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La Vigne Mystique de Saint Bonaventure et la dévotion au Sacré Cœur

Avec ce nouveau cycle du blog Ecrits mystiques, Martine Petrini-Poli nous invite à l'étude de la vie et de l'oeuvre de saint Bonaventure (1217 ou 1221 - 1274). Théologien et philosophe majeur du XIIIe siècle, contemporain de Thomas d’Aquin, il est devenu supérieur de l’ordre des Frères Mineurs (franciscains) et créé cardinal-évêque d’Albano à la fin de sa vie. Sa réflexion philosophique s'inscrit dans le courant de l'augustinisme. Nous découvrons ici au fil de l'ouvrage de La Vigne Mystique écrit en 1263 par saint Bonaventure un développement sur la dévotion du Sacré-Coeur, annonçant le courant spirituel autour des apparitions de sainte Marguerite-Marie Alacoque au XVIIe siècle.
Publié le 05 juin 2024
Écrit par Martine Petrini-Poli

[Republication – article initialement publié en mai 2021]

La Vigne Mystique (Vitis Mystica) de saint Bonaventure présente un texte caractéristique de la dévotion au Sacré-Cœur à la fin du Moyen-Âge, qui prépare les apparitions de sainte Marguerite-Marie Alacoque au XVIIe siècle à Paray-le-Monial.

Puisque nous sommes une fois parvenus au Cœur très doux de Jésus et qu’il nous est bon d’être là, ne nous laissons pas facilement séparer de Celui dont il est écrit : “Ceux qui s’éloignent de vous seront écrits sur la terre” (Jr XVII, 13). Et ceux qui s’approchent, quel sera leur sort ? Vous-même vous nous l’apprenez, en disant à ceux qui s’approchent de vous : “Vos noms sont écrits dans le ciel” (Luc, XII, 20). Approchons-nous donc de lui, et nous tressaillirons et nous nous réjouirons en lui, au souvenir de son Cœur. Oh ! qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter dans ce Cœur ! Trésor précieux que votre Cœur, ô très miséricordieux Jésus ! Perle incomparable trouvée en fouillant le champ de votre Corps ! Qui voudrait rejeter cette perle ? Je donnerai tout plutôt, j’échangerai toutes les pensées et affections de mon âme pour l’acheter ; je fixerai tous mes désirs dans le Cœur de mon Seigneur Jésus ; et sans aucun doute il me nourrira de son amour.  Comme il est bon, comme il est doux d’habiter en ce Cœur. C’est la demeure suave, le sanctuaire sacré qui s’ouvre aux âmes à leur départ de ce monde pour les y conserver dans d’ineffables délices pour l’éternité.

Le Sacré-Cœur de Jésus, mosaïque de Luc-Olivier Merson réalisée par l’Atelier Guilbert-Martin (1922), abside de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre

Ayant donc ainsi trouvé votre Cœur, ô Jésus, et mon cœur, je Vous prierai comme mon Dieu. Accueillez mes prières dans le sanctuaire où Vous exaucez, ou plutôt tirez-moi moi-même tout entier en votre Cœur. Votre côté a été percé, c’est pour que, à l’abri de tous les orages du dehors, nous puissions demeurer en cette vigne. Pourquoi encore blessé ? Pour que par la blessure visible nous voyions la blessure invisible de l’amour… Comment mieux montrer cet amour ardent autrement qu’en laissant blesser non seulement le corps, mais aussi le cœur ? La blessure de la chair montre la blessure spirituelle. Qui n’aimerait ce Cœur ainsi blessé ? Qui ne lui rendrait amour pour un tel amour ? Qui n’embrasserait un Époux si chaste ?… Nous donc…, autant que possible, rendons amour pour amour ; embrassons notre cher blessé…, et prions pour qu’Il enlace du lien de son amour notre cœur dur encore et impénitent, pour qu’Il le blesse d’une flèche d’amour.

La Prière de Saint Bonaventure « Ô Jésus, qui par excès d’Amour, avez ouvert votre Côté afin de pouvoir nous donner votre Cœur » :

« Ô aimable Plaie ! C’est par Vous que je suis entré, et que je suis arrivé jusques dans les entrailles les plus intimes de la charité de Jésus-Christ ; c’est là que je fais ma demeure ; là je trouve une si grande abondance de consolations que je ne puis l’exprimer. Ô aveuglement des enfants d’Adam, qui ne savent pas entrer dans Jésus-Christ par ses Plaies sacrées ! Voilà la Félicité des anges qui nous est ouverte, et on néglige d’y entrer ; croyez-moi, hommes aveugles, si vous saviez entrer dans Jésus-Christ par ces Ouvertures sacrées, vous y trouveriez non-seulement une demeure et une douceur admirables pour votre âme mais encore un doux repos pour votre corps. Ô quelle suavité l’esprit ne goûte-t-il pas en s’unissant au Cœur de Jésus ! Je ne puis l’expliquer de paroles, mais faites-en l’expérience, vous y trouverez un Trésor de toutes sortes de biens ; voilà la Porte du paradis ouverte, le Trésor de la sagesse et de la charité est ouvert ; entrez-y donc. Ô âme fidèle, voilà Votre aimable Époux, qui, par un excès de son Amour, vous a ouvert son Côté, afin de pouvoir vous donner son Cœur. Ainsi soit-il. »

Les ordres religieux et le culte du Sacré Cœur

Parmi les propagateurs de la dévotion au Cœur de Jésus, il y eut le courant de la mystique rhénane avec le dominicain Jean Tauler dans son Commentaire de saint Paul et Suso, dans le Livre de la Sagesse (chapitre XVIII). L’Ordre de saint Dominique étendit au culte du Sacré Cœur celui rendu à la Passion et à l’Eucharistie.

Au XIIIe siècle, l’un des centres de la dévotion au divin Cœur fut aussi le monastère d’Helfta, dans la Saxe, lié à Cîteaux, où vécurent sainte Mechtilde de Hackeborn (1210-1282) et sa sœur, l’abbesse Gertrude de Helfta (1252-1302). Mechtilde composa le Livre de la grâce spéciale (Liber specialis gratiæ) et Gertrude Le Héraut de l’amour divin (Legatus divinæ pietatis). Au XVIe siècle, la carmélite Thérèse d’Avila propagea le culte en Espagne. Les apparitions à Marguerite-Marie Alacoque, au XVIIe siècle, furent orchestrées par le Père de la Colombière, qui se fit l’apôtre du culte public rendu au Sacré-Cœur. La première fête fut célébrée à Paray-le-Monial en 1685.

La basilique du Sacré-Cœur de Montmartre fut construite, à la suite d’un vœu national, après la défaite de 1870. La première pierre fut posée en 1875, la basilique achevée en 1914 fut consacrée en 1919 par l’archevêque de Paris.

Martine Petrini-Poli

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