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L’Horloge de la Sagesse d’Henri Suso, Livre II,1 : de l’étonnante diversité des doctrines et des disciples

Nous terminons notre exploration de l'ouvrage "L'horloge de la sagesse" d'Henri Suso avec le premier chapitre du livre II. Nous y découvrons les sept colonnes de la sagesse, associées aux sept arts libéraux connus depuis l'Antiquité.
Publié le 10 janvier 2019
Écrit par Martine Petrini-Poli

Ce premier chapitre du Livre II de l’Horloge de la Sagesse porte sur l’enseignement médiéval. Il faut rappeler que les sept arts libéraux désignaient les disciplines intellectuelles fondamentales dont la connaissance depuis l’Antiquité était réputée indispensable à l’acquisition de la haute culture.

Ces arts libéraux étaient groupés en deux cycles : le trivium (mot qui signifie les trois chemins en latin) concerne le pouvoir de la langue, comprenant la grammaire, la rhétorique et la dialectique, et le quadrivium (les quatre chemins du second degré) se rapporte au pouvoir des nombres, groupant les quatre branches des mathématiques (arithmétique, géométrie, astronomie et musique). Ce sont « les sept colonnes de la sagesse ». Dans la pensée chrétienne telle que la formule saint Augustin, la connaissance des arts libéraux était considérée comme l’étape préalable à l’étude de la théologie fondée sur l’Écriture sainte, qu’il importait de comprendre et d’interpréter, car Omnis sapientia a Domino Deo est (Toute sagesse vient de Dieu), selon l’Ecclésiaste.

L’école de théologie, dans L’Horloge de Sapience d’Henri Suso, Bruxelles, Bibliothèque royale, Ms IV, 111, fol. 90v.
On y reconnaît les allégories féminines des sept arts libéraux.

Les arts libéraux sont définis l’un et l’autre dans ces deux vers mnémotechniques : Gramm loquitur, Dia verba docet, Rhet verba colorat ; Mus canit, Ar numerat, Geo ponderat, Ast colit astra. La Grammaire parle, la Dialectique enseigne, la Rhétorique colore les mots : La Musique chante, l’Arithmétique compte, la Géométrie pèse, l’Astronomie s’occupe des astres.

Sous la forme d’une vision, Henri Suso nous dresse le tableau des sciences de son temps : Il lui sembla un jour voir une sphère d’or, d’une grandeur surprenante et tout ornée de magnifiques pierres précieuses. D’innombrables maîtres et écoliers en toutes sciences et en tous arts l’habitaient. En ladite sphère avaient été disposées deux demeures distinctes ; chacune avait ses docteurs et ses disciples. La première, inférieure, celle des arts libéraux et mécaniques et des divers philosophes, abritait une multitude innombrable (astrologues, physiciens, géomètres, musiciens…), qui n’étanchait pas pleinement sa soif. 

Henri Suso, manuscrit de la BNF

Le disciple s’approcha de la seconde demeure ornée de l’inscription : « Ceci est l’école de la vérité divine ; le maître en est l’éternelle Sagesse ; la doctrine enseignée est la vérité, dont la fin est l’éternelle félicité. » Il y avait, dans cette école, trois catégories d’étudiants et de docteurs qui représentent les trois façons d’étudier et d’enseigner la Sainte Ecriture. Parmi les étudiants de la première catégorie, certains étaient assis par terre, près de la porte (…). Dans leur bouche, même les paroles de miel sortant de la bouche de la Sagesse se muaient en liqueur de fiel (…). Ils ne visaient qu’à spéculer sur les objets de science, mais quant au sentiment, ils demeuraient très froids. Noirs comme des Ethiopiens, des démons jouaient et bondissaient sous leurs yeux ; ils leur proposaient des chaires d’honneur, de l’or et de l’argent et de vastes domaines (…). 

L’école de théologie, dans L’Horloge de Sapience d’Henri Suso, Bruxelles, Bibliothèque royale, Ms IV, 111, fol. 90v.

Tombée du ciel, une boule courait parmi eux (…). Cette boule d’argent signifiait la vérité de la Sainte Ecriture, lucide et sonore, incorruptible (…). Cette boule courant parmi eux, ils s’efforçaient, tant qu’ils pouvaient, moins de la prendre eux-mêmes que de la faire tomber et ravir des mains des autres et de montrer que l’autre ne l’avait pas (…). Cela provoquait grand dégoût et déplaisir en l’esprit de bien des auditeurs (…). La première manière est charnelle : on la trouve en ceux chez qui la lettre abonde sans l’esprit ; plus ils sont savants, plus on les sent enflés d’orgueil et nuisibles à eux et aux autres ; ils ne cherchent pas la louange de Dieu, ni leur édification, ni celle d’autrui, mais à se promouvoir (…).

Ceux de la seconde catégorie semblaient persister en leur état (…). La seconde manière est animale, elle se trouve en ceux qui cherchent d’un œil simple, dans l’activité scolaire, le nécessaire au salut, mais négligent absolument de faire des œuvres surérogatoires, et d’ambitionner de meilleures grâces.

La troisième manière, qui est la spirituelle, on la trouve en ceux qui, de toute l’affection de leur cœur et de toutes leurs forces, se tendent vers ce qui est la perfection, s’appliquant soigneusement, en même temps qu’ils meublent leur esprit de science, à remplir leur cœur de la divine Sagesse, et, comme ils progressent dans la connaissance de la vérité, ils progressent aussi dans l’amour du Souverain Bien. Ils goûtent et voient que le Seigneur est doux ; ils dirigent eux-mêmes et les autres par la sainte Ecriture vers la fin due et sont d’ailleurs intensément menés par l’esprit de Dieu.

Laissant de côté les autres, le disciple désirait donc demeurer avec ceux-ci et se porter tout entier à l’étude de cette vraie et suprême philosophie. »

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