En effet le Livre de la Vie se trouve depuis deux ans entre les mains de l’Inquisition. Elle-même est assignée à résidence au monastère Saint-Joseph du Carmel à Tolède, car sa réforme des couvents est alors remise en question. La composition de l’ouvrage connaîtra une interruption de trois mois, car elle est obligée de retourner à son couvent de l’Incarnation d’Avila. Elle rédige donc cet ouvrage en deux mois environ.
Ses conditions de santé sont alors fort précaires : « Depuis trois mois, j’ai tel bruit dans la tête que j’ai de la peine à écrire » (Prologue). Ce qui frappe à la lecture, c’est la découverte d’un genre littéraire peu familier chez la Madre : la poésie qui s’épanouit en une métaphore filée tout au long de l’ouvrage. « Il s’agit de considérer que notre âme est un château tout de diamant ou de pur cristal, qui se compose de maintes pièces, tout comme il y a au ciel maintes demeures » (Chapitre 1).
Au centre du château « se trouve la salle principale où il se passe des choses du plus haut secret entre Dieu et l’âme » (I ères demeures I, 3). La porte d’entrée de ce château est l’oraison. Thérèse d’Avila avait déjà abordé ce sujet dans le Livre de la Vie dans une sorte d’autobiographie spirituelle. Ici, elle suit les conseils du Père Gracian : « Notez ce dont vous vous souvenez, ajoutez-y d’autres idées et faites un nouveau livre, sans nommer la personne en qui ces choses se sont passées. » Ainsi son expérience est transposée dans l’évocation des sept demeures du parcours de l’âme jusqu’au centre du château, lieu intime du « mariage spirituel ».
Résumé du Château intérieur ou Demeures de l’âme
1ères demeures : l’âme découvre le mystère du mal et du péché qui consiste, de la part du démon, « à refroidir l’amour et la charité des unes envers les autres ». Sont même dénoncés ici comme une ruse du démon « les zèles (spirituels) intempestifs » (I, II, 17).
2èmes demeures : l’accent est alors mis sur la vertu de persévérance dans l’oraison, car « si mollement que vous vouliez la pratiquer, Dieu en fait grand cas » (II, 3). L’aide spirituelle peut venir de « voix et d’appels » tels que des paroles de gens de bien, des sermons, de bonnes lectures, mais aussi des maladies ou des épreuves.
3èmes demeures : les sécheresses spirituelles, qui tarissent notre oraison, doivent être une école d’humilité et non d’inquiétude. Cette humilité consiste à accepter cette épreuve et « à soumettre en tout notre volonté à celle de Dieu » (II, II, 6).
4èmes demeures : « Comme à présent ces demeures sont plus proches du lieu où se tient le Roi, grande est leur beauté » (IV, I, 2). La distinction est faite entre les joies naturelles et bénéfiques qui « ont leur source en nous et aboutissent à Dieu » et « la jouissance (spirituelle) qui a sa source en Dieu » (IV, I, 4). Ce vocabulaire nous prépare à la notion d’union mystique.
5èmes demeures : où il est traité de la façon dont l’âme s’unit à Dieu dans l’oraison. « Sa Majesté elle-même est notre demeure dans cette oraison d’union dont nous sommes, nous, les ouvrières » (V, II, 5). « Oh, Seigneur, quelles épreuves nouvelles attendent cette âme ! Qui aurait dit cela après une aussi haute faveur ? Enfin, bref, d’une manière ou d’une autre, il y a forcément une croix à porter tant que nous vivons » (V, II, 9).
6èmes demeures : « Où elle montre comment, à mesure que le Seigneur accorde de plus hautes faveurs, les épreuves se font plus rudes » (VI, I). L’âme va éprouver toutes sortes d’épreuves intérieures et extérieures avant d’entrer dans la septième demeure : persiflage ou éloges excessifs, très graves maladies sans compter les peines intérieures. Cependant des signes indubitables montrent que l’âme a bien expérimenté l’oraison d’union : d’abord la charge de puissance et d’autorité des mots entendus, ensuite la grande quiétude qui demeure en l’âme, enfin la persistance de ces paroles qui ne s’effacent jamais.
7èmes demeures : c’est la révélation du Mystère de la Très Sainte Trinité. « L’âme comprend avec une absolue certitude que ces trois personnes distinctes sont une seule substance, un seul pouvoir, un seul savoir et un seul Dieu » (VII, I, 6). « L’âme voit de toute évidence qu’elle abrite ces trois Personnes en son sein, tout à fait tout à fait à l’intérieur, au plus profond, sans pouvoir dire, par manque d’instruction, comment elle ressent en elle cette divine compagnie » (VII, I, 7).
Tel est l’itinéraire mystique vécu par Thérèse d’Avila qu’elle dévoile à ses moniales, ses filles spirituelles, par le détour de l’image qui préserve le Sacré.