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Silence, on croit !

« La Prière, L’Apparition, Jésus l’enquête, Paul Apôtre du Christ, Marie-Madeleine, etc. » Les chemins de la foi semblent aujourd’hui passer par ceux des salles de cinéma. Mais depuis le succès « des Hommes et des Dieux », le curseur a bougé : fini le "catho bashing", moins de moqueries, plus d’ouverture et d’écoute. Une nouvelle manière de parler de la foi s’impose au cinéma. Il y a de quoi s’interroger sur toutes ces fictions plus que bienveillantes avec le sujet. Attestent-elles d’une réelle démarche spirituelle ? D’une volonté de relater l’expérience de la foi chrétienne ? Ou prennent-elles le chemin des croisades pour nous faire le catéchisme ?
Publié le 17 juillet 2018
Écrit par Pierre Vaccaro

Georges Méliès, extrait de Tentation de Saint Antoine, 1898

Un phénomène aussi ancien que le cinéma

Paradoxalement, le phénomène ne date pas d’hier. Il est même aussi ancien que le cinéma lui-même. Les liens tissés entre la religion et le septième Art remontent à la naissance du cinématographe. Au début du siècle, dans les foires puis dans les institutions et les premières salles de cinéma, fondées bien souvent par des prêtres, fleurissent toutes sortes de Passions du Christ et autres scènes de la vie de Jésus.

Le cinéma relate des sujets religieux dans le but d’instruire la population et de témoigner de la foi. Il permet aussi de montrer Jésus comme un personnage irréel, insaisissable et dont les pouvoirs permettent l’utilisation des premiers effets spéciaux. Georges Méliès en personne réalise par exemple en 1898 « Le Christ marchant sur les eaux ». Cent vingt trois ans après, le cinéma ne fait donc que renouer avec une démarche originelle ; donner à voir un spectacle édifiant propre à renforcer la foi du spectateur et donner à contempler la gloire du Christ et de sa vie. La nouveauté actuelle du phénomène réside plus dans l’intérêt que le monde, maintenant laïc et apparemment loin de l’Eglise, pose sur ces thématiques, sans dépréciation, avec même une forme de respect, d’intérêt et de curiosité qui étonne.

Hollywood et la thématique chrétienne : six exemples de films sortis entre 2016 et 2018 (de g. à d. et de h. en b.) : Paul, Apôtre du Christ par A. Hyatt (2018), Marie Madeleine par G.Davis (2018), Samson par B. MacDonald (2018), Silence par M. Scorsese (2016), Jésus l’enquête par J. Gunn (2017), In can only imagine par A. et J. Erwin (2018)

Une culture religieuse à la portée de tous

Expression artistique dont les Français parlent le plus, le cinéma représente un art populaire majeur. Le retour en force d’une certaine catégorie de films religieux comme le récent Paul, apôtre du Christ peut être interprété comme une réintégration de la culture religieuse dans le monde moderne. Lorsqu’un cinéaste fait une adaptation littéraire ou filme un fait historique et religieux, il pose clairement un acte intellectuel qui peut certes susciter un débat, mais redonne aussi des clefs de compréhension.

Pour nombre d’étudiants en Histoire de l’Art par exemple, n’est-ce pas une vraie lacune que de ne pas avoir accès à la compréhension d’une œuvre artistique mettant en scène un épisode de la Bible ? Le cinéma réinsuffle ainsi auprès du grand public un certain goût pour une culture religieuse qu’il a perdu depuis des décennies, et ce dans un contexte général de perte des repères de base de notre société actuelle, que ce soit sur le plan culturel, intellectuel et social. Regardons ce qui se passe Outre-Atlantique.

Lorsqu’un cinéaste fait une adaptation littéraire ou filme un fait historique et religieux, il pose clairement un acte intellectuel qui peut certes susciter un débat, mais redonne aussi des clefs de compréhension.

