La Passion du Christ, terme utilisé a posteriori par les évangélistes désigne les souffrances de Jésus de son arrestation à sa mise en croix et sa mort avec les procès et les humiliations qui jalonnèrent son cheminement jusqu’au lieu de sa crucifixion sur la « colline du crâne », le mont Golgotha. Les représentations, peintures ou sculptures, qui accompagnent la méditation pendant la dévotion du chemin de croix ont développé quatorze stations tirées des Evangiles ou de la tradition orale. Depuis le XVIIIe siècle, elles débutent traditionnellement par la comparution de Jésus devant Pilate et sa condamnation à mort. Parmi les quatorze stations, six ne sont pas attestées par les Évangiles (1) et en 1991, Jean-Paul II, soucieux de plus de vérité a supprimé les stations sans référence bibliques pour ne retenir que celles inspirées d’évènements relatés dans les Evangiles.
Quatorze stations tirées des textes des Evangiles
Ces quatorze stations évangéliques incluent à la première station Jésus au Jardin des Oliviers, à laquelle succèdent Jésus trahi par Judas, Jésus est arrêté, Jésus est condamné par le Sanhédrin, Jésus est renié par Pierre, Jésus est jugé par Pilate, Jésus est flagellé et couronné d’épines, Jésus est chargé de la croix, Jésus est aidé par Simon de Cyrène pour porter la croix, Jésus rencontre les femmes de Jérusalem, Jésus est crucifié, Jésus promet son Royaume au bon larron, Jésus sur la croix, Jésus meurt sur la croix, Jésus est déposé au sépulcre.
En outre, en 1958, à l’occasion du centenaire des apparitions de la Vierge Marie à Lourdes, un chemin de croix a été construit avec une quinzième station : « Avec Marie dans l’espérance de la Résurrection ». Cette initiative s’est propagée comme à Notre-Dame-de-Lourdes dans le 20e arrondissement de Paris où le chemin de croix offert par Jérôme Mesnager en 1994 comprend une quinzième station représentant La Résurrection du Christ.
Cependant, dès le début du XIXe siècle, un chemin de croix parisien s’attachait à la représentation des scènes évangéliques, celui de l’église Saint-Roch (2). En 1799, l’abbé Claude-Marie Marduel retrouva l’église Saint-Roch, qui avait été à nouveau ouverte au culte catholique sur décision du Directoire, et où il qui avait succédé à son oncle Jean-Baptiste Marduel en 1787.
La dévotion de la Passion, un ancrage historique à Saint-Roch à Paris
Dès 1633, les mystères de la Passion avaient été honorés dans cette église. Une chapelle dite du Calvaire était érigée, en 1754, par Etienne-Louis Boullé et Etienne Falconet, dans l’axe de l’église. Clément XIII avait attaché des indulgences à l’église pour inciter la dévotion à la souffrance du Christ. L’abbé Claude-Marie Marduel, qui souhaitait que l’église redevienne, à Paris, le centre de la dévotion à la passion de Jésus-Christ, décida de l’érection d‘un chemin de la croix sculpté et monumental, refusant d’introduire des scènes populaires qui suscitent des émotions faciles et ne gardant que les scènes évoquées dans les Évangiles. Le pape Pie VII viendra en 1804 célébrer la messe à Saint-Roch et accordera les indulgences précédemment attribuées au calvaire du Mont Valérien.
Assisté du Conseil de fabrique de l’église et des paroissiens, le curé Marduel voulait doter l’édifice d’un nouveau décor en remplacement de celui de Falconet qu’Alexandre Lenoir (3) avait échangé contre des œuvres du château d’Anet. En 1802, le sculpteur Louis Pierre Deseine, qui avait travaillé avec Lenoir de 1798 à 1801, faisait revenir à Saint-Roch le Christ agonisant de Falconet, qui reprit sa place sur le côté nord du chœur et constitua la première station du chemin de croix de l’église.
