« Corita Kent. La révolution joyeuse » par Jeanne Villeneuve

Exposition du 9 octobre au 21 décembre 2024 au Collège des Bernardins, Paris 5e
D’aucuns avancent que Corita Kent a influencé par sa création artistique l’œuvre du jeune Andy Warhol...
Publié le 21 octobre 2024
Écrit par Jeanne Villeneuve
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Rédactrice en chef de la revue Narthex.fr, responsable du patrimoine religieux et des liens avec la Ville de Paris au sein du Conseil Économique Paroissial de Saint-François-Xavier (7e), conservateur du Patrimoine

Ma question n’est pas vraiment celle de connaître l’influence des artistes les uns sur les autres mais plutôt celle de savoir si dans la fabrique d’une œuvre d’art, la profession/vocation de l’artiste influence son œuvre en l’occurrence ici, si Corita Kent, alias Sœur Mary Corita Kent (1918-1986) ne “blasphémait” pas sa communauté religieuse d’origine avec ses sérigraphies hautes en couleur et par ricochet, l’ordre auquel elle appartenait, à savoir l’ordre du Cœur Immaculé de Marie à Los Angeles et ce en dépit de sa popularité et de son talent, ayant largement emprunté ses thèmes de prédilection à la rue et aux pensées de l’air du temps dans une sorte de hors les murs?

Ma deuxième interrogation est de répondre à la question de la source d’une inspiration ? Peut-on produire une œuvre d’art dégagée de son contexte ou de son environnement plus particulièrement pour ici, de son environnement spirituel ?

Les réponses se trouvent dans la trentaine d’œuvres et de photographies exposées dans un lieu non muséal qu’est le collège des Bernardins, haut lieu de dialogue avec les courants intellectuels et artistiques de notre temps, à l’instar de la revue Narthex.fr.

On comprend dès lors, que l’inspiration militante et engagée de cette jeune religieuse catholique américaine ancrée dans l’église de la seconde moitié du XX° siècle, provenait essentiellement des slogans publicitaires véhiculés dans les magazines des années1950-1970, plus que dans un contexte qui rassemblerait des personnes liées par des vœux solennels et sous l’observance de règle religieuse essentiellement christianistique.

Vivre selon des règles spirituelles communes au service de Dieu n’empêchant pas le charisme distinctif du dehors de pénétrer dedans. La prédication des missions n’empêchant pas la transmission d’un certain patrimoine culturel.

On comprend aussi qu’au cours de sa carrière, ses œuvres ont évolué, passant sans crier gare de l’image figurative et fortement religieuse à l’incorporation de slogans, de paroles de chansons populaires, de versets bibliques, de littérature.

Il faut dire aussi que Sœur Mary Corita enseignait son côté “révolutionnaire” à des jeunes émules au département artistique de l’Immaculate Heart College.

C’est ainsi qu’elle a partagé son engagement envers Dieu avec son immense sourire dans ce service rendu aux autres et en leur apprenant l’art de la sérigraphie.

Cela illustre indéniablement la croyance de cet artiste-outrée en une société apaisée des turbulentes violences de la guerre du Vietnam menée par l’administration américaine en proposant, non pas comme on devrait s’y attendre de façon pavlovienne, des messages de paix tous empruntés à la Bible ou aux textes sacrés mais des reproductions à l’encre de paroles conçues à la gloire de Martin Luther King, ou des extraits de chansons des Beatles ! On peut alors lire des phrases de protestation. Autrement dit comme des annotations manuscrites qui se trouveraient portées, comme des cobayes souhaitant laisser des traces de leur passage ici-bas :

“COME ALIVE”

”STOP THE BOMBING”

“HAND WITH CARE”

“WE CAN CREATE LIFE WITHOUT WAR”

“LOVE YOUR BROTHER”

 

C’est ainsi qu’en 1965, elle crée une œuvre considérée par la suite comme subversive : ”Earth on Peace”. Ce qui se traduit par “Paix sur Terre”

Au cours d’une exposition tenue à Noël dans le bâtiment d’IBM, cette œuvre composée de 725 boîtes de carton empilées les unes sur les autres pour former des murs, des tours, des pyramides portaient des fragments de publicité, de citations, des bouts de panneaux d’affichages lacérés. On y décelait cette immense protestation quasi originelle qui se répète comme un laïus et qui résonne familièrement à nos oreilles : “Aimez-vous les uns, les autres”.

En 1968, elle quittera son ordre et s’installera à Boston. En se retrouvant dans un environnement plus laïque, elle abandonnera ses thèmes religieux pour se consacrer à un environnement artistique toujours plein de ses préoccupations classiques mais sans connotation religieuse marquée.

A cette pragmatique genèse, il faut ajouter et considérer aussi la marge laissée en bord de certaine sérigraphie par Sœur Corita Kent qui s’inspirerait peut-être de la culture hébraïque du commentaire encadrant ou valorisant une image sacrée ou profane, puis du commentaire du commentaire (ce que nous faisons par ces lignes) encadrant alors la source d’inspiration. La marge laissée à l’état de marge serait alors par la même le lieu de l’ultime glose : inciter le spectateur à réfléchir à la pauvreté, aux préoccupations du racisme, aux injustices sociales, aux messages de foi. Par-delà le visible ou la matérialité de la série de sérigraphie, nous devenons sans le faire exprès par notre regard interposé, un modèle d’engagement communautaire et social.

Quant aux supports nous ne sommes pas en présence comme le voudrait une certaine tradition dans les ordres et couvents, d’icônes, d’enluminures ou d’images à glisser dans un missel, nous sommes devant des encres sérigraphiées selon un procédé d’affiches auréolées d’un certain esprit révolutionnaire. C’est la technique de prédilection de notre artiste qui a aimé cette reproduction de masse avec un médium artistique qui se transmet au plus grand nombre dans un immense message d’amour, de foi, de justice sociale.

En ce sens on peut affirmer que Sœur Corita Kent a été artiste-agent d’évangélisation, a témoigné par sa création de la foi et de l’amour de Dieu en répondant artistiquement aux besoins spirituels, éducatifs et sociaux de la société religieuse et laïque.

Elle nous a offert un exemple inspirant de vie consacrée, nous invitant à approfondir notre relation avec Dieu et à répondre à l’appel de la sainteté.

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