Tous abordent les trois aspects de l’architecture envisagés par Vitruve : la matérialité, l’usage et l’esthétique, et ils sont encore teintés de néoplatonisme et de l’Idée du Beau. Certes, Thérèse d’Avila ne rédige pas un traité d’architecture, mais elle montre, dans une allégorie, l’âme qui franchit les portes de sept demeures de cristal et atteint le centre du Château intérieur, demeure du Maître-Verrier.
Peut-on se représenter ce « castillo » de Thérèse d’Avila ? « Considérons maintenant que ce château a de nombreuses pièces, les unes en haut, d’autres en bas et d’autres sur les côtés ; et au centre, au milieu de toutes celles-ci, se trouve la salle principale, celle où il se passe des choses du plus haut secret entre Dieu et l’âme (…). Il faut absolument que vous suiviez attentivement cette comparaison» (I, I, 3).
Elle évoque le chemin de ronde de ce château et poursuit en insistant sur la multitude des pièces : « Vous ne devez pas vous représenter ces demeures à la queue leu leu, comme en enfilade ; portez plutôt vos regards vers le centre, c’est là qu’est la salle ou le palais où se tient le Roi (…) » (I, II, 8). Ce lieu tient à la fois du château médiéval encerclé de murailles et de fortifications, et du palais, manoir d’une famille noble, résidence des rois et salle d’audience. Thérèse d’Avila se souvient de son séjour chez la duchesse d’Albe, où elle a été éblouie par « de la vaisselle à profusion, des verres, de la faïence, disposés de telle sorte qu’on voit tout, dès l’entrée de ces appartements ou cabinet ».
Elle se sert de cette comparaison dans les Sixièmes Demeures pour évoquer l’âme en extase qui fait totalement corps avec Dieu, une fois logée dans le ciel empyrée de ce cabinet : « Ayant repris conscience l’âme garde l’image des grandeurs qu’elle a vues ; elle ne peut pourtant en décrire aucune, et sa nature ne lui permet pas d’aller au-delà de ce que Dieu a voulu surnaturellement lui montrer » (VI, IV, 8).
Cette intériorisation de l’image architecturale s’inspire aussi de la tradition biblique : l’Arche d’Alliance, contenant les Tables de la Loi, transportée tout au long de l’Exode, est mise à l’abri dans le Saint des Saints par Salomon, considéré comme l’architecte constructeur du Temple de Jérusalem. Cependant, une fois le Temple détruit, germe l’idée du culte intérieur « en Esprit et en Vérité » lorsque le Christ déclare à la Fête de la Pâque juive : « Détruisez ce sanctuaire ; en trois jours je le relèverai. » Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante six ans pour bâtir ce sanctuaire et toi, tu le relèveras en trois jours ? » Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand Jésus ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelant qu’il avait tenu ces propos, crurent-ils à l’Ecriture et à la parole qu’il avait dite » (Jean 2, 19-22).
L’idée de la multitude de demeures du Château intérieur de Thérèse d’Avila se trouve déjà chez Saint Jean, lorsque le Christ fait ses adieux à ses disciples avant l’admirable prière sacerdotale : « Mes petits enfants, je n’en ai plus pour longtemps à être avec vous. Vous me chercherez… Que votre cœur cesse de se troubler ! Croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père » (Jean 13,33 et 14, 1-2).
Puis Jean développe l’image de la demeure, en l’associant à celle du cep de vigne : « Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut pas de lui-même porter du fruit, sans demeurer sur le cep, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi (…). Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour (…). Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jean 15,4 et 10-12).
Ainsi, Thérèse d’Avila construit la demeure de Dieu dans le Livre de la Vie par ses recherches de méthodes d’oraison jusqu’à l’expérience de l’union mystique. Elle fait œuvre d’architecte dans le Livre des Fondations en bâtissant des couvents réformés selon la règle primitive.
Elle déploie pour ses moniales dans le Château intérieur ou Demeures de l’âme la métaphore architecturale pour désigner ce lieu privilégié où « Dieu accapare l’âme tout entière pour lui-même, et, en tant que chose lui appartenant en propre et désormais son épouse, il lui dévoile, justement parce qu’elle l’est, l’une après l’autre, des parcelles du royaume qu’elle a conquis (…). Il fait fermer les portes de toutes ces demeures, ne laissant ouverte que celle où il se tient, afin que nous y entrions » (VI, IV, 9).