L’expressivité du ‘Christ agonisant’ de Falconet
Selon les Évangiles de Saints Matthieu, Marc et Luc, après avoir célébré la Pâques autour d’un repas avec les Apôtres, Jésus se rend au Jardin de Gethsémani au pied du mont des Oliviers en compagnie de Pierre, Paul et Jean, et Il s’isole pour prier. Luc (4) décrit une agonie, il parle d’une « sueur de sang » provoquée par l’angoisse. Jésus seul s’adresse à son père et Il laisse paraître le trouble, la tristesse qui L’étreint à une heure décisive mais aussi sa volonté d’être disponible, de se soumettre et de s’abandonner à la mort imminente. C’est cette angoisse qu’exprime de tout son corps le Christ agonisant de Falconet, comme empli de lassitude, visage penché sur son épaule, yeux clos, s’appuyant contre un rocher, un bras tombant exprimant sa soumission tandis que la couronne d’épines au bas du rocher annonce les évènements à venir.
Le Christ (1684) en marbre de Michel Anguier, provenant de la chapelle de la Sorbonne, fut installé sur la croix placée au sommet du Golgotha de la chapelle du Calvaire. Le curé de l’église souhaitait guider les fidèles du Christ agonisant à la Crucifixion de la chapelle du Calvaire par un chemin de la croix à douze stations composées de huit bas-reliefs situés dans les chapelles des bas-côtés de la nef. L’abbé Marduel confia à Deseine la réalisation des bas-reliefs (5). Ces stations mettent l’accent sur les procès religieux et politique et les scènes de dérisions et d’humiliation de Jésus. Après la station II représentant La trahison de Judas suit La comparution de Jésus devant Caïphe et le Sanhédrin qui le condamne à mort. La première dérision ou Christ aux outrages puis La flagellation de Jésus et Jésus couronné d’épines composent les stations suivantes. A la station VII, Ecce Homo où, selon l’Évangile de saint Jean, Pilate présente Jésus avec la couronne d’épine et manteau de pourpre, simulacres de royauté, au peuple qui veut le condamner. A la station VIII, Pilate, devant la décision du peuple de relâcher Barabbas, confirme la condamnation de Jésus, se lavant les mains pour se disculper de cette décision, un scribe au bas de l’estrade enregistrant le jugement. Enfin, la dernière station des bas-reliefs montre Jésus sous le poids de la croix.
Dans chacun de ces tableaux, le regard de Jésus n’est pas accablé.
Les épisodes des chutes et des rencontres du Christ sur le chemin du Golgotha suspectés d’être apocryphes sont absents. Dans chacun de ces tableaux, le regard de Jésus n’est pas accablé. Face à Judas, à Caïphe, à Pilate et même chutant sous le poids de la croix, il interpelle le visiteur. Le chemin de la croix se termine dans la chapelle du Calvaire avec les groupes sculptés du Christ cloué sur la croix (1857) de Jean Duseigneur, La Mise au tombeau (1807) de Deseine et le Christ en croix d’Anguier auquel, en 1856, fut adjoint une Vierge de Frédérique Bognio.
La réalisation et la composition du chemin de croix de l’église Saint-Roch reflètent l’histoire mouvementée de cet édifice qui connut une succession d’architectes de Lemercier à Boullée, fut enrichi par les œuvres des artistes prestigieux de leur époque, connu les bouleversements liés à l’époque révolutionnaire et offrit aux fidèles un renouveau de la spiritualité chrétienne à travers les douze stations de ce chemin de croix.
Josette Saint-Martin
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Notes
1- Les trois chutes, la rencontre avec Marie et avec Véronique et le crucifiement.
2- 1er arrondissement de Paris.
3- Conservateur de musée, qui a créé et administré le Musée des Monuments français ouvert en 1795.
4-Luc 22, 39-46
5- L’artiste fut exclu de l’achèvement des stations du chemin de la croix en 1810 suite à de graves désaccords financiers. Les stations VII, VIII, IX, X et XI ne portent pas la signature de Deseine et leur réalisation fut confiée à Constant Delaperche