La Sagesse éternelle est un personnage allégorique comme on en trouve fréquemment dans la littérature médiévale (Le Roman de la Rose). Elle s’exprime sous forme de prosopopée, de discours fictif. Au plan littéraire, nous percevons à la fois l’influence de l’Antiquité avec le genre du dialogue philosophique, mais aussi le ton biblique du dialogue amoureux du Cantique des Cantiques. Il est difficile de cerner le personnage de la Sagesse tantôt féminin (l’Eglise) tantôt masculin (le Christ), à moins que cette indétermination-même nous révèle l’identité du mystère insondable de Dieu. Ce dialogue mystique porte sur la Passion du Christ, à laquelle le Disciple est invité à prendre part.
La Sagesse éternelle explique au Serviteur pourquoi elle ne s’est pas révélée à lui plus tôt ; elle l’invite alors à imiter sa Passion (Chapitre 1). La Sagesse éternelle l’annonce à Suso : « La souffrance que tu auras méditée sera spirituellement imprimée en toi. » La Sagesse lui fait le récit de la Passion (Chapitres 2 et 3). Elle lui montre comment l’immensité de son amour se révèle en sa Passion (Chapitre 4). Comment de la Passion procèdent le repentir de l’homme et le pardon de Dieu (Chapitre 5). Le Serviteur déclare son amour à la Sagesse, il s’étonne qu’il y ait tant d’appelés et si peu d’élus ; la Sagesse, à travers la figure du mendiant, lui en montre la raison et l’assure que Dieu attire les âmes par l’amour plutôt que par la crainte (Chapitre 6).
Alors le Serviteur veut entendre de la Sagesse des mots d’amour, et la Sagesse lui en dit ; le Serviteur célèbre ses louanges et prend la résolution de ne plus s’éloigner d’elle (Chapitre 7) :
« Ô tendre, belle Sagesse, mon Unique, mon Élue, tu es bien l’Amour au-dessus de tout amour. Quel abîme entre ton amour et celui des trompeuses créatures de ce monde ! Quand on commence à regarder de près les choses apparemment désirables que nous propose le monde, on se rend vite compte combien elles sont trompeuses et s’illusionnent elles-mêmes ! Seigneur, lorsque je tournais vers elles mes regards, il y avait toujours un « mais ». Telle figure était belle et gracieuse, mais il lui manquait je ne sais quelle distinction. Bref, je trouvais toujours quelque chose d’extérieur ou d’intérieur qui laissait mon cœur insatisfait. Allant plus avant dans la connaissance de ces choses, j’en venais même à m’en dégoûter. […] Seigneur de tendresse, oh ! Fais que j’expire en ton amour, car maintenant que je suis prosterné à tes pieds, je ne veux plus jamais me séparer de toi ! »
Le Serviteur expose alors à la Sagesse trois difficultés : comment Dieu si digne d’être aimé peut-il paraître en colère ? (Chapitre 8)
Comment expliquer que Dieu semble s’éloigner de l’âme alors qu’elle n’a pas démérité ? La Sagesse lui répond que ce sont là « jeux d’amour » et lui apprend l’abandon au-dessus de tout abandon :
« Il ne suffit pas de me donner un moment dans la journée. Celui qui veut trouver Dieu au-dedans de lui-même, entendre ses secrets, en comprendre le sens, doit constamment demeurer en lui-même. Ah ! Pourquoi laisser tes yeux et ton cœur vagabonder ici et là, alors que tu as devant toi l’Exemplaire parfait et éternel qui, lui, ne se détourne jamais de toi ? Ton oreille est ailleurs alors que je te dis des mots d’amour. Le Bien éternel t’entoure de sa présence. Il est tout près de toi, et toi, manifestement, tu es ailleurs ! Si le royaume des cieux est au-dedans de l’âme, mystérieusement il est vrai, que peut-elle donc chercher qui vaille, hors d’elle-même ? » (Chapitre 9).
Enfin le Serviteur demande pourquoi la Sagesse laisse ses amis traverser de terribles épreuves. La Sagesse répond que c’est dans l’adversité que l’âme comprend qui elle est et qui est Dieu :
« Réveille tes sens intérieurs, ouvre les yeux de ton âme, vois et comprends qui tu es, où est ta place, et où tu vas. Alors tu verras que je ne peux pas mieux traiter mes amis. Qui es-tu ? Selon ta nature, tu es un miroir de la Divinité, une image de la Trinité, une ressemblance de l’éternité. De même que, dans mon éternité incréée, je suis le Bien infini, toi c’est par tes désirs que tu es infini. De même qu’une goutte d’eau ne saurait combler l’immense profondeur de la mer, de même rien de ce que le monde peut t’offrir ne comblera tes désirs. Où es-tu ? Tu es en exil, dans une vallée de larmes. Ici-bas sont mêlés le plaisir et la souffrance, les rires et les larmes, la joie et la tristesse. Aucun cœur n’y a jamais connu la joie totale. » (Chapitre10).
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