L’homme contient en lui le ciel et la terre et les autres choses créées, et il est une forme unique. Hildegarde de Bingen
« Le LIVRE Ier, assez bref, est un étrange exposé de cosmologie, qui puise manifestement à des sources diverses, sans prendre autrement la peine de les harmoniser. On part du récit de la création contenu dans la Genèse, et de la chute de Lucifer. La lutte entre le Dieu de bonté et les forces du mal explique alors toutes les tensions dans lesquelles vivra l’homme entre le bien et le mal, les humeurs bonnes et mauvaises, la maladie et la santé, la vie et la mort, dans un univers lui-même écartelé entre les forces antagonistes que sont les vents, les éléments, les eaux surtout (…) », explique Pierre Monat dans son introduction à l’ouvrage. Parmi ces sources antiques, celle du macrocosme et du microcosme s’était largement diffusée parmi les auteurs grecs.
Les sources antiques de la théorie du macrocosme et du microcosme
Le macrocosme est le monde en tant qu’organisme analogue à l’homme, une totalité dont les parties sont en correspondance.
Étymologiquement, macrocosme signifie grand monde, du grec macros (μακρός, grand) et cosmos (κόσμος, monde), donc l’univers par rapport à l’homme qui est un petit monde. Le mot microcosme, étymologiquement, vient du grec micros (μικρός, petit), cosmos (κόσμoς, monde), petit monde, donc l’homme par rapport au grand monde, au macrocosme qu’est le monde. Le macrocosme est le monde en tant qu’organisme analogue à l’homme, une totalité dont les parties sont en correspondance. Cette théorie fondée remonte à l’Antiquité grecque, à la tradition hermétique, à Pythagore, Démocrite, Platon, qui écrit dans le Timée (30 d) : « Le démiurge, ayant décidé de former le monde le plus possible à la ressemblance du plus beau des êtres intelligibles et d’un Être parfait en tout, en a fait un vivant unique, visible, ayant à l’intérieur de lui-même tous les vivants qui sont par nature de même sorte que lui (…) En effet, le monde tel un grand être vivant, est doué de mouvement autonome, ce qui suppose une Âme… L’Âme motrice de l’univers est douée d’intelligence. »
Galien, médecin grec (131-201 apr. J.-C.), écrit dans son ouvrage De l’utilité des parties du corps humain, III, 10 : « Des Anciens versés dans l’étude de la nature disent que le vivant est comme un microcosme. »
Homo mundus minor (l’être humain est un monde en miniature)
Ce concept, largement utilisé dans la tradition antique, passe dans le monde chrétien et médiéval, en particulier, par l’intermédiaire du Père de l’Eglise Origène (v.185- v.253), dans ses Homélies sur le Lévitique : « Ne t’étonne pas de m’entendre dire que tout cela est en toi ; comprends que tu es un autre monde en petit (in parvo) et qu’en toi il y a un soleil, il y a une lune, il y a des étoiles. »
Si l’homme est considéré comme un microcosme, parce qu’il reflète l’univers, c’est le signe qu’il a été créé à l’image de Dieu.
Isidore, évêque de Séville (v. 560-636) écrit dans ses Etymologies : « Au sens allégorique, on peut dire que l’homme est le monde, parce qu’il est fait des quatre humeurs comme celui-ci est formé des quatre éléments. Les anciens avaient noté cette analogie et tandis qu’ils appelaient le monde cosmos, ils donnaient à l’homme le nom de microcosmos ou petit monde. » En effet, si l’homme est considéré comme un microcosme, parce qu’il reflète l’univers, c’est le signe qu’il a été créé à l’image de Dieu.
Les Causes et les Remèdes d’Hildegarde de Bingen mêlent cette culture antique christianisée au livre biblique de la Genèse sur la création du monde et de l’homme par Dieu :
Et Dieu fit les éléments du monde, et ceux-ci sont en l’homme, et l’homme en est constitué. Il s’agit du feu, de l’air, de l’eau et de la terre.
« O homme, regarde l’homme. En effet, l’homme contient en lui le ciel et la terre et les autres choses créées, et il est une forme unique, et en lui tout cela est caché. La paternité divine est semblable à la circonférence de la roue, la paternité est la plénitude de la roue. La divinité existe par elle-même, et d’elle procèdent toutes choses, et, hors d’elle, il n’y a pas de créateur. Au contraire, Lucifer n’a pas gardé son intégrité, mais il s’est séparé en plusieurs morceaux, quand il a voulu être ce qu’il ne devait pas être. Car, lorsque Dieu a fait le monde, il avait primitivement l’intention de vouloir que l’homme existât. Et quand il a fait la lumière, qui était volatile et qui pouvait voler partout, il avait en même temps l’intention de donner à une vie spirituelle, qui est souffle de vie, une masse corporelle, c’est-à-dire une forme tirée du limon de la terre (…) Et Dieu fit les éléments du monde, et ceux-ci sont en l’homme, et l’homme en est constitué. Il s’agit du feu, de l’air, de l’eau et de la terre. »
L’universelle analogie et la science moderne
Fondé sur l’universelle analogie, le discours sur le microcosme et le macrocosme renvoie à un jeu de miroirs où les images se répondent.
Entre le microcosme (l’homme) et le macrocosme (l’univers) s’établit une correspondance. Les deux notions se saisissent en corrélation à travers un système de correspondances, qui montrent les aspects de l’unité du cosmos. Fondé sur l’universelle analogie, le discours sur le microcosme et le macrocosme renvoie à un jeu de miroirs où les images se répondent. De l’Antiquité à la Renaissance jusqu’au romantisme et au symbolisme, le thème traverse la pensée occidentale. Cependant, d’un point de vue scientifique, cette antique conception du cosmos, liée à un univers clos et hiérarchisé hérité d’Aristote et de Ptolémée, est remise en question dans le De revolutionibus orbium coelestium, 1543 (Des révolutions des orbes célestes) par l’astronome polonais Nicolas Copernic (1473-1543) connu pour son système héliocentrique dans lequel la Terre et toutes les autres planètes tournent autour du Soleil.
Martine Petrini-Poli