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La Physica ou Livre des Subtilités des créatures divines d’Hildegarde de Bingen

Voici la septième parution de la série consacrée aux œuvres naturalistes et médicales d’Hildegarde de Bingen (1098-1179), qui font suite aux précédentes publications de Narthex sur sa trilogie mystique. Extraordinaire figure du XIIe siècle, abbesse bénédictine et musicienne, Sainte Hildegarde a eu de remarquables intuitions médicinales, étayées par ses observations de la nature. Nous découvrons ici la Physica ou Livre des Subtilités des créatures divines, opus de sciences naturelles en lien avec les réalités invisibles de la Création.
Publié le 25 juin 2020
Écrit par Martine Petrini-Poli

La Physica ou Livre des Subtilités des créatures divines (Liber subtilitatum diversarum naturarum) d’Hildegarde de Bingen (vers 1150-1160)

La Physica traite, en 9 livres, des plantes (230), éléments (14), arbres (63), pierres (26), poissons (36), oiseaux (72), bêtes sauvages (45), reptiles (8) et métaux (8). Le monde décrit est marqué, conformément à la tradition antique et médiévale, par la continuité de la nature et de l’homme, qui partagent les mêmes qualités (chaud/froid, sec/humide) et les mêmes éléments (air/terre, feu/eau), et qui agissent l’un sur l’autre :

« La chaleur des herbes représente l’âme, et le froid représente le corps : en elles, suivant leur nature, se développe tantôt l’une, tantôt l’autre, selon qu’elles regorgent de chaleur ou de froid. Si toutes les herbes étaient chaudes et si aucune n’était froide, elles feraient du mal à ceux qui les utilisent. Si elles étaient toutes froides et si aucune n’était chaude, elles feraient également du tort aux hommes, car les chaudes font obstacle au froid de l’homme, et les froides à sa chaleur (…) » Physica, Livre I, Les plantes.

C’est un livre de sciences naturelles, où elle expose les réalités subtiles cachées dans la Création. Elle y décrit les vertus bénéfiques ou nocives pour la santé de l’homme. Les exposés visent un but thérapeutique, et Hildegarde indique les remèdes qui peuvent être obtenus à partir de chaque plante ou organe animal. Cependant les remèdes d’Hildegarde relèvent de la pharmacopée médiévale et ne sont guère applicables aujourd’hui, car ils sont tous basés sur l’antique théorie des humeurs, comme on le voit pour la sauge. La sauge est considérée comme une panacée à l’époque médiévale, elle était présente dans tous les jardins. Hildegarde recommande la sauge contre l’excès de flegme. Ainsi lit-on dans le Livre I sur les Plantes, au § LXIII. Sauge officinale (Salvia officinalis) : Celui qui souffre de rhumatismes ou est un peu paralysé, qu’il fasse cuire la sauge dans l’eau et les humeurs et le flegme diminueront en lui. On le prend aussi en cas d’haleine fétide, si on est dégoûté de toute nourriture, ou encore, mélangée à d’autres plantes contre les maux d’estomac et les migraines. « Si on est enclin à la colère, prendre de la rose et à peine moins de sauge, réduire en poudre, et, au moment où la colère jaillit en soi, présenter cette poudre devant les narines : en effet, la sauge apaise et la rose réjouit. » Pourquoi meurt-il, l’homme qui a de la sauge dans son jardin ? s’interrogeait-on au XIIIe siècle. Contre la violence de la mort, il n’y a pas de remède dans les jardins.

Sauge officinale (Salvia officinalis)

Quelles sont les sources de la Physica ?

« Hildegarde a pu en effet s’inspirer autant de la Bible que de lapidaires, d’herbiers, d’encyclopédies, de littérature proprement médicale, elle-même susceptible de nombreuses subdivisions, et de bien d’autres écrits, parfois si hétérogènes qu’une typologie des sources paraît difficilement réalisable. »
On reconnaît des citations ou allusions à la Bible, à l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, au Livre des Simples médecines de Platearius (VIe siècle), aux Etymologies d’Isidore de Séville (v.560-636).

Platearius, Livre des Simples médecines (VIe siècle)

En Italie, l’école de Salerne, qui remonte à la deuxième moitié du Xe siècle, présente les premières traces d’une littérature médicale au XIe siècle. Au siècle suivant, le rayonnement de cette médecine en Europe du Nord est bien attesté et a touché la Rhénanie.

« Dans la ‘Physica’, il n’y a pas de jugement de valeur ni de classement hiérarchique : toutes les vertus sont présentées sur un axe horizontal qui vise à accumuler le savoir, et non à le trier ou à le jauger » Cette mentalité se retrouve dans les encyclopédies médiévales, dans les lapidaires (ouvrages sur les pierres précieuses, comme le De lapidibus ou Lapidarius de Marbode) et aussi les bestiaires comme le Physiologus. Le Physiologus, compilation du IIe siècle, apparaît comme une source majeure des livres zoologiques de la Physica, en particulier de son Livre VII, De animalibus. Différentes versions et traductions de cette œuvre circulèrent au Moyen Age.

Quelle est l’histoire des manuscrits de la Physica ?

Laurence Moulinier écrit dans Fragments inédits de la Physica : contribution à l’étude de la transmission des manuscrits scientifiques de Hildegarde de Bingen, p. 629-650 :

« L’abbesse allemande Hildegarde de Bingen (1098-1179) est l’auteur d’une œuvre scientifique appelée ‘Physica’ dont on connaît à ce jour cinq manuscrits complets et différents extraits copiés aux XIVe-XVe siècles, qui suscitent de plus en plus d’intérêt ».

Le titre ‘Physica‘ a été donné par l’édition princeps de Schott, Strasbourg, 1533. – Ms : Herzog August Bibliothek, Wolfenbüttel (Cod. 56,2 Aug. 4°, XIIIe s.) ; Biblioteca Medicea Laurenziana, Florence (Cod. Ashburnam 1323, XIVe s.) ; Bibl. nat. de France, Paris (Lat. 6952, XVe s.) ; Bibl. royale Albert Ier, Bruxelles (Cod. 2551-1494, XVe s.) ; Bibliothèque de la Bourgeoisie, Berne (Cod. 525, XVe s.,fragments)

« Il faut dorénavant ajouter à ce corpus quatre nouveaux fragments conservés dans le fonds Palatin latin de la Bibliothèque Vaticane. Ces découvertes sont précieuses pour l’histoire de l’œuvre et de sa transmission : ces nouveaux fragments nous renseignent en effet sur la fortune de la ‘Physica’ aux derniers siècles du Moyen Âge, notamment sur sa réception dans les milieux médicaux et universitaires, et versent également de nouvelles pièces au dossier des transformations (fragmentation, traduction, etc.) subies par le texte original entre la mort de son auteur et le XVe siècle. »

Martine Petrini-Poli

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