Cette miniature, composée de trois cercles, résume le Scivias : le cercle du bas représente la création nouvelle, après le Jugement dernier. Les éléments brillent d’une clarté parfaite : la terre avec ses arbres, l’eau formant des vagues, l’air avec ses étoiles. Au-dessus apparaissent, dans un cercle médian, les saints, amis de Dieu, qui ont joué un rôle dans l’Eglise.
Enfin, tout converge vers le Dieu trinitaire, qui trône dans le cercle supérieur : le Père tient en son sein son Fils, Agneau Pascal, tandis que la Colombe, symbole du Saint-Esprit, relie les trois personnes de la Trinité en une indéfectible unité. La Vierge-Eglise couronnée qui a atteint sa pleine stature et saint Jean-Baptiste forment une Deisis, autour de la Trinité. C’est la vision d’Hildegard de la Jérusalem céleste : « La ville peut se passer de l’éclat du soleil et de celui de la lune, car la gloire de Dieu l’a illuminée, et l’Agneau lui tient lieu de flambeau. » (Ap. 21, 23)
Le Scivias, publié en 1151, s’inscrit dans une trilogie avec le Livre des Mérites de la vie, écrit entre 1158 et 1173, et le Livre des Œuvres divines, publié en 1174. Nous avons ainsi trois livres de visions : le premier montre la voie, le second en donne les moyens, le troisième indique le but à atteindre.
Le Livre des Mérites de la vie expose les principes d’une sorte de « psychologie chrétienne », où l’accent est mis sur la disputatio antique devenue le combat spirituel entre les 35 vices et 35 vertus et sur l’harmonie intérieure entre l’homme et son Créateur. L’homme peut ainsi faire de sa vie un chant de louange.
Le Livre des Oeuvres divines est l’ultime écrit mystique d’Hildegard. Elle montre en dix visions grandioses l’ordre de Dieu, de la nature et de l’homme.
Mais avant d’aborder ce texte, il faut citer les livres « scientifiques » d’Hildegard, écrits en latin, sur les vertus curatives de tout ce que nous offre la nature. En effet, celle-ci a une vision globale, holiste de l’homme et de l’univers. Le corps et l’âme sont liés comme le « miroir et son reflet ». « Le corps est l’atelier de l’âme où l’esprit vient faire ses gammes. »
La Physica, intitulée à l’origine « Le Livre des subtilités des créatures divines », traite en 8 livres et 230 chapitres, des plantes, éléments, arbres, pierres, poissons, oiseaux, bêtes sauvages, reptiles et métaux. C’est un livre de sciences naturelles, où sont étudiées les propriétés profondes de la créature, selon les catégories du temps influencées par les écrits d’Aristote (froid, chaud, sec, humide…). Un langage poétique et imagé rend compte des vertus bénéfiques ou nocives pour la santé de l’homme. Hildegard a eu la vision des réalités subtiles cachées dans la Création, ce qui explique le titre originel de l’ouvrage. C’est là que l’on trouve la notion de « viridité », du mot latin « virilitas ». C’est le souffle de vie, la vie ignée d’essence divine, inhérente à la création, base de toute guérison.
L’ouvrage Causae et curae, Causes et remèdes est une sorte de traité de médecine sur l’origine des maladies et la manière de les soigner. Les principes diététiques sont ceux de la modération, de la mesure et de l’équilibre. Les fruits et légumes aux vertus curatives et les céréales complètes sont la base d’une saine diététique. Il faut privilégier « les aliments de la joie », éviter « les aliments de la tristesse », afin d’éliminer « la bile noire » selon la théorie des humeurs issue de la Grèce antique. Les plantes médicinales sont aussi à l’honneur dans cette médecine douce.
Des médecins allemands, le Docteur Gottfried Hertzka, et son élève, le Docteur Wighard Strehlow, se sont penchés sur les écrits médicaux d’Hildegard von Bingen, et traitent avec ces méthodes modernisées toutes sortes d’affections, de maladies de civilisation (affections cardiaques et troubles circulatoires, allergies, rhumatismes, troubles gastro-intestinaux, cancers). L’accent est mis sur l’aspect psychosomatique.
Tous ces éléments font qu’Hildegard von Bingen est très appréciée, à l’époque contemporaine, par le courant écologiste. Ses écrits scientifiques, largement vulgarisés, sont plus connus que sa théologie dogmatique, qui les fonde !
L’autre aspect qui fait la réputation de la visionnaire est son œuvre musicale, « la Symphonie de l’harmonie des révélations célestes » et « l’Ordo virtutum », drame musical mettant en scène le combat entre les vices et les vertus (se reporter aux trois articles d’Emmanuel Bellanger « La musique, divine harmonie : Hildegard von Bingen »).