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3e vision du Livre des Œuvres divines d’Hildegard von Bingen : l’homme au centre du monde ?

Le Livre des Oeuvres divines, qui nous est parvenu par le Manuscrit de Lucca, Liber divinorum operum, daté de 1230 environ, est le troisième et dernier livre des visions d’Hildegard. Il est achevé en 1174, après 11 ans d’un travail harassant. Il montre la toute-puissance divine à l’œuvre dans la création et la place de l’homme dans l’univers. Il distingue, après un prologue, dix visions successives accompagnées d’une miniature en pleine page. Les miniatures font une place à la visionnaire elle-même, représentée dans sa cellule en train de recevoir ses révélations et de les transcrire sur des tablettes de cire. Elle est assise, lève les yeux vers l’objet de sa vision, dans le champ extérieur à l’image cosmique qu’elle contemple. Les dix visions vont conduire de l’œuvre divine de la Création, symbolisée par le cercle du macrocosme englobant le Fils de Dieu, puis l’homme (visions 2,3,4), à la Cité de Dieu, figurée par un carré (visions 6,7,8,9).
Publié le 20 avril 2017
Écrit par Martine Petrini-Poli
3ème vision

La 3ème vision place l’homme au centre de l’univers, mais la figure anthropomorphe de la Trinité a disparu, laissant apparemment l’homme livré à lui-même. Cependant la main de Dieu est présente, dans le cercle du « feu lumineux ». Elle tend le phylactère à la visionnaire dans sa cellule pour qu’elle transcrive la révélation divine. La description de la vision insiste sur les vents qui, des quatre points cardinaux, soufflent « en direction du monde ». Les vents d’Est et du Sud donnent au firmament un « mouvement circulaire » du levant au couchant, qui dégage à son tour « un vent qui, soufflant cette fois de l’ouest vers l’est, contraignait les planètes à se déplacer en sens contraire du mouvement du firmament ». 

Ce sont donc des vents contraires qui soufflent, nécessaires à l’équilibre du cosmos, comme il en est des humeurs dans le corps humain dans le traité Causae et curae : « Si les humeurs viennent à se répartir par tous les membres de l’homme sans humidité excessive, dans un équilibre tempéré et dans une juste mesure, l’homme garde un corps sain et sa connaissance du bien comme du mal prospère » (p.53). Ainsi, arpenté avec son corps, mesuré en pouces, pas, coudées, le monde apparaît comme un macrocosme, reflet du microcosme qu’est le corps humain. L’homme tout comme l’univers est à l’image de son créateur.

 

Hildegarde voit un homme à l’intérieur de trois cercles de lumière qui symbolisent la Trinité : « La présence d’une forme humaine au sein de la roue, la tête en haut et les pieds vers le bas, touchant le cercle d’air dense et blanc, cependant que les bouts des doigts des deux mains se tendent dans la direction du même cercle a la signification que voici : l’homme, dans la structure du monde, est pour ainsi dire en son centre. Il a plus de puissance que les autres créatures qui demeurent cependant dans la même structure (…). Ainsi c’est dans la science de Dieu qu’existe le fidèle, et c’est à Dieu qu’il tend ».

Hildegarde de Bingen, Liber divinorum operum, Codex latinus 1942 (vers 1230), Lucques, Bibliothèque d’Etat (vision 3, fol. 28v).

Dans l’Antiquité, le sophiste grec Protagoras présentait « l’homme comme la mesure de toute chose » et sa doctrine relativiste était contrecarrée par Platon qui affirmait que « la divinité est la mesure de toute chose ». Le Christianisme, selon Pascal, est le seul à résoudre les contradictions des philosophies antiques entre elles et les « contrariétés » de l’homme, marque du péché originel :

« Certainement cela passe le dogmatisme et [le] pyrrhonisme et toute la philosophie humaine. L’homme passe l’homme. Qu’on accorde donc aux pyrrhoniens ce qu’ils ont tant crié, que la vérité n’est pas de notre portée ni de notre gibier, qu’elle ne demeure pas en terre, qu’elle est domestique du ciel, qu’elle loge dans le sein de Dieu et que l’on ne la peut connaître qu’à mesure qu’il lui plaît de la révéler. Apprenons donc de la vérité incréée et incarnée notre véritable nature.
N’est il pas clair comme le jour que la condition de l’homme est double ? Certainement.

On ne peut éviter, en cherchant la vérité par la raison, l’une de ces trois sectes. On ne peut être pyrrhonien sans étouffer la nature, on ne peut être dogmatiste sans renoncer à la raison.

La nature confond les pyrrhoniens et la raison confond les dogmatiques. Que deviendrez vous donc, ô homme qui cherchez quelle est votre véritable condition par votre raison naturelle ? Vous ne pouvez fuir une de ces sectes ni subsister dans aucune. » Pensées de Pascal, Liasse VII, Fragment 14, Contrariétés.

 

« D’où il paraît que Dieu voulant nous rendre la difficulté de notre être inintelligible à nous-mêmes en a caché le noeud si haut ou pour mieux dire si bas que nous étions bien incapables d’y arriver. De sorte que ce n’est pas par les superbes agitations de notre raison mais par la simple soumission de la raison que nous pouvons véritablement nous connaître.

Ces fondements solidement établis sur l’autorité inviolable de la religion nous font connaître qu’il y a deux vérités de foi également constantes. L’une que l’homme dans l’état de la création, ou dans celui de la grâce, est élevé au-dessus de toute la nature, rendu comme semblable à Dieu et participant de la divinité. L’autre qu’en l’état de la corruption, et du péché, il est déchu de cet état et rendu semblable aux bêtes. Ces deux propositions sont également fermes et certaines.

Concevons donc que l’homme passe infiniment l’homme, et qu’il était inconcevable à soi-même sans le secours de la foi. Car qui ne voit que sans la connaissance de cette double condition de la nature on était dans une ignorance invincible de la vérité de sa nature. » id. Fragment 122.

 

L’homme de Vitruve est repris aujourd’hui dans la publicité de Manpower, à la différence près que l’homme est à l’intérieur du cercle de la Trinité pour Hildegard von Bingen. Comme le disait Saint Paul : “Tout est à vous, mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu” (1 Co 3, 23).

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