théologiens et prédicateurs, moines vêtus de noir, de blanc ou de gris, ermites, solitaires et reclus, frères mineurs, frères d’un ordre militaire, garde-malades, lépreux et infirmes, pauvres et affligés, endeuillés, croisés, pèlerins, chevaliers et puissants, citadins et bourgeois, marchands, paysans et manœuvres, marins, servantes, femmes mariées, veuves et vierges, enfants et adolescents.

Calendrier des douze mois de l’année, avec travaux de champs de Pietro de Crescenzi ; enlumineur Maître du Boccace de Genève, dit Colin d’Amiens, (XVe siècle), musée Condé de Chantilly © Wikimedia commons

Sermon aux fermiers, vignerons et autres ouvriers

Za. 13, 5 Je travaille la terre, car Adam a été mon exemple dès ma jeunesse.

Le matin sème ta semence, et le soir ne cesse pas : car tu ne sais pas ce qui peut plutôt germer, ceci ou cela. Avec ces mots, en utilisant l’agriculteur comme exemple, l’Écclésiaste (11, 6) nous exhorte à la persévérance et à l’application dans la prédication de la parole de Dieu. Car il y a beaucoup de choses que nous devons dire à notre peuple, et nous ne devons pas abréger nos sermons par paresse. Si un point ne parvient pas à éveiller nos auditeurs, un autre réussit ; et quand un homme n’est pas ému, un autre l’est. Certains qui ne sont pas convaincus par le début du sermon sont convertis à la fin. C’est pourquoi l’Écclésiaste dit qu’un homme doit semer le matin et le soir, car ainsi il s’enrichit et s’enrichit rapidement.

Aussi, nous lisons dans l’Écclésiaste (20, 30), Celui qui cultive sa terre fera un grand tas de grain, et celui qui pratique la justice sera élevé. Et Salomon dit dans Proverbes (12, 11), Celui qui laboure sa terre sera rassasié de pain. En clair, il veut dire labourer la terre de nos corps en les fouettant et en leur infligeant des douleurs, cultiver la terre de l’Église en enseignant et en instruisant ceux qui lui sont soumis, cultiver nos âmes gagnées en les exerçant dans la vertu et les bonnes œuvres.

Par conséquent, le matin, nous devons semer la semence spirituelle dans le cœur de nos auditeurs, et nous ne devons pas arrêter le soir. Mais du début à la fin, nous devons continuer dans les bonnes œuvres, comme l’Apôtre l’a écrit aux Galates (6, 9), Et en faisant le bien, ne faillons pas. Car en temps voulu nous récolterons, sans faillir. De même qu’un bon fermier ne s’arrête pas de travailler à cause de la pluie ou du froid, ainsi un homme sage ne cesse pas les bonnes œuvres à cause de l’adversité. Comme un fermier qui commence son travail invoque l’aide de Dieu et fait le signe de la croix avant de commencer son travail, ainsi avant de commencer un sermon nous devons avec le signe de la croix chasser les oiseaux de l’enfer, de peur qu’ils n’arrachent la semence de la parole de Dieu du champ de nos cœurs. Et nous prions Dieu d’envoyer la rosée des larmes et le soleil de sa grâce sur la semence de sa parole et de la faire fructifier aujourd’hui dans vos cœurs.

Je travaille la terre… Le travail de la terre, au sens littéral, et le travail manuel sont hautement loués dans l’Écriture Sainte. Sans eux, l’État ne peut pas durer (Écclés. 38, 86). Après la Chute, la pénitence fut imposée à Adam et à ses fils : A la sueur de ton visage tu mangeras du pain (Gen. 3, 19). Par conséquent, ceux qui travaillent avec l’intention de faire la pénitence qui leur est imposée par le Souverain Sacrificateur ne gagnent certainement pas moins de mérite que ceux qui chantent toute la journée à l’église ou veillent du soir au matin. Vraiment, nous voyons beaucoup de pauvres fermiers qui font vivre une femme et des enfants par le travail de leurs mains et travaillent plus que les moines dans les cloîtres ou le clergé dans les églises. S’ils le font par charité, avec l’intention de faire la pénitence qui leur est imposée par Dieu, ils méritent la vie éternelle et gagnent pour eux-mêmes, en outre, un entretien temporel (…).

Il faut à la fois cultiver et préserver. Sinon, le travail ne sert à rien. Il faut donc préserver en cultivant et donc en préservant cultiver. Car les oisifs, qui ne veulent pas cultiver, non seulement ne gagnent aucun bien, mais perdent ce qu’ils ont. À moins de cultiver, nous ne réussirons pas à conserver ce que nous avons. Mais par la culture, nous sommes rendus parfaits, comme il est dit dans l’Écclésiaste (20, 30) : Celui qui cultive sa terre fera un grand tas de blé. Et encore il dit (Écclés. 7, 16) : Ne haïssez pas les travaux pénibles, ni le travail ordonné par le Très-Haut. Et Salomon dit (Éccles. 5, 18 : D. 5, 17) : Il m’a donc semblé bon qu’un homme mange et boive et jouit du fruit de son travail avec lequel il a travaillé le soleil (…)

Martine Petrini-Poli

Contenus associés
Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *