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Adam, archétype de l’homme, chez Hildegarde de Bingen

Voici la cinquième parution de la série consacrée aux œuvres naturalistes et médicales d’Hildegarde de Bingen (1098-1179), qui font suite aux précédentes publications de Narthex sur sa trilogie mystique. Extraordinaire figure du XIIe siècle, abbesse bénédictine et musicienne, Sainte Hildegarde a eu de remarquables intuitions médicinales, étayées par ses observations de la nature. Nous débutons ici l'étude du Livre II de son ouvrage « Les Causes et les Remèdes », avec la création d'Adam et des considérations sur la conception et le développement de l'homme, en lien avec l'univers.
Publié le 28 mai 2020
Écrit par Martine Petrini-Poli

Le LIVRE II des Causes et des Remèdes d’Hildegarde de Bingen très volumineux, avec ses 150 pages, ne semble pas très composé. Il se présente sous forme de paragraphes juxtaposés qui se recoupent parfois les uns les autres. Le thème général est donné par le titre choisi par le traducteur « anthropologie », rattachée à la question des origines du monde inspirée de la Genèse. En effet, c’est la création d’Adam, son modelage, sa vivification, son sommeil, sa chute et son exil, qui sert de fil conducteur, comme archétype de l’homme, à ce long chapitre.

La création d’Adam

Lorsque Dieu créa l’homme, il pétrit de l’argile avec de l’eau et il en modela l’homme ; et Dieu envoya dans cette forme un souffle vital, igné et aérien (…) Quand Dieu a créé Adam, l’éclat de la divinité enveloppa la masse de terre avec laquelle il avait été modelé (…)

Edward Burne-Jones, Les anges de la création, Détail jour 6, 1875-1876

Le Livre II traite de l’homme depuis sa conception, des animaux, des maladies et de leurs causes, des organes et des membres de l’être humain. Il montre comment le péché d’Adam a affecté la nature humaine :

L’exil d’Adam

Après qu’Adam eut péché, la nuit commença à tomber et tous les éléments furent recouverts de profondes ténèbres, au milieu desquelles Adam fut emmené dans ce monde d’exil. Quand il vit la lumière de ce siècle, celui-ci se réjouit, car il était enseveli dans les ténèbres, et, en pleurant, il dit : Je dois vivre autrement que Dieu ne m’avait auparavant donné de vivre. Et alors il se mit à travailler dans la sueur.

Hildegarde de Bingen aborde alors les différents tempéraments humains (colériques, sanguins, mélancoliques, flegmatiques) et les mécanismes des maladies qui leur sont propres, sous l’influence de la théorie des humeurs et des tempéraments, héritée d’Hippocrate et de Galien. Elle évoque le rire, les larmes ou les soupirs, le plaisir sexuel et l’ivresse, le moment propice à la cueillette, à la moisson et à la plantation de la vigne :

Le plaisir de la chair

Car, de même que, dans de hautes vagues soulevées sur les flots par les vents et les fortes tempêtes, le navire est mis en danger au point que parfois il peut à peine se maintenir et rester stable, de même, dans la tempête du plaisir, la nature de l’homme est-elle difficile à calmer et à apaiser. Mais dans les flots que soulève un vent léger, et dans les tourbillons qui s’élèvent sous la force de légers courants, le navire, même si c’est difficile, pourra être maîtrisé, telle est la nature de la femme dans le plaisir, car elle peut être plus facilement apaisée que la nature de l’homme.

Le Livre II développe diverses considérations sur la conception, le sexe des enfants à naître, le développement de l’homme, et la relation entre l’âme et le corps :

Conception et développement de l’homme

Chez l’homme, se trouvent volonté, réflexion, puissance et consentement. La volonté est première, parce que chaque homme a la volonté de faire telle ou telle chose. La réflexion suit et examine si la chose est convenable ou inconvenante réservée ou impudique. Intervient ensuite la puissance, qui a en elle le pouvoir de mener la chose à bien, pour mener cette chose à bien. Suit le consentement, car une action ne peut être menée à bien si le consentement n’apporte pas son assentiment pour qu’il y ait accord.

L’activité de l’âme

De même que le soleil est la lumière du jour, de même l’âme est-elle la lumière du corps éveillé ; et, de même que la lune est la lumière de la nuit, de même l’âme est-elle la lumière du corps endormi.

Le combat de l’âme et de la chair

De même que l’eau parfois éteint le feu et l’empêche de trop s’étendre, de même l’âme, aidée par la grâce de Dieu et admonestée par la raison, écrase parfois les vices du péché., les empêchant de s’élever et de s’accroître outre mesure.

Le Livre traite des troubles du sommeil et décrit les maladies (de la tête, des viscères…), les fièvres, la paralysie, les parasites et la douleur dans les différents organes et fonctions ; mais il n’aborde pas la guérison des maux, mais seulement les méthodes employées à l’époque (saignées, scarifications, pointes de feu). Il montre le bienfait de l’exercice mesuré. En toutes choses, c’est une recherche de la modération, du juste milieu :

L’exercice

L’homme mâle, en bonne santé physique, s’il marche longtemps ou se tient longtemps debout, n ‘en est guère éprouvé, car c’est là un mouvement normal de son corps, à condition qu’il ne marche pas ou ne reste pas debout trop longtemps.

Le vin

Il faut prendre tous les aliments et toutes les boissons avec mesure et sagesse, retenue et mesure, pour ne pas être affaibli par les humeurs de toute sorte qui s’y trouvent, et pour que la nature, dans les tentations diverses du plaisir, n’excède pas sa mesure ; en effet, de même que la terre perd de sa fertilité productrice si le soleil la brûle sans mesure, sans être tempéré par l’air et la rosée, de même l’homme perd la santé du corps et est poussé au plaisir de la chair s’il attire en lui, sans mesure, l’ardeur des aliments et des boissons. (…) (Sans excès) le vin guérit et réjouit l’homme par sa grande chaleur et ses grandes vertus.

René Magritte, Le faux miroir, huile sur toile, 54 x 80 cm, 1928, MOMA, New York

Hildegarde reprend l’idée que « dans l’homme, il y a les éléments », ainsi en est-il pour les yeux :

Les yeux

Les yeux de l’homme ont été faits à la ressemblance du firmament. En effet, la pupille de l’œil offre une ressemblance avec le soleil ; la couleur noire ou grise qui est autour de la pupille offre une ressemblance avec la lune, et le blanc qui est à l’extérieur, avec les nuages. L’œil est fait de feu et d’eau.

Martine Petrini-Poli

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