Olivier Christinat, Le repas, 1996, argentique, photographies apocryphes, 2000 © Olivier Christinat ADAGP 2022

Mon intérêt théologique est né de la prise de conscience qu’au-delà du rite, le dernier repas s’inscrit dans une narration forte et qu’il est au départ de l’évènement pascal. Cela d’autant plus que les approches exégétiques récentes en portant un nouveau regard sur le dernier repas de Jésus, ont rendu les uns et les autres plus sensibles aux accents paradoxaux qu’il recèle depuis toujours. Il est à la fois héritier du Seder, le repas de la Pâque juive qui célèbre la sortie d’Égypte, Dieu libérateur et sauveur, et en même temps il s’en démarque. De fait si le repas du jeudi saint est une célébration de la Pâque, en instituant la cène, Jésus subvertit le rite juif. Il déclare que désormais l’acte décisif de Dieu, est dans sa mort et la résurrection qui suivra, la nouvelle alliance tranchée entre lui et les hommes, l’annonce du salut.

Andy Warhol, Christian Boltanski, Martial Raysse, David La Chapelle ou le photographe André Kertész : ces artistes parmi les plus célèbres des XXe et XXIe siècles, se sont tous penchés sur la Cène ! Pour élaborer ma réflexion théologique, je me suis appuyée sur l’étude de leurs œuvres, à l’iconographie riche, internationale et éclectique, où se répondent peinture, photographie, installations artistiques, œuvres conceptuelles ou vitraux. Dans cette période de sécularisation, ces œuvres sont le fait d’artistes dont les créations se réfèrent à une certaine image du Christ façonnée par la transmission catéchétique, culturelle, littéraire ou artistique, et pas seulement par les textes bibliques ou théologiques. Ce qui m’intéresse est le regard sur la Cène de ces artistes contemporains, une image « bricolée » qui doit être confrontée aux Écritures, et qui, jusque dans la subversion, peut ou non être fidèle au Christ.  

Le sous-titre du livre, « éclairage sur la cène », précise la dimension théologique qui fonde mes recherches. L’importance de la cène dans la tradition protestante, où elle est avec le baptême, le sacrement constitutif de la vie ecclésiale, en a fait dès l’origine une pomme de discorde entre les différentes Églises chrétiennes, et même entre celles de la Réforme. Le dernier repas de Jésus est ainsi un thème crucial de la réflexion œcuménique contemporaine, qui entraîne toutes les Églises à réfléchir à leur compréhension et leur pratique.

Plusieurs questions parcourent l’ensemble du livre. Pourquoi ce thème si spécifiquement chrétien s’impose-t-il à des artistes qui ne le sont pas forcément sans qu’il y ait nécessairement une commande religieuse et dans un contexte le plus souvent laïc ? Quand le dernier repas est traité dans les formes visuelles actuelles, reste-t-il porteur de son sens traditionnel, et si non, de quels nouveaux sens est-il investi ? J’ai donc émis l’hypothèse que : dans un monde globalisé et sécularisé, la puissance iconique de la cène est ce qui intéresse les artistes contemporains chrétiens ou non, étant entendu que la force libératrice de l’iconographie du dernier repas réside dans la tradition évangélique.

Mon projet a été de soutenir que, même passé dans l’héritage culturel mondial, le fait de représenter ou de s’adosser à la thématique du dernier repas de Jésus, fait toujours écho à la source chrétienne qui la fonde. C’est pourquoi j’ai cherché en quoi les images issues de l’art contemporain peuvent nourrir l’imaginaire chrétien.

Martine Pouget-Grenier

Pour aller plus loin :

Martine Pouget-Grenier, Le dernier repas du Christ au risque de l’art contemporain, 1970-2010 – Éclairage sur la Cène, éditeur Cerf, collection Cerf-Patrimoines, 2022,