Jamais Hollywood n’a autant mis en avant des films sur le christianisme. Un genre en vogue qui a un vrai public et sur lequel les studios n’hésitent plus à miser. Le film Paul, Apôtre du Christ s’est hissé à la huitième place du box-office avec 5,2 millions de dollars pour le premier week-end d’exploitation. Depuis la Passion du Christ de Mel Gibson qui reste à ce jour le film sur la foi le plus lucratif, de nombreux films sont sortis tels que Paul, Apôtre du Christ, Silence, Jesus l’enquête ou encore I Can Only Imagine. Et Paul Dergarabedian de la société spécialisée Comscore de souligner : « Il n’y a pas nécessairement besoin que tout le monde voit ces films si les personnes influentes au sein des églises à travers les pays encouragent leurs fidèles à aller le voir ». Pour cet homme d’affaire américain l’objectif semble limpide, le cinéma est clairement le nouveau lieu de transmission de la foi.

Les Innocentes par A. Fontaine (2015), L’Apparition par X. Giannoli (2017), La Prière par C. Khan (2018), Fortuna par G. Roaux (2018)

Le cinéma comme expression d’une quête spirituelle et de l’acte de croire

Mais le cinéma ne se contente plus d’être un vecteur d’une réappropriation d’une culture religieuse, il va plus loin et s’avance jusque dans l’intimité du croyant. Il cherche à sonder le mystère la foi, de l’intérieur, comprendre la démarche croyante sur le plan spirituel, ce qui représente une caractéristique pour le coup très nouvelle et différente de celle des américains. La nouveauté du phénomène réside aujourd’hui dans la recherche d’une représentation du mystère de la foi à l’écran. Celle-ci est-elle possible ? Peut-on parvenir à transcrire par les images l’intériorité de personnages ?

Dans le film l’Apparition, le réalisateur Xavier Gianoli sonde le mystère de la foi dans un monde où la quête de la vérité devient de plus en plus difficile. Il déclare dans La Croix du 14/02 dernier, « Il s’agit pour moi d’une quête intime et secrète (…) On ne répondra pas au sens de nos vies avec des algorithmes, des smartphones, des promesses économiques ou des illusions ». Le cinéaste rejoint ainsi toute une génération d’artistes tels que Cédric Khan (La Prière) ou Anne Fontaine (Les Innocentes) qui vont plus loin que l’histoire et la culture. Leurs films traduisent une recherche. Une quête spirituelle où s’exprime le besoin de comprendre ou d’explorer l’acte de croire. Derrière la démarche de ces cinéastes, on déchiffre aisément, le besoin de sens, d’intériorité, de nombreuses aspirations au spirituel auxquelles la société de consommation ne peut répondre. Aussi le cinéma se fait-il caisse de résonance. A travers ces films d’un nouveau genre, il redonne à la foi sa place dans la société moderne comme média porteur d’aspirations spirituelles légitimes de nos contemporains.

Jésus (Joaquin Phoenix) dans Marie Madeleine, de Garth Davis (2018) © Photo 2018 Universal Pictures International

Le cinéma, un art par nature propice à l’expression de la foi

Ce n’est pas un hasard si le cinéma est utilisé comme un lieu d’expression artistique propice à l’exploration de la foi. Il le représente depuis toujours. C’est ce que qu’avait déjà perçu Henri Agel à travers son travail d’analyse de l’expression spiritualisante du cinéma. Les films représentent un terrain de surgissement du spirituel, de l’expression de l’intime et de la conscience. A travers son film, le réalisateur livre sa propre intériorité. Le philosophe Marcel Gauchet parlait de l’art comme d’un « substitut du sacré ». Le cinéma peut très bien prendre cette fonction et devenir en effet une communication de l’incarnation de ce « sacré » qui semble avoir disparu de notre monde moderne. Plus que jamais le cinéma se pose comme reflet de la vie mais aussi donne accès à un au-delà de nos existences ; il devient chemin vers l’Autre, moteur de pensée et provocateur de rencontre. Telle est certainement la raison la plus profonde de l’intérêt constant et régulier que porte et portera le 7ème art pour la foi : par nature le cinéma est un art du spirituel.

 

Pierre Vaccaro (contacter l’auteur)

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