Karl Rahner s’est intéressé toute sa vie au sacrement de pénitence. Quand il peut reprendre, après la guerre, ses activités d’enseignement à Pullach, près de Munich, il prépare un traité De paenitentia qu’il expose à ses étudiants pour la première fois pendant l’hiver 1945-1946. Le cours polycopié de 750 pages De paenitentia tractatus historico-dogmaticus parut alors. Rahner enseigne ce traité six fois, depuis 1949-1950, après être devenu professeur de dogmatique et d’histoire du dogme à l’université d’Innsbruck, jusqu’en 1963-1964.
Il consacre, en 1955, une étude aux « Vérités oubliées sur le sacrement de pénitence ». Quelles étaient ces vérités oubliées ? Karl Rahner comprenait le péché non seulement comme une opposition à la volonté de Dieu, à la nature de l’homme et à sa vocation surnaturelle, mais encore comme « une offense à la communauté sainte des rachetés, qui est l’Église ». L’homme qui s’est rendu coupable d’un péché mortel porte atteinte à l’Église ou la blesse. Or, on avait encore trop tendance, à l’époque, à juxtaposer les deux aspects du sacrement de pénitence, le pardon de Dieu et la réconciliation avec l’Église. Les vérités oubliées étaient celles de la patristique qui avaient su montrer l’appartenance réciproque de ces deux aspects.
Quelle est l’histoire du sacrement de réconciliation ?
Dans la primitive église, étant donné que le baptisé est « mort au péché une fois pour toutes », on ne recourt à la pénitence publique que pour des fautes très graves, en présence de l’évêque. Comme cela n’est pas réitérable, on le fera sur son lit de mort. Puis, au VIe-VIIe siècle, la « pénitence tarifée » des livres pénitentiels, importée sur le continent par les moines irlandais, apportait des nouveautés décisives à la « pénitence canonique ». Il était désormais possible de vivre fréquemment le parcours pénitentiel, et non plus une seule fois dans sa vie. Ce n’était plus une liturgie publique présidée par l’évêque : on pouvait confesser ses péchés devant un simple prêtre. Cependant, les tarifs trop rigoureux des moines irlandais furent adoucis par des réductions de peine, les indulgences. Leur trafic conduisit aux réactions de Luther au XVIe siècle. Le Concile de Trente précisa la doctrine des indulgences pour éviter les abus. Le sacrement de pénitence change de nom pour celui de « confession », d’aveu. L’archevêque de Milan, Charles Borromée (1538-1584), crée le confessionnal, caractéristique de l’époque baroque de la Contre-Réforme.
La confession s’articule en quatre temps : la contrition, l’aveu, la pénitence et l’absolution donnée par le prêtre. Pour Karl Rahner, « l’absolution du prêtre fait aussi partie du signe ; elle est, dans le tout, l’élément déterminant, le sceau sans lequel les actes du pénitent restent dépourvus de leur vrai sens. Les deux forment ensemble une unité qui n’est évidemment point physique, mais morale. » Karl Rahner « s’en remet sans réserve à l’autorité du ‘Prince de l’École’ », Thomas d’Aquin, « le génie conservateur et pondéré », qui inscrit l’acte personnel du pécheur repenti dans le processus du pardon : « La pénitence est accomplie par l’homme à la face de l’Église et l’acquittement que lui accorde d’autorité le pardon du prêtre constitue, selon Thomas, l’unique signe sacramentel qui montre le pardon divin, le réalise en le signifiant, lui confère ses dimensions d’événement. » Selon le jésuite, le pécheur repenti joue un rôle dans le pardon de la faute par un « acte personnel », il participe à la constitution du signe sacramentel et donc à la grâce sacramentelle, il est un célébrant de la liturgie du sacrement de pénitence. Rahner ouvre ainsi la voie au renouveau liturgique du rite de la pénitence, prévu plus tard par Vatican II : « Puisque la célébration des sacrements constitue une liturgie au sens propre du terme, le pénitent en aveu accomplit bien une fonction dans la liturgie de l’Église. Il ne fait pas que recevoir l’effet de l’action liturgique d’autrui. »
« Le sacrement réconcilie avec l’Église le pécheur qui s’approche d’elle avec sa poenitentia interior comme volonté de réconciliation avec l’Église. Le pécheur a droit alors à une infusio gratiae qui lui permet d’accomplir cette poenitentia interior par laquelle il devient susceptible de s’approprier existentiellement la grâce qui lui a été accordée de telle sorte qu’elle devienne sienne, le sauve et le justifie et qu’il soit ainsi délivré de ses péchés personnels. » L’aspect personnel et l’aspect sacramentel sont intimement liés, de façon existentielle.
Martine Petrini-Poli
Karl Rahner, Ecrits théologiques, Tome II : L’appartenance à l’Eglise d’après la doctrine de l’Encyclique – Piété personnelle et piété sacramentale – Vérités oubliées sur le sacrement de pénitence, 1960.