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Karl Rahner, Appels au Dieu du silence

Voici la deuxième parution d'Art & Théologie, nouvelle section des Ecrits mystiques, qui explore aujourd'hui une œuvre du jésuite allemand Karl Rahner (1904-1984), « Appels au Dieu du silence, 10 Méditations », publiée en 1970, qui invite le lecteur à s'interroger sur sa relation à Dieu.
Publié le 17 octobre 2019
Écrit par Martine Petrini-Poli

A la différence de la Somme théologique du Traité fondamental de la Foi (1976, tr.fr. 1983), ce court ouvrage Worte ins Schweigen, littéralement Des Mots dans le silence, écrit en 1937 et publié en 1947, traduit en français en 2005, présente dix méditations du jésuite Karl Rahner (1904-1984). Elles dévoilent sa recherche de Dieu, mais aussi ses doutes et ses interrogations. Sous forme de dialogue, elles invitent le lecteur à réfléchir sur sa relation avec Dieu et les autres.

Bernard Sesboüé écrit dans sa préface qu’il s’agit d’un « dialogue au sommet de l’âme (…). Dans ces pages, l’auteur est, à l’instar du psalmiste, un simple croyant, qui alterne avec son Dieu des paroles de confiance, mais aussi des cris de détresse. Ce dialogue d’amour avec Dieu entend brasser tous les aspects de sa vie concrète ».

Chacune de ces dix méditations considère un aspect particulier de Dieu : Dieu de ma vieDieu de la connaissanceDieu des loisDieu de ma vie quotidienneDieu de mes frères – et le dernier chapitre Dieu qui vient.

Dieu de ma vie

« Tu es plus proche de moi que je ne le suis de moi-même »(p.16)

Attendre que Tu m’ouvres la porte par l’intérieur, afin que je puisse pénétrer, moi aussi, jusqu’au fond de moi-même, jusque dans le sanctuaire caché de ma vie…

Sur la prière : « Comme si toutes mes paroles tombaient dans un profond abîme d’où ne me revient aucun écho » (p.34). « Est-ce que je suis prière, ou est-ce que ma bonne volonté ne se situe-t-elle trop à la surface de moi-même, loin des eaux cachées de ma vie qui monte et descend au gré de leurs propres lois ? » (p.36). « Que dois-je faire ? Tu m’as ordonné de prier : je ne puis croire que Tu m’imposes une obligation qui dépasserait mes forces, même avec l’aide de Ta grâce. Je crois que Tu m’as commandé de prier et que je suis capable de le faire avec Ton secours. Mais dans ces conditions, la seule prière que Tu puisses exiger de moi est la suivante : attendre dans le silence et la vigilance que Tu viennes, Toi qui de toute manière occupes le centre même de mon être ; attendre que Tu m’ouvres la porte par l’intérieur, afin que je puisse pénétrer, moi aussi, jusqu’au fond de moi-même, jusque dans le sanctuaire caché de ma vie, et là, répandre enfin devant Toi la coupe du sang de mon cœur » (p.38).

« Maintenant, par conséquent, alors que je ne sais pas quand mon heure viendra, ni si elle a déjà commencé, il me faut attendre sur le seuil de Ton sanctuaire et du mien, il me faut libérer cette place des bruits du monde ; et quant au silence, au vide qui en résulte – nuit des sens – il me faut dans la foi avec l’aide de Ta Grâce » (p.40).

Cette nuit des sens, expérimentée par de nombreux mystiques chrétiens, se manifeste par un sentiment d’aridité, de sécheresse, d’insensibilité dans la prière, comme si Dieu était absent, silencieux.

La nuit des sens est une expression empruntée à saint Jean de la Croix qui écrit : « L’âme pénètre de deux manières dans la nuit du sens : l’une active, l’autre passive. Elle y entre activement par des efforts personnels (méditation à la suite du Christ et efforts vertueux). Elle y entre passivement lorsqu’elle n’agit point et laisse Dieu agir en elle, se contentant de se comporter comme un sujet patient. » Montée du Carmel 1, 1-3. Cette nuit, expérimentée par de nombreux mystiques chrétiens, se manifeste par un sentiment d’aridité, de sécheresse, d’insensibilité dans la prière, comme si Dieu était absent, silencieux. C’est aussi le sentiment éprouvé par les moines dans les couvents, que l’on appelait au Moyen Âge acedia (l’acédie) ou perte de tout élan spirituel. Acedia était alors un des sept péchés capitaux et a été remplacé par le terme de « paresse ». Ce tableau Le moine au bord de la mer du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich suggère ce sentiment de flottement entre nuit et jour, désespoir et Espérance. Cependant, la noirceur plombée de la mer fait place à un coin de ciel bleu, au-dessus de la bande grise des nuages…

Caspar David Friedrich (1774-1840), Le moine au bord de la mer, 1808-1810, Alte Nationalgalerie, Staatliche Museen zu Berlin, Allemagne

Dieu de la connaissance

Sur la connaissance : « J’en ai la certitude, Seigneur : la connaissance n’est rien en elle-même ; incapable de nous faire saisir la réalité et de nous la faire vivre, elle ne fait qu’augmenter notre souffrance. Seul un savoir basé sur l’expérience, un savoir qui est en même temps amour, permet à mon cœur de toucher au cœur des choses ! »

Dieu des lois

Ce n’est pas tant aux commandements et aux lois de l’Église qu’il entend obéir qu’à la Personne-même de Dieu : « C’est à Toi seul que s’adresse directement l’hommage de ma soumission, et non pas au précepte comme tel, même considéré comme l’indispensable reflet de Ton Être » !

Dieu de ma vie quotidienne

« Vivre chacune de mes journées et l’accepter comme Ta journée. Demeurer un homme intérieur partout » (p.80).

« Tu as voilé ton Amour dans l’ombre de Ton Silence. Tu m’as délaissé pour m’obliger à te trouver… » (p. 89).

Dieu qui vient

Dieu qui vient se termine en une prière confiante remplie d’Espérance : « Voici que Tu viens : en proclamant cette vérité, je ne songe ni au passé ni à l’avenir, mais au présent qui est en train de s’accomplir (…) Accorde-moi, Seigneur, de vivre l’heure présente de Ta venue ; accorde-moi de vivre en Toi, ô Dieu qui viens. Amen ».

Martine Petrini-Poli

Pour aller plus loin :

Karl Rahner, Appels au Dieu du silence, 10 Méditations, Traduction P. Kirchhoffer, Salvator Mulhouse 1970

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