Voir toutes les photos

Auto-communication et Incarnation chez Karl Rahner

Pour cette neuvième parution d'Art & Théologie, Martine Petrini-Poli nous propose de tenter de définir un terme fondamental dans les écrits mystiques du jésuite allemand Karl Rahner (1904-1984) : celui d’« auto-communication » qui est dévoilement du Père par le Fils en l’Esprit, et qui est l’essence-même de l’homme.
Publié le 23 janvier 2020
Écrit par Martine Petrini-Poli

Auto-communication de Dieu (Selbstmitteilung Gottes)

« Dieu lui-même, plénitude qui se communique ». « Ce terme d’auto-communication de Dieu exprime donc que ce qui est communiqué est réellement Dieu dans son être propre, et partant justement la communication ordonnée à la saisie et à la possession de Dieu dans la vision et dans l’amour immédiats ».

Dévoilement du mystère de Dieu sous le mode de la proximité

« Dieu demeure le sacré qui n’est réellement accessible qu’à l’adoration » ; « c’est justement dans cet événement de l’auto-communication absolue de Dieu que ce caractère divin de Dieu comme mystère sacré devient pour l’homme réalité radicale, irréductible ». « Cette immédiateté de Dieu dans son auto-communication est précisément le dévoilement de Dieu comme mystère absolu permanent ». « Dieu ne donne pas quelque chose de différent de lui, un quelconque don numineux et mystérieux, mais se donne lui-même » : Et, lorsque nous disons que Dieu pour nous est donné en auto-communication absolue, nous voulons dire par ailleurs que cette auto-communication de Dieu est donnée sous le mode de la proximité, et pas seulement sous le mode de la présence-absence, comme ce-vers-quoi d’une transcendance dans laquelle Dieu ne devient pas singulier catégorial, mais néanmoins s’affirme comme celui qui se communique lui-même, et pas seulement comme le ce-vers-quoi lointain, à jamais insaisissable, asymptotique, de notre transcendance.

Le Fils est la communication que le Père fait de lui-même

Selon Karl Rahner, il est nécessaire de « débarrasser les énoncés traditionnels de la dogmatique de cette impression mythologique que […] Dieu serait allé sur terre voir ce qu’on y fait ». « La Parole de Dieu est devenue quelque chose », « dans et nonobstant son immutabilité [Dieu] peut vraiment devenir quelque chose : lui-même, dans le temps. » La Parole du Père, première « personne » de la Trinité, « n’est autre que sa propre expression projetée au cœur de l’histoire ».

Le Greco, Trinité, 1577, Huile sur toile, 300 x 177 cm, © Musée du Prado

« Le « Fils » [seconde personne] c’est […] la communication que fait le Père de lui-même au monde, et cela d’une façon telle que, dans ce « Fils », Dieu soit de façon radicale, et que cette communication produise elle-même l’attitude radicale d’accueil qui lui est faite. Le Fils est la communication que le Père fait de lui-même dans le cadre du dessein et de l’histoire du salut ».

« La liberté de l’Incarnation [est] la liberté de l’auto-communication gracieuse de Dieu au monde ». Si « le Logos devient homme », « (le Christ), cet homme, précisément comme homme, est l’autodiction de Dieu dans son auto-extériorisation, parce que Dieu se dit justement quand il s’extériorise, lorsqu’il se fait connaître lui-même comme l’Amour, lorsqu’il voile la majesté de cet Amour et se montre comme le commun des hommes ».

Don de l’Absolu de Dieu sans altérité

« La possibilité de cette auto-communication est la prérogative absolue de Dieu […] car c’est seulement l’être absolu de Dieu qui peut […] se communiquer lui-même en personne sans se perdre lui-même dans cette communication ». Il s’agit d’une « onto-logie proprement dite ».

« Dieu sans principe s’exprime lui-même en lui-même et pour lui-même, établissant ainsi en lui-même la distinction originelle et divine ».

Créature ébauchée comme la ‘grammaire d’un auto-énoncé possible de Dieu’

« C’est de façon créatrice que Dieu ébauche la créature en l’instituant à partir du néant, dans sa propre réalité, distincte de Dieu, comme la grammaire d’un auto-énoncé possible de Dieu ». « On pourrait, à partir de là, définir l’homme – en le plongeant dans son mystère le plus grand et le plus obscur – comme ce qui surgit lorsque l’auto-diction de Dieu, sa parole, se trouve projetée par amour dans le vide du néant sans-dieu ». « Lorsque Dieu veut être non-Dieu, surgit l’homme ». La communication crée l’homme comme « la phrase où Dieu pourrait s’exprimer ».

Réciprocité des dialogues

L’auto-communication de Dieu est « ce en quoi il s’énonce lui-même comme question dont lui-même est la réponse. »  L’homme a été créé pour cette communication de Dieu, et afin que celui-ci puisse sortir de lui-même. L’auto-communication de Dieu est ainsi à l’origine même de l’existence humaine et permet d’entrer dans un processus de divinisation humaine. La chair humaine aurait été créée pour la rencontre de Dieu – pour que l’Incarnation soit possible. David Douyère, « L’Incarnation comme communication, ou l’auto-communication de Dieu en régime chrétien », Questions de communication, 23, 2013.

Botticelli, La sainte Trinité (ou Trône de grâce), 1491-1493, © Institut Courtauld, Londres

L’iconographie du « trône de grâce », dont le terme apparaît dans l’Epître aux Hébreux (4, 16), représente un Dieu sensible, touchant, accessible à la souffrance des hommes. Il compatit aux souffrances de son Fils et il nous Le présente, en croix ou déjà descendu, comme le signe universel du Salut, et l’origine d’une création nouvelle. Certaines de ces figurations se nomment « la compassion du Père. » La colombe du Saint Esprit est toujours présente, confirmant cette image de la Trinité.

Martine Petrini-Poli

Contenus associés
Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *