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L’Échelle des moines de Guigues II le Chartreux

Notre blog Écrits mystiques achève ici son exploration du cycle de patristique dédié aux Pères du désert et aux Pères de l’Église latine, avec l'étude de L’Échelle des moines de Guigues II le Chartreux. Auteur et théologien du XIIe siècle, et 9e prieur de la Grande Chartreuse, Guigues II a recueilli l’héritage patristique et monastique sur la 'lectio divina' et mené une réflexion spirituelle approfondie sur l’image biblique de l’Échelle sainte.
Publié le 08 juin 2022
Écrit par Martine Petrini-Poli
Monastère de la Grande Chartreuse, à Saint-Pierre-de-Chartreuse (Isère, Rhône-Alpes), classé au titre des Monuments Historiques en 1912

Guigues II le Chartreux, né en 1114 et mort entre 1188 et 1193, fut élu 9e prieur de la Grande Chartreuse en 1173. Ecrivain et théologien, il s’inspire de l’image biblique de l’échelle sainte (Gn 28,12 et Jn 1,51) et recueille l’héritage patristique et monastique sur la lectio divina. Il propose, dans son ouvrage L’Échelle des moines (Scala claustralium), quatre échelons qui permettent, à partir de l’accueil de la Parole, d’aboutir à la contemplation divine et de nourrir l’action. Cet écrit est adressé à un frère appelé Gervais : « Que le Seigneur soit notre joie ! (…) Voici donc mes réflexions sur les exercices spirituels des moines ».

Genèse de la lectio divina

Un jour, pendant le travail manuel, je commençai à penser à l’exercice spirituel de l’homme, et tout à coup s’offrirent à la réflexion de mon esprit quatre degrés spirituels : lecture, méditation, prière, contemplation. C’est l’échelle des moines, qui les élève de la terre au ciel. Certes, elle a peu d’échelons ; elle est immense pourtant et d’une incroyable hauteur.

Sa base repose sur la terre, son sommet pénètre les nuées et scrute les secrets des cieux (Gn 28, 12). Les degrés sont divers en noms et en nombre, et ils sont distincts également en ordre et en importance. Si quelqu’un étudie avec soin l’efficacité de chacun d’eux sur nous, leurs mutuelles différences et leur hiérarchie, il y trouvera tant d’utilité et de douceur qu’il estimera court et facile tout le labeur et l’application dépensés sur cet objet.

Les quatre échelons de la lectio divina

La lecture se présente la première, comme le fondement ; elle fournit un sujet et nous conduit à la méditation. La méditation recherche plus attentivement ce qu’il faut désirer ; en creusant (Prov 2, 4), elle découvre le trésor (Mt 13, 44) et le montre ; mais comme elle ne peut le saisir par elle-même, elle nous conduit à la prière. La prière, s’élevant de toutes ses forces vers Dieu, demande le trésor désirable : la suavité de la contemplation. La contemplation, en survenant, récompense le labeur des trois premiers degrés ; elle enivre de la rosée d’une céleste douceur l’âme altérée.«»

La lecture est l’étude attentive, par un esprit appliqué, des Saintes Ecritures.

La méditation est l’enquête minutieuse, à l’aide de l’intelligence, d’une vérité révélée.

La prière est l’élévation du cœur vers Dieu qui, ainsi, se sépare du mal et tend vers le bien.

La contemplation est l’élévation de l’âme ravie en Dieu où elle savoure les joies de l’éternité.

Inspiré par le verset de Matthieu 7,7 Guigues le Charteux résume ainsi la lectio divina :

Cherche en lisant (lectio)

Et tu trouveras en méditant, (meditatio)

Frappe en priant (oratio)

Et tu entreras en contemplant (contemplatio)

Le raisin mystique inspiré du Cantiques des Cantiques

Je lis l’Evangile : Bienheureux les cœurs purs car ils verront Dieu. Courte maxime, mais pleine de sens, douce infiniment. A l’âme altérée elle s’offre comme une grappe de raisin. L’âme se prend à dire : ce mot me fera du bien ! Concentre-toi ô mon cœur ; essaie de comprendre et surtout, de trouver cette pureté. O, combien précieux et désirable elle doit être, car elle purifie ceux chez qui elle habite et contient la promesse de la vision divine de la vie éternelle, dont les saintes Ecritures font sans cesse l’éloge !
(…) L’Epoux si longtemps désiré se cache bien vite, la vision de la contemplation pâlit, sa douceur s’évanouit.

Mais Lui, l’Epoux, demeure présent dans ton cœur qu’il gouverne toujours.

L’image du pain

La lecture (croûte) apporte à la bouche une nourriture substantielle, la méditation (mie) la broie et la mâche pour que par la prière (désir) tu puisses la goûter et la contemplation (plaisir) est la douceur même qui réjouit et restaure.

S’il est permis de s’exprimer ainsi, la lecture apporte une nourriture substantielle à la bouche, la méditation mâche et triture cet aliment, la prière obtient de goûter, la contemplation est la douceur même qui réjouit et refait. La lecture est dans l’écorce, la méditation dans la moelle, la prière dans l’expression du désir, la contemplation dans la jouissance de la douceur obtenue…

Monter en se fortifiant

Bienheureux celui qui, appliqué au premier degré, attentif à chercher au second, fervent au troisième, élevé au-dessus de lui-même au quatrième, monte en se fortifiant de plus en plus par ces chemins que Dieu a disposés vers lui dans son cœur, jusqu’à ce qu’il voie Dieu lui-même en Sion…

Chartreux en prière devant l’antiphonaire ©spiritualitéchrétienne.com

Descendre avec humilité

Lorsque, dans sa faiblesse, la pointe de l’esprit humain ne peut soutenir longtemps l’éclat de la vraie lumière, qu’il descende doucement et avec ordre vers l’un des trois degrés par lesquels il était monté…

Voyant qu’elle ne peut atteindre par elle-même à la douceur de la connaissance et de l’expérience tant souhaitée, et découvrant que, plus elle accède aux profondeurs du cœur, plus Dieu semble s’éloigner (Ps 64(63),7-8), l’âme se fait humble et se réfugie dans la prière en disant : Seigneur, toi qui ne peux être vu que des cœurs purs, je cherche par la lecture et la méditation ce qu’est la vraie pureté de cœur et comment elle peut être obtenue, afin de pouvoir par elle te connaître peut-être un peu. J’ai cherché ton visage (Ps 27(26),8), Seigneur, je l’ai longtemps cherché en méditant dans mon cœur (Ps 77(76),7), et dans ma méditation a grandi le feu, le désir de mieux te connaître. Quand tu romps pour moi le pain de la Sainte Ecriture, dans cette fraction du pain (Lc 24,30-31.35) pour moi tu te fais connaître ; et plus je te connais, plus je désire te connaître, non plus seulement dans l’écorce de la lettre, mais dans le vécu de l’expérience.

Et cela, je ne le demande pas, Seigneur, à cause de mes mérites, mais en vertu de ta miséricorde. Je confesse que, de fait, je suis un indigne pécheur ; mais « les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres » (Mt 15,27). Donne-moi donc, Seigneur, des avances sur l’héritage futur, une goutte au moins de l’eau du ciel par laquelle je pourrai étancher ma soif (Lc 16,24), car je brûle d’amour pour toi (Ct 2,5).

Libre arbitre

Qu’il demeure successivement, tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre, selon qu’il y sera porté par son libre arbitre, en tenant compte du lieu et du moment…

Don du Seigneur sans limites

La puissance du Seigneur est sans limites… : il lui arrive de se présenter sans être appelé, de se donner sans être cherché…mais nous ne devons pas présumer de tels dons.

Nicolas Mignard, Saint Bruno en prière dans le désert, 1638, huile sur toile, 220 cm x 144,5 cm, Avignon, musée Calvet ©commonswikimedia

« La lectio divina constitue un véritable itinéraire spirituel par étapes. De la lectio, qui consiste à lire et relire un passage de l’Écriture Sainte en en recueillant les principaux éléments, on passe à la meditatio, qui est comme un temps d’arrêt intérieur, où l’âme se tourne vers Dieu en cherchant à comprendre ce que sa parole dit aujourd’hui pour la vie concrète. Vient ensuite l’oratio, qui nous permet de nous entretenir avec Dieu dans un dialogue direct, et qui nous conduit enfin à la contemplatio ; celle-ci nous aide à maintenir notre cœur attentif à la présence du Christ, dont la parole est une lampe brillant dans l’obscurité, jusqu’à ce que paraisse le jour et que l’étoile du matin se lève dans nos cœurs. » Benoît XVI, le 22 juin 2006

Guigues II le Chartreux, Lettre sur la vie contemplative (l’Echelle des moines). Douze méditations, « Sources chrétiennes » 163, Paris.

L’auteur du texte, Guigues II le Chartreux, est à distinguer de Guigues I le Chartreux, fondateur des statuts de l’ordre.

Martine Petrini-Poli